Cette belle région d'Algérie paye la rançon du développement. Chèrement. Le changement est profond. Les incontournables fluctuations pointent au nez des collines oubliées. La Kabylie bouge. Elle prospère. Au fil des années. Des générations. Aujourd'hui, la “petite Suisse” braque son regard vers l'avenir. Le développement. L'ouverture. À la faveur de la “globalisation des mœurs et coutumes”, on a fini par céder. Positivement, certes, mais douloureusement. L'été 2005 ne ressemble guère à celui de 2004. Loin des étés divins où les enfants authentiques de Kabylie se retrouvaient autour d'un couscous à la villageoise, d'un festin ou d'un banquet version “laâmoum, lekhoual, idhoulkan”, comme le chantait Idir durant les années de braise. Le phénomène est tellement perceptible que le commun des mortels n'arrive pas à suivre et se perd entre les airs de la tribu et les fêtes “sandwich”. Les préaux des vieilles maisons disparaissent à la faveur des extensions en béton et les plates-formes des villages sont devenues, par la force des choses, impraticables. Depuis, l'idée d'organiser les mariages, les cérémonies de fiançailles et autres circoncisions, dans les salles des fêtes, à l'instar des grandes villes, est ancrée dans la société. Les uns comme les autres applaudissent l'initiative. “C'est plus propre et très pratique”, disent les uns, “c'est pas cher et moins d'invités”, disent les autres. Tout le monde a raison et chacun défend sa cause. Les fêtes des “Kaci Boudrar” et des groupes de musique locaux se font rares. Un corps “culturel” étranger envahit les esprits. Du disque-jockey aux orchestres “chimiques” (synthétiseur, reprises massacrées des anciens tubes…), les fêtes kabyles perdent, un peu plus chaque année, leur cachet. Du coup, tout le monde suit. Imite. Aveuglément. La rançon du développement culturel et de l'ouverture est chère. Des pratiques hors-tribus viennent se greffer pour exclure ce qui faisait l'originalité et le traditionalisme de la Kabylie. Certains préfèrent encore s'attacher au patrimoine. Par respect à ce qui reste de la vieille génération en perdition. D'autres, par noblesse ou par conviction, préfèrent “délocaliser” carrément les cérémonies hors des villages. Soutenue par des arguments, parfois difficiles à démentir, cette nouvelle pratique gagne du terrain. Les salles des fêtes pullulent à proximité des villages. Le commerce du disque-jockey fait ravage, mêlant des styles étranges à chanter et à danser. Voire inaudibles. La prouesse est là : convaincre, attirer et gagner de l'argent. Le reste, le patrimoine culturel, ne suscite ni débat ni respect, encore moins l'intention de sauvegarder les bourgeons, à l'état embryonnaire, d'une relève qui a soif d'investir le terrain. Toute l'évidence est là. FARID BELGACEM