Elles étaient jeunes. Elles étaient belles. Elles avaient pour bagages leur détermination et leur courage. Une volonté quelque part de démontrer qu'elles existaient, et qu'elles étaient prêtes à affronter le risque pour cette cause noble pour laquelle, elles burent le calice jusqu'à la lie. Si aujourd'hui, beaucoup d'entre elles ont déjà rejoint le Tout-Puissant, les quelques combattantes qui sont encore de ce monde, et que nous avons pu rencontrer, sont pour la plupart impotentes, handicapées, ou gardent les séquelles indélébiles d'une époque qu'elles ne sont pas prêtes d'oublier. Elles, ce sont les femmes de Novembre. Aussi loin que peuvent remonter ses souvenirs, Louisa raconte le drame de sept années de combat. Sept années durant lesquelles, elles a pansé les blessés, veillé les malades, enterré les morts et au bout de la spirale porté les armes pour affronter l'ennemi. Quelques photos jaunies, un treillis (ou ce qu'il en reste) et une casquette toute trouée, demeurent pour Louisa ce jardin secret qu'elle ne consent à dévoiler qu'aux intimes. Si le geste a été nécessaire pour nous, c'est que cette ancienne combattante sait aujourd'hui qu'elle n'a plus besoin de garder pour elle ces témoignages d'un passé récent. «Je ne suis plus de la prime jeunesse. Je veux transmettre le flambeau aux nouvelles générations...Ces souvenirs, s'ils sont pour moi d'une inestimable valeur sentimentale, n'en sont pas moins un guide pour le futur d'une nation...» Sur les photos, nous n'eûmes aucun mal à reconnaître de grands martyrs de la révolution. Louisa ne cache d'ailleurs pas sa fierté d'avoir connu et côtoyé ces figures patriotiques. «C'est ma plus grande consolation...Ils étaient de véritables héros... sans eux, nous n'aurions jamais connu la joie de l'indépendance...» Quelques larmes s'échappent de ses yeux devant la photo de son mari: «Il est mort juste avant 1962...si près de la gloire...!» Elle pousse un soupir et referme l'album-photos, avant de s'essuyer les yeux: «Quand je vois notre drapeau flotter au sommet de nos institutions et parmi les autres nations, je me dis que le combat n'a pas été vain. Nos enfants vont à l'école, nos femmes sont instruites, l'Algérie est libre...LIBRE...et quoique l'on puisse dire, même si la situation politique du pays n'est pas stable, le linge sale doit se laver en famille. Nous autres, nous vous avons offert l'Algérie, un cadeau que nous avons chèrement payé...A vous aujourd'hui d'en reconnaître la valeur et de continuer le combat pour l'édification d'un pays moderne et prospère.» Ses lunettes sur le nez, et le regard un peu flou, Malika (hémiplégique) consentira à nous recevoir pour quelques instants. La vieille femme, fatiguée, et sentant sa fin proche, tint à nous montrer le parcours d'un itinéraire aux côtés de son défunt mari - tombé au Champ d'honneur. Le geste lent, et la parole difficile, Malika brandit un foulard verdâtre sur lequel étaient cousus une étoile et un croissant rouge: «C'est le drapeau de l'Algérie...Un drapeau de fortune bien sûr...Nous n'avions trouvé rien d'autre que ce foulard pour le brandir à la veille de l'Indépendance. Nous avons sillonné la montagne de long en large, traversé des douars, et des villages. Au mois de mars 1962, nous sentions la liberté toute proche. Les blessures se cicatrisaient et l'espoir renaissait. Le printemps cette année-là, était plus beau que jamais...J'ai tenu à garder ce foulard, symbole de tant de souffrances et de sacrifices...Soyez gentille...passez-moi mes médicaments...» Meriem voulait à tout prix parler de la Révolution. Se confesser peut-être et raconter une époque enfouie au fond de son subconscient. «Je n'ai jamais pu parler de cette période...nous dit-elle, Pourquoi? Hé bien parce que cela me faisait mal de raconter toutes ces atrocités. J'ai perdu mon mari, mon fils, mon frère, et plusieurs membres de ma famille. Mon fils était encore enfant. Il avait 10 ans quand une balle l'a fauché, et mon mari n'avait même pas 40 ans...» Meriem soulève un pan de sa robe, et nous montre deux cicatrices encore bien visibles «Deux balles... On ne me les a retirées qu'après l'Indépendance; il a fallu ouvrir profondément les muscles. Heureusement encore que je n'ai pas perdu ma jambe...» Elle se lève, nous verse un café, et nous montre une photo en noir et blanc, qui trônait sur la cheminée «Vous me reconnaissez sur la photo...?» Trois jeunes femmes en treillis et un homme constituaient un petit groupe auprès d'une rivière...«Je suis là au centre...les trois autres sont Fatima l'infirmière, Mabrouk mon frère (le médecin), et Zineb une jeune fille de l'Algérois - elle avait 16 ans -. Ils sont tous tombé au Champ d'honneur (Allah yarham echouhada).» Meriem soupire puis sourit : «Grâce à Dieu aujourd'hui, l'Algérie a d'autres médecins, et d'autres femmes, les unes plus courageuses que les autres. Nous autres, nous ne sommes plus que les veuves d'un combat et d'une guerre que nous avons pu gagner après moult peines et aléas. Nous vous demandons à vous les jeunes d'aujourd'hui de prendre soin de ce pays qui ne demande qu'à être aimé et à éclore sous le ciel de l'Indépendance. Ce sera notre meilleure récompense.» Elles étaient jeunes...Elles étaient belles. On les appelle: Les Femmes de Novembre.