La crise sanitaire n'a fait qu'impacter négativement. Elle a profité grandement au commerce en ligne qui a connu un rebond en cette période de confinement général. Les web marchands et les market place, les pages Facebook ont vu leurs commandes exploser. "Les ventes en ligne ont explosé lors de ce confinement à cause du coronavirus", rapportent plusieurs comptes-rendus. "Il n'en est rien", contredisent les spécialistes du e-commerce qui interprètent autrement un semblant d'engouement enregistré jusque-là. "Les ventes en ligne ont évolué en courbe ascendante notamment au mois d'avril, période qui a précédé le ramadhan. Cela a permis à certains commerces d'écouler leurs marchandises via le Net et ainsi constituer une opportunité aux web marchands de réaliser de très bons chiffres mais il n'y a pas lieu de généraliser. La crise sanitaire a inéluctablement impacté lourdement tous les commerces et les gens ont fait beaucoup plus dans la débrouille que véritablement du business", nous a assuré Nassim Kjerdjoudj, président du conseil d'administration du web marchand Batolis qui, pour sa part, ne se plaint pas des résultats obtenus. "Nous avons été prévoyants en anticipant sur ce qui allait se passer. Ce qui nous a sauvés c'est d'avoir eu la capacité d'acquérir de la marchandise au moment opportun, d'avoir su négocier avec les fournisseurs et de disposer d'une aire de stockage conséquente. Cela nous a permis de répondre aux attentes des consommateurs avec efficacité, mais malheureusement nous sommes très peu nombreux sur le marché à pouvoir le faire car le e-commerce demande beaucoup de moyens et ce n'est pas à la portée de tout un chacun", a-t-il expliqué. Il est utile de savoir que dans l'e-commerce, il existe deux modèles économiques différents : la market place s'apparente à un centre commercial. Elle dispose d'une plateforme numérique grâce à laquelle des particuliers créent leurs boutiques et procèdent à la vente. La market place fait, donc, office d'intermédiaire : elle reçoit la commande, répond à la demande, livre le produit et remet ensuite l'argent perçu au vendeur en contrepartie d'une commission et c'est le cas de Jumia qui est d'ailleurs pionnier et leader du marché e-commerce. Il y a ensuite la deuxième catégorie que sont les web marchands qui achètent à la source, stockent et revendent les produits. C'est le cas de Batolis, à titre d'illustration, qui mise sur un panier moyen plutôt que sur le volume et offre l'avantage de délivrer une facture, d'assumer une garantie et un service après-vente. La troisième et dernière catégorie réside dans les pages de vente qui pullulent sur les réseaux sociaux dont Facebook (20 millions d'utilisateurs) et Instagram. Ces pages commerciales activent, carrément, dans l'informel et représentent 80% des ventes en ligne. Elles peuvent atteindre, pour certaines d'entre elles les 1 000 commandes par jour échappant à l'économie au plan fiscal en plus du fait qu'elles ne disposent d'aucune existence juridique. Autrement dit, la Covid-19 révèle un marché de vente en ligne complètement déstructuré à cause de ces sites informels essentiellement. Ces derniers enregistrent, pourtant, un grand succès autour duquel, paradoxalement, vient se greffer une dynamique économique à l'image des sociétés de livraison. Celles-ci, à leur tour, sont appelées à connaître une meilleure organisation et faire l'objet d'une législation plus claire. La Covid-19 a démontré, d'ailleurs, une grande faille dans l'e-commerce qui réside dans la logistique dont découle la livraison. Un aspect qui est très peu abordé tant l'activité du e-commerce, à proprement dite, est minimale dans notre pays. Les Algériens contraints, lors du confinement, à recourir à l'achat en ligne, ont été souvent déçus par la mauvaise prestation pour ce qui est des livraisons et des délais. On se demande, alors, pour quelles raisons Algérie Poste qui dispose de la logistique nécessaire continue à dormir sur ses lauriers et n'exploite pas ce potentiel ? car à la base cela devrait être d'abord une activité postale comme cela se fait de par le monde. L'absence du e-paiement, pas un frein "L'avènement du e-paiement ou du m-paiement en Algérie peuvent être des accélérateurs pour le developpement du e-commerce mais nullement un frein" soutiennent les spécialistes du domaine qui argumentent : "Le marché du e-commerce est beaucoup plus développé en Algérie qu'on ne laisse supposer. La nouvelle génération (18-25 ans) qui représente une large partie de la population a toute fait l'expérience d'au moins un achat en ligne." Ils insistent : "Un pays comme les Emirats qui dispose de tous les modes de paiement en ligne enregistre 60% de transactions de e-commerce avec un paiement à la livraison et cela même avec Amazon et Ali Baba qui sont presents sur ce marché." Mais alors combien pèserait le marché de la vente en ligne ? En l'absence de chiffres officiels, les acteurs du marché se basent sur certaines études menées à leur niveau et avancent le montant de 4 milliards de dinars. Batolis a lui seul dit atteindre, selon ses prévisions, les 500 millions de dinars pour 2020. Ali Kahlane, senior consultant en transformation et maturation numérique déplore, pour sa part "l'absence de chiffres officiels dans le domaine de l'e-commerce" que selon son avis "rien ne justifie". Il donne, quand même, quelques indications en avançant des chiffres beaucoup plus modestes récoltés, selon ses affirmations, "à partir de recoupements de plusieurs sources mais qui restent à confirmer". Il en ressort en substance "250 millions de dinars dont 70% pour Jumia, 20% pour Ouedkniss et 10% pour les autres. Les mois d'avril et mai 2020 représentent à eux seuls 30% du volume d'affaires de l'année 2019". Il n'en demeure pas moins que le commerce informel en ligne se taille la part de lion. "Avec le e-commerce on peut déterminer la taille de l'informel à plus forte raison que les pages de vente en ligne sur Facebook et autre réseaux sociaux sont identifiables" feront remarquer les acteurs du marché dénonçant une concurrence déloyale. "Il existe des fournisseurs de market place qui peuvent atteindre des recettes de 18 millions de dinars/la semaine (pour un seul fournisseur) sans aucune incidence fiscale". La crise sanitaire a accéléré l'achat en ligne Les spécialistes du domaine s'accordent à dire que "la crise sanitaire a accéléré l'adoption de l'acte d'achat plutôt que le e-commerce en lui-même". Ils expliquent que "le confinement qui a contraint les Algériens à recourir à l'achat en ligne a révélé le potentiel de consommation à présent que le client s'est affranchi de la barrière psychologique sans pour autant permettre aux entreprises de l'e-commerce de réaliser une croissance conséquente. Charge alors à ces dernières de se structurer pour satisfaire les attentes". Reste à savoir qui va pouvoir s'imposer réellement sur le marché. Est-ce que ce sera les pages commerciales dites informelles qui sont sur Facebook ou les entreprises qui ont pignon sur rue et auront-elles les moyens de le faire ? À l'image des autres pays, le commerce électronique, en Algérie, était sous un microscope intense, de la part de certains spécialistes du secteur, pendant la crise du Covid-19, la plupart d'entre eux ont relevé l'absence de mesures prises par le gouvernement pour faciliter le basculement rapide des boutiques physiques, impactées par le confinement, vers le e-commerce. "Le gouvernement aurait pu agir pour augmenter la capacité des réseaux et accélérer la mise en exécution des paiements numériques et transferts d'argent électronique. Un commerce digital intensifié aurait pu aider les Algériens à mieux s'adapter aux mesures liées à la pandémie de Covid-19 telles que la distanciation sociale et le confinement", nous a déclaré Farid Farah, enseignant-chercheur et consultant en technologie numérique soulignant que "cette pandémie a également mis en évidence le besoin de combler rapidement le vide laissé par l'absence d'une économie numérique dans le pays. De nombreux obstacles traditionnels se sont accentués et ont continué d'entraver une plus grande participation des entreprises aux activités de commerce digital". En clair, le Covid-19 a montré que si le e-commerce était réellement développé en Algérie, il aurait pu être une solution importante pour les consommateurs confinés, notamment ceux à la santé fragile comme il aurait pu être un moteur de croissance pour la consommation intérieure fortement impactée par la fermeture des boutiques physiques.