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"La Cédéao a été insensible aux revendications des maliens"
Aboubacar Abdoulwahidou Maïga, enseignant-chercheur malien
Publié dans Liberté le 29 - 09 - 2020

La transition au Mali suscite beaucoup d'espoir au sein des populations, affirme l'enseignant-chercheur à l'Université des sciences humaines de Bamako. Aboubacar Maïga voit dans ce nouveau processus politique une occasion inespérée pour remettre le pays sur la voie de la stabilité. La nouvelle classe dirigeante sera-t-elle capable de relever ce défi ? Elle bénéficie de prime abord d'une large confiance des Maliens, ce qui est important, explique-t-il. Pour lui, le président et le vice-président peuvent ouvrir une nouvelle ère plus prospère et paisible, en rompant notamment avec les anciennes pratiques du régime, comme la généralisation de la corruption, l'impunité et le détournement des deniers publics.
Liberté : Le Mali s'est doté d'un président et d'un vice-président devant conduire une transition de 18 mois. Comment est perçu, dans votre pays, ce nouveau processus politique qui clôt plus d'un mois de vacuité institutionnelle ?
Aboubacar Abdoulwahidou Maïga : Les Maliens regardent l'avenir avec beaucoup d'espoir depuis cette investiture du 25 septembre, notamment après les grandes promesses formulées par le président Bah N'Daw, qui sont entre autres la lutte contre l'impunité, la corruption généralisée et banalisée, les détournements flagrants des deniers publics, l'application des recommandations du Dialogue national inclusif tenu en décembre 2019.
Ce sont là, en fait, les causes récentes et lointaines de la crise sociopolitique ayant abouti au coup d'Etat du 18 août dernier. Les Maliens attendent beaucoup de la nouvelle classe dirigeante sur ces chantiers, eu égard surtout à la réputation d'homme intègre et rigoureux qu'on lui colle. Pour l'instant, le peuple semble acquis à sa cause, c'est à lui de faire en sorte que cette confiance se perpétue.
D'entrée, il a déjà réussi à émouvoir le public lors de son discours, en lançant cette phrase lourde de sens : "Le Mali est ébranlé, piétiné, humilié (...) par ses propres enfants." Cette cérémonie de prestation de serment des deux présidents de la transition est accueillie avec beaucoup de soulagement par les populations dans leur écrasante majorité. Elles y voient le début d'une nouvelle ère plus prospère, stable et paisible.
Le président de transition Bah N'Daw a promis le retour au pouvoir d'un gouvernement civil issu d'élections générales, dans "les délais convenus", c'est-à-dire 18 mois. Cela est-il réalisable, selon vous ? La population a-t-elle confiance en ce nouveau processus politique et ses meneurs ?
Bah N'Daw est conscient de la complexité de l'état critique dans lequel il a pris les rênes du pays. Déjà, il sait que la transition ne peut s'attaquer à tous les maux du Mali. Raison pour laquelle il a promis de prendre en compte les priorités définies dans la Charte nationale de la transition, adoptée le 12 septembre dernier.Mais N'Daw a également admis dans son discours que le principal défi de cette transition est l'organisation d'élections présidentielle et législatives transparentes et exemplaires.
Je pense que si les nouvelles autorités y travaillent résolument de façon concertée et sans calculs politiciens de dernière minute, le Mali pourra avoir son président et son Assemblée nationale démocratiquement élus d'ici à la fin de ces 18 mois. D'ailleurs, je dirais que le président N'Daw et son équipe ont beaucoup intérêt à faire parler "la vérité des urnes", comme il l'a si bien affirmé. Sinon, les démons qui ont résulté des élections législatives d'avril-mai 2020 peuvent refaire surface pour paralyser encore le fonctionnement des institutions.
N'est-ce pas pour cela que le nouveau président a voulu déjà donner des garanties, en déclarant la guerre aux coûts astronomiques (de l'organisation des scrutins), à la fraude électorale, à l'achat des voix, à l'incursion de l'administration dans le processus électoral, à la perversion des résultats par les Cours d'arbitrage ? Pense-t-il déjà à la création d'un seul organe d'organisation des élections, comme l'avait suggéré l'ancien président de la République Amadou Toumani Touré, dans une interview diffusée sur l'ORTM à la veille du soixantième anniversaire de l'indépendance du Mali ?
Toujours est-il qu'il y a aujourd'hui trois structures chargées de l'organisation des élections au Mali : la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) – chargée de la supervision, de l'observation et du suivi des opérations électorales –, ensuite vient la Délégation générale aux élections (DGE) – chargée de l'élaboration et la gestion du fichier électoral et de la gestion du financement public des partis politiques — et enfin le ministère chargé de l'Administration territoriale qui s'occupe de la préparation technique et matérielle de l'ensemble des opérations électorales.
À la fin de tout ce processus, il y a aussi la Cour constitutionnelle qui est chargée de la confirmation des candidatures, de la gestion du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs. Tout cela est très coûteux pour le Mali sur les plans financier et technique et en matière de mobilisation de ressources humaines. C'est seulement en accomplissant ces changements majeurs que les Maliens pourront refaire confiance en la chose politique.
Les pays voisins du Mali se sont montrés très actifs dans la gestion de cette crise. Comment est perçu le rôle de la Cédéao depuis le coup d'Etat contre l'ex-président IBK ?
Honnêtement, je pense que les chefs d'Etat qui dirigent actuellement la Communauté des Etats ouest-africains (Cédéao) ont été très sévères envers le Mali. Ils ont été sourds et insensibles aux revendications légitimes du peuple malien. Certains d'entre eux, qui avaient des raisons personnelles d'en vouloir aux Maliens, se sont davantage focalisés sur leur propre sort que sur celui du Mali.
La preuve en est que les sanctions-embargo ont été automatiquement imposées au Mali sous le prétexte fallacieux de la nécessité de nous appliquer systématiquement les dispositions des articles 1er et 45 du Protocole A/SP1/12/01 de Dakar sur la démocratie et la bonne gouvernance.Cela, sans donner l'occasion au peuple malien de s'expliquer, reléguant ainsi la question de la bonne gouvernance dans l'espace Cédéao au second plan.
D'ailleurs, certains chefs d'Etat, comme Macky Sall, Roch Marc Christian Kaboré et Umaro Sissoco Embaló, n'ont pas tardé à s'en rendre compte, en plaidant en faveur d'un allègement des sanctions, au grand dam des présidents ivoirien et guinéen, en quête d'un troisième mandat après une révision constitutionnelle. Ces derniers craignaient un effet boule de neige du cas malien dans leurs pays respectifs.
La plupart des Maliens n'ont pas apprécié cet acharnement spontané et sans répit de cette organisation envers leur pays. L'idée d'un retrait du Mali de l'institution avait d'ailleurs commencé à faire son chemin dans les esprits. Mais nous nous sommes vite rendu compte que c'était périlleux et inopportun. Il nous aurait alors fallu un an de préparation, sans compter le fait que le Mali est membre fondateur de la Cédéao. Aujourd'hui, la question n'est plus à l'ordre du jour.
Quels sont le rôle et l'influence, dans le contexte actuel, de l'opposition incarnée par le mouvement M5 qui a contribué à la chute de l'ancien président ?
J'ai l'impression que le M5-RFP (Mouvement du 5 juin - Rassemblement des forces patriotiques) peine à se faire à l'idée que le pouvoir appartient désormais au CNSP. C'est quand même triste et malheureux pour lui d'observer ces jeunes militaires, qui ont profité des fruits de leur longue lutte contre le régime d'IBK, gérer allègrement et sans partage les affaires de l'Etat.
Aujourd'hui, le M5 se sent trahi et écarté du processus de décision de la transition, alors que ses responsables auraient souhaité jouer un rôle décisif au même titre que le CNSP. Cependant, c'est curieux de voir qu'ils se sont retenus jusqu'ici, même s'ils se sont désolidarisés du contenu de la Charte de transition.
Avec la nomination d'un Premier ministre non issu de cette coalition, je pense que cela pourrait être le début d'une véritable rupture entre les deux camps, à moins que les militaires compensent cette situation par un nombre conséquent de ministères mis à la disposition du M5. Du reste, sur le plan politique, le M5 est actuellement en mode survie. Il cherche à se réinventer, à partir du moment où sa première raison d'être – la démission d'IBK – est déjà atteinte.
Le rétablissement de la sécurité est l'une des préoccupations majeures du Mali. La classe dirigeante actuelle peut-elle relever ce défi ?
Les 7 ans du régime IBK nous ont montré que la question sécuritaire est un combat de longue haleine. Les enjeux sont multiples et les acteurs qui y sont impliqués sont nombreux et versatiles. Les autorités de la transition auront, espérons-le, le mérite de mettre les bases d'un retour à la paix et à la cohésion nationale. Toutefois, ce serait conséquemment au futur président malien élu de parachever le job. La question de la sécurité devra sans doute dominer le débat politique des campagnes présidentielles à venir.
À quoi aspirent aujourd'hui les Maliens ?
Le Malien lambda aspire aujourd'hui à la stabilité économique, sociale et sécuritaire. Les gens souhaitent des solutions immédiates à tous nos problèmes du moment. Nous n'avons jamais été aussi mis à l'épreuve en tant qu'Etat-Nation. Dans le même temps, nous sommes conscients de nos faiblesses, surtout il nous faut du temps et des moyens que nous devons aller chercher ensemble. Dans ce sens, l'espoir est permis au vu des dernières évolutions. L'équation pourrait être dans notre état actuel : avancer sur un terrain miné ou périr sous les bombes !

Entretien réalisé par : Karim BENAMAR


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