Par : Myassa Messaoudi Ecrivaine "En réalité, rien ne ressemble plus à une monarchie absolue qu'une République du monde arabo-musulman. Et la majorité des présidents qui se revendiquaient pourtant des valeurs républicaines n'était que des monarques tyranniques et hermétiques aux voix de leurs peuples." Sans les miroirs, ni les jardins soigneusement aménagés par André Le Nôtre, je le concède. Mais avec des ors en lingots qui filent à l'anglaise par les voies impénétrables de l'olympe usurpée. Discrétion brigande oblige. Eux préfèrent évoquer l'humilité et psalmodient le 255e verset du Trône pour pallier au mauvais œil. Celui amoindri d'un peuple mis au ban du progrès. Pour tout le reste, c'est bis repetita ! Comme au temps de Louis XVI, la concentration colossale des richesses et des privilèges par une caste oisive, les intrigues de palais et un profond mépris du peuple ont aiguisé l'arme de la plus célèbre des révolutions. Elle éclata en 1789 lorsque le peuple affamé de pain fut sournoisement invité à tenter la brioche. Que distingue Marie-Antoinette d'un Ouyahia sinon un yaourt d'une pâte finement levée ? L'indifférence candidement cruelle au sort d'un peuple à la dérive. Plus de deux siècles séparent les deux séditions, et des leçons à méditer pour le second. La révolution française fut emprunte d'une violence inouïe. Contrairement au Hirak qui se déroula en un long tapis d'évacuation vers les prisons. Les deux déposèrent un chef et sa cour. L'un a été jugé puis décapité, l'autre vit reclus dans sa résidence médicalisée, la tête sur les épaules, mais ravagée par les maladies. Le cercle proche de Louis XVI a subi un sort identique au sien. La tête au bout d'une pique et les biens confisqués. Celui du président Bouteflika git en prison ou du moins sa partie émergée. Les deux ont, toutefois, gouverné loin du cercle des philosophes et des idées de leurs temps. L'un par manque d'appétence aux choses du pouvoir qui lui échut par simple hérédité. L'autre par suffisance et un étrange sentiment de revanche qui mit tout un pays en péril. Tout comme l'Algérie qui reste agglutinée à un système politique obsolète fait d'archaïsme autoritaire et de bric et de broc idéologique. La monarchie française restait sourde et aveugle aux appels du peuple, ainsi qu'aux changements opérés au sein même des pays monarchistes voisins. Le pouvoir absolu, sinon rien ! Une monarchie constitutionnelle fut pourtant fondée en 1791 à travers une Assemblée nationale devenue constituante. C'était, certes, une avancée, mais les arrière-pensées du roi quant au recouvrement complet de ses biens, son refus de partager son pouvoir avec l'assemblée précipitèrent dans le néant cette dernière. Les tergiversations du roi ne sont pas sans rappeler celles des gouvernances qui se succèdent en Algérie. Les convocations au vote et les ripolinages de plus en plus rustiques de la constitution visent à gagner du temps pour vider les aspirations démocratiques de leur substance émancipatrice. Dans le fil de cette comparaison, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'étaient les états généraux du royaume de France. Il s'agissait d'une assemblée réunissant trois ordres ; la noblesse, le clergé et le tiers état. En langage politique algérien cela pourrait donner : les généraux, les islamo-conservateurs organiques, et les partis politiques. Le rapprochement historique devient ici plus flagrant. Rhétorique mise à part. La noblesse au temps de Louis XVI (16) souhaitait l'abolition de la monarchie absolue afin de reprendre ses privilèges d'autrefois. Les généraux algériens aussi ! La chute du président Bouteflika a projeté directement sur la scène politique les chefs des armées dans un rôle qu'ils affectionnent ; celui de garant de la stabilité nationale et de la République. Le "clergé algérien", c'est-à-dire les islamo-conservateurs, constituent un ordre-pilier réactionnaire au service de l'Etat. Ils veillent à l'application d'une Sunna taillée sur mesure pour le calife président. Ils sont indispensables au contrôle du peuple et son asservissement. Ce magistère qui joue au "clergé qui n'existe pas" lie de manière fusionnelle, mais à la carte, le fait religieux à l'acte politique. Il est entendu qu'il ne s'agit pas ici de résidus des partis islamistes d'inspiration wahhabite radicalisés et sanguinaires. Cette frange criminelle blanchie par le fait du prince, travaille dans l'ombre à convertir le citoyen en fondamentaliste-soldat, dressé comme la mort devant toute altérité. Elle diabolise le progrès, et conforte le citoyen dans son improductivité scientifique. Elle décomplexe aussi l'ignorance en arguant que le mécréant est au service du musulman. Par ailleurs, le "clergé algérien" sacralise les tenants du pouvoir en tant que gardiens de l'islam et participe à neutraliser toute rébellion populaire. Il amarre le pays au Titanic ethnoreligieux qu'est la Oumma. Aussi, il affecte le pays de fatwas et de fatras historiques aussi arriérés que fabulateurs. Il dispose d'un ministère et d'une horde d'imams payés par l'Etat pour relayer tous les vendredis les vues cadenassées du système. Le salaire d'un imam est supérieur à celui d'un enseignant, c'est dire ! Quant au "tiers état", constitué de représentants des partis politiques et d'élus notables, il est loin d'incarner l'esprit révolutionnaire et parfois radical d'un Marat, Danton ou Robespierre. C'est un agglomérat de petits bourgeois plus proche de "l'ancien régime", à savoir la Boutefélonie, que du peuple. Beaucoup de défiance s'exprime à son égard, et il est incapable d'incarner les revendications populaires et ses aspirations libertaires. Il ne s'agit bien entendu pas de généraliser le constat, des exceptions existent. Néanmoins, les calculs et les alliances politiques, en deçà des ambitions du peuple, désespèrent les franges progressistes qui se détournent d'eux. Ce maillon faible de la chaîne révolutionnaire fera que le Hirak rencontre de sérieux problèmes de représentativité. Non pas que l'Algérie manque d'hommes et de femmes politiques capables d'incarner ses revendications, mais c'est qu'ils sont si peu nombreux et si combattus qu'on les voit à peine. Osons la comparaison jusqu'au bout ! S'ouvrit en France l'an 1793 la fameuse période connue sous le nom de Terreur. La première république française se retrouva à ferrailler sur plusieurs fronts. L'un extérieur contre la coalition européenne soucieuse de rétablir la monarchie. L'autre d'ordre civil contre les royalistes et les fédéralistes considérés comme contre-révolutionnaires. La sinistre guillotine entre en scène. Elle engloutit tous azimuts des milliers de têtes. Des couronnées, des nobles, mais aussi des figures révolutionnaires tels que Danton, Malherbes, Olympe de Gouge, et j'en passe ! "Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom !" aurait crié Manon Roland, l'égérie des Girondins sur l'échafaud. Même l'instigateur en chef de la Terreur, Robespierre, n'échappa pas à l'abject outil d'anéantissement dont il a abusé. Il fut guillotiné et la Terreur prit fin. Ceci pour dire que le chaos comme la guerre, une fois déclenchés, échappent à tout contrôle. Et ce n'est pas les années de braise en Algérie qui contrediront le constat ! Cette phase ardente de l'histoire de France est donc l'épisode dont il faudra se prémunir en Algérie. La leçon magistrale à retenir. D'autant plus qu'à l'issue de cet épisode sanglant, les dits modérés représentant la bourgeoisie d'affaires ont pris le dessus. Nostalgiques de la monarchie, ils reprirent fermement le pouvoir et procédèrent au remaniement politique toujours avantageux pour la classe dominante. Une décennie plus tard, la France n'est plus une république, ni même une monarchie, mais un empire ! Rétrospectivement, de grands intellectuels tels que Hannah Arendt ou Tocqueville ont contesté les dividendes populaires de cette révolution. Ils la considèrent comme une révolution de palais dont le peuple fut très vite écarté. Effectivement, l'aspect vertical de cette dernière a renforcé le pouvoir des révolutionnaires et infantilisé le peuple. Il n'a pas ondé d'institutions permettant l'exercice libre de la politique. Il n'en reste pas moins que la révolution de 1789 a enfanté la déclaration des droits de l'homme et du citoyen comme préambule à la constitution, l'égalité des droits, la liberté d'opinion et de la presse et l'abolition des anciens privilèges. Dans les deux situations révolutionnaires ou para-révolutionnaire, les tentatives d'intrusions étrangères ne furent pas d'un grand secours à la sauvegarde des deux régimes. Les ordres renversés le furent, car leur survivance était arrivée à son terme. Les mobilisations populaires, violentes ou pacifiques dans le cas algérien, ont juste précipité la chute de l'ordre vieillissant et obsolète. Pour finir, on pourrait s'interroger sur la pertinence de comparer une monarchie du 18e siècle à une république du 21e siècle ? Au vu des scandales de pillages et de corruptions qui s'étalent dans les journaux, la comparaison n'aurait pas été plus pertinente avec la Ndrangheta ou autres mafias siciliennes ? En réalité, rien ne ressemble plus à une monarchie absolue qu'une république du monde arabo-musulman. Et la majorité des présidents, qui se revendiquaient pourtant des valeurs républicaines, n'étaient que des monarques tyranniques et hermétiques aux voix de leurs peuples. Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient tous connu le même sort et fin tragique que Louis XVI. Les gouvernances de cette région du monde restent prisonnières des schémas religieux du pouvoir. Il y a un calife qui sommeille en chaque président arabo-musulman. Plus expansionniste que réformateur. D'où les tragiques conflits de frontières. En outre, il est temps pour le Hirak de se conjuguer aux vues larges du monde. À d'autres comparaisons que celle qu'on veut lui inoculer génétiquement. La première des révolutions est d'exiger un théâtre pour chaque ville, une librairie dans chaque quartier, et de limiter la propagation de lieux de culte, incapables d'offrir ne serait-ce que la charité par ces temps tragiques de pandémie. Il semblerait qu'on y craint le vol et la saleté des pauvres qui crèvent de froid dans les rues. Sacrés marquis que les imams !