La presse algérienne s'est fait l'écho, récemment, lors de la visite de l'ex-Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin les 1er et 2 février 2012, d'une usine de voitures en Algérie d'une capacité entre 50 000 et 75 000 voitures par an. Comment ne pas rappeler les déclarations fracassantes des officiels à l'ENTV qui, en cinq années, nous ont annoncé successivement une voiture à 100% algérienne, puis italienne, puis une voiture iranienne, puis une voiture chinoise, puis une voiture allemande, puis une voiture sud-coréenne et maintenant ne voiture française ? II- Le marché algérien de voitures fonction du pouvoir d'achat Il y a lieu de tenir compte du fait que la majorité de la société algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures (plus de 75 % des recettes fiscales ) dont l'évolution des cours déterminent fondamentalement le pouvoir d'achat des Algériens et que, depuis la fin de 2006, l'inflation est de retour avec la détérioration du pouvoir d'achat. Le revenu global d'augmentation de 41% entre 2005 et 2011 annoncé par le ministère du Travail doit être corrigé et tenir compte de la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales, un agrégat global ayant peu de significations. Se pose alors cette question : le gouvernement algérien ne sera-t-il pas contraint d'avoir recours à nouveau au crédit à la consommation du fait de la détérioration du pouvoir d'achat des ménages ? C'est que plus de 70% de la population active algérienne touche un revenu moyen inférieur à 30 000 dinars, certes devant être corrigé par la crise du logement et les transferts sociaux via la rente qui permettent un regroupement des revenus. Qu'en sera-t-il avec l'épuisement inéluctable des hydrocarbures en termes de rentabilité économique et non de découvertes physiques ? Dans ce cas par rapport au pouvoir d'achat réel en baisse et surtout avec le nivellement par le bas des couches moyennes, que reste-t-il en termes de pouvoir d'achat réel pour acheter une voiture ? Le deuxième constat est que, faute d'unités industrielles spécialisées, la plus grande part des pièces de rechange (parties et accessoires de véhicules automobiles) est importée. Par ailleurs, malgré les restrictions des différentes lois de finances, montrant avec l'explosion de la facture d'importation en 2010 et 2011, les impacts mitigés du passage du Remdoc au Crédoc et de la suppression du crédit à la consommation entre 2009 à 2011, les importations de véhicules en Algérie, concessionnaires et particuliers, ont enregistré une hausse de 23,57 % au cours des neuf premiers mois de 2011 par rapport à la même période de l'année 2010 selon le Centre national de l'informatique et des statistiques (CNIS). Du 1er janvier au 30 septembre 2011, l'Algérie a importé près de 300 000 véhicules pour un montant de plus de 261,83 milliards de dinars, contre 242 000 véhicules (228,2 milliards) durant la même période de l'année 2010, contre 2,7 milliards de dollars en 2006 et 3 milliards en 2007, selon le CNIS. dont les particuliers, 18 144 véhicules, durant les neuf premiers mois de l'année 2011 contre 15 293 unités pour la même période de 2010, soit une hausse de 18,64 % pour, respectivement, 23,95 milliards de dinars et 21,21 milliards de dinars et pour les concessionnaire une hausse de 23,91%, soit 280 897 unités importées contre 226 699 unités en 2010 (pour la même période), pour un montant de plus de 237, 88 milliards de dinars en 2011, contre 206,98 milliards en 2010, selon les statistiques du CNIS. A la fin de 2011, 320 000 véhicules sont entrés sur le marché. Troisième constat, au 1er janvier 2010, le parc national automobile a atteint 4.171.827 véhicules, selon les chiffres de l'Office national des statistiques (ONS), ce qui correspond à une hausse en véhicules neufs de 185.821 unités. La même source fait également état de 987.193 immatriculations et réimmatriculations durant la même année. Parmi les nouvelles immatriculations, les véhicules de tourisme représentent 79,46 %, soit 147 658 unités, suivis des camionnettes avec 33.968 unités. Par catégorie d'âge, la part des véhicules de moins de cinq ans d'âge représente 22,36 % de l'ensemble du parc. On note ici un rajeunissement permanent du parc automobile durant les cinq dernières années. En effet, la proportion des moins de 5 ans n'était que de 6,1% en 2003, avant de passer à 21,89% en 2008. Ce rajeunissement s'est accompagné par un léger recul des véhicules de plus de 20 ans qui représentaient 57,42% en 2009, contre 58% en 2008 et 59% en 2006. C'est donc, le deuxième parc le plus important d'Afrique après l'Afrique du Sud et le premier des pays maghrébins. III- Quelle est la faisabilité du projet d'une usine de voitures ? 1) Quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales, aux nouvelles mutations de cette filière — à titre d'exemple Mitsubishi a produit 794 681 voitures en 2009 —, aux impacts de la crise d'octobre 2009, qui n'est pas encore terminée car étant de longue durée, imposant d'importantes restructurations allant vers plus de concentration ? Telle est la question stratégique pour tout projet fiable à moyen et long terme. Est-ce que le fait de produire entre 50 000 et 75 000 voitures en misant uniquement sur le marché intérieur algérien permettra d'être compétitif d'autant plus que tous les inputs seront presque importés∞? On devra inclure le coût de transport devant la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux par rapport aux pays concurrents et, donc, la productivité du travail, qui, selon l'OCDE, est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Par ailleurs, les normes internationales du seuil des capacités se situe entre 250 000 et 400 000 voitures par an au minimum, évolutives avec les grandes concentrations depuis 2009 devant certainement dépasser la barre de 500 000 entre 2013 et 2015. Le coût est fonction, certes, des gammes de voitures, surtout des capacités de production, et la vente fonction de la structuration des revenus et du modèle de consommation par couches sociales. En Algérie, en février 2012, on pourrait avoir cette structuration : voiture de moins de 500 000 dinars TTC pour les bas revenus, de 700 000 à 1 000 000 dinars pour les revenus moyens et au delà de 2 000 000 dinars pour les revenus élevés. A titre d'exemple, Honda a en 2009/2010 réalisé un investissement de 630 millions de dollars (429 millions d'euros) pour une production de 200 000 unités, employant 2 000 travailleurs, et Suzuki 1,7 milliard de dollars (0,86 milliard d'euros) pour 260 000 unités. Le constructeur Renault-Nissan a projeté d'investir 600 millions d'euros près de Tanger, au nord du Maroc, pour créer une usine capable d'assembler 400 000 unités par an (170 000 prévues en 2012) auxquels viendront s'ajouter les investissements spécifiques aux véhicules qui seront assemblés dans ce site, qui seront compris entre 200 et 400 millions d'euros, donc dépassant le milliard d'euros (plus de 1,3 milliard de dollars), projet rentrant dans le cadre de l'internationalisation de cette firme, destiné pour une grande part à l'exportation. Cette usine devrait employer 6.000 personnes directement (en phase de croisière) et 30.000 emplois indirects avec des coûts de main-d'œuvre équivalents à ceux de la Roumanie, à savoir presque huit fois moins élevés qu'en France, des formations spécialisées de Marocains étant prévus. Aussi, toute étude de marché sérieuse nous évitera la précipitation pour des raisons de prestige, l'Algérie étant une petite nation. Etre pragmatique suppose que l'on réponde au moins à quelques questions. Construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l'objectif du management stratégique de toute entreprise régionale, voir mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale et cette filière n'est-elle pas internationalisée des sous-segments s'imbriquant au niveau mondial ? La comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables. A quels coûts hors taxes, l'Algérie produira cette voiture et en tendance lorsque le dégrèvement tarifaire allant vers zéro selon les accords qui la lient à l'Union européenne seront appliqués ? Dans ce cas quelle est la valeur ajoutée interne créée par rapport au vecteur prix international (balance devises tenant compte des inputs importés et de l'amortissement tous deux en devises) ? La carcasse représente moins de 20%, voire 30% du coût total tout comme comme un ordinateur. Le coût ce n'est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70%/80% et ne pouvant interdire l'importation, la production locale sera-t-elle concurrentielle en termes du couple coût-qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales ? C'est comme un parfum ou un habit griffé : le consommateur achète également la marque. Comment s'appellera la voiture algérienne ? Et cette industrie étant devenue capitalistique, quel est le nombre d'emplois directs et indirects qui seront créés puisque qu'un certain nombre d'empois indirects restent les mêmes (garages, magasins) et avons-nous la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l'automobile ? Ces voitures fonctionneront-ils à l'essence, au diesel, au GPL et seront-elles hybrides ou au solaire ? Quel seront le prix de cession de ces carburants et la stratégie des réseaux de distribution pour s'adapter à ces mutations technologiques ? (Suite et fin)