C'est une trentaine de conférenciers, universitaires et hommes de lettres qui a pris part au Colloque international en hommage à l'écrivain Mouloud-Feraoun, organisé par le Centre national de recherche préhistorique anthropologique et historique (CNRPAH) à la Bibliothèque nationale d'Algérie (Hamma). Du 15 au 17 mars, la vie et l'œuvre de l'écrivain martyr ont été évoqués à l'occasion de la commémoration du cinquantième anniversaire de son assassinat par l'OAS, le 15 mars 1962. Lors de l'ouverture du colloque, le fils de l'écrivain Ali Feraoun a présenté à l'assistance le rapport d'enquête détaillant l'assassinat abject dont fut victime Feraoun et ses cinq compagnons, tous inspecteurs de l'enseignement à Ben Aknoun, sur les hauteurs d'Alger. Ali Feraoun a exhorté l'assistance à «continuer l'œuvre de ces hommes qui ne doit pas s'éteindre avec leur mort», appelant aussi les autorités à faire de cette journée du 15 mars la Journée nationale de l'école, afin de rendre hommage à ces hommes qui se sont sacrifiés pour le savoir et la connaissance, desquels l'écrasante majorité des Algériens étaient privés durant la colonisation française. Intervenant lors de ce colloque, Rachid Boudjedra avoue être devenu écrivain «en prenant conscience de l'existence des écrivains algériens grâce à l'œuvre de Feraoun le Fils du pauvre. Pour sa part, Khalida Toumi, dans une intervention lue par Slimane Hachi, directeur du Cnrpah, rendra hommage à Feraoun, un homme qui a «marqué la culture algérienne tant par son œuvre que par sa mort tragique». Elle saluera le travail de l'enseignant Feraoun qui «tentait de rattraper le retard éducatif imposé par les armes depuis un siècle», citant un écrit de Mouloud Mammeri qui décrivait ce sacrifice de «dernier hommage de la bêtise à la vertu». Les travaux de la deuxième journée ont porté sur «la symbolique et les spécificités littéraires de son écriture». Les intervenants ont globalement mis l'accent sur la nécessité d'une «relecture des écritures de Mouloud Feraoun», notant que les premières lectures «n'ont pas su relever les véritables dimensions de sa vision des choses». Pour Najet Khadda, le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun «était un livre ouvert et sa littérature avait des dimensions universelles». Analysant la symbolique de certains termes usités par l'auteur dans ses romans, la conférencière explique que Feraoun savait employer les mots idoines pour faire parvenir son message et ainsi contrer le discours politique dominant de l'époque. De son côté, Djouzi Lenzini établira dans sa conférence certaines similitudes existant entre Feraoun et Camus, expliquant que «si les deux hommes étaient amis, leur amitié aurait été difficile». Le journaliste et enseignant universitaire, qui prépare un livre sur Mouloud Feraoun pour 2013, ajoutera que les deux hommes ont eu des divergences concernant des questions importantes car l'un est resté dans son milieu social et l'autre est parti vivre à Paris. Anne Roche notera, pour sa part, que le langage de Feraoun était complexe car émanant de son environnement. «Il décrit les choses en tant que Kabyle, issu de la campagne pour mettre en exergue l'existence d'une culture autre que celle du colonialisme», dit-elle. L'avant-dernier jour de ce colloque a vu le débat tourner autour de l'appropriation de langue française, l'ouverture sur la culture occidentale et la lutte contre le colonialisme. L'universitaire Sabéha Benmansour reviendra sur l'ancrage des écrivains francophones, comme Mohamed Dib et Mouloud Feraoun, et de leurs écrits dans l'Algérie profonde, pour expliquer que «leur attachement à la patrie et à la cause nationale est resté intact et ce, au-delà de la langue d'expression» de ces romanciers. Quant à Jacques Girault, professeur d'histoire, il s'intéressera à cette confusion entretenue entre appropriation et «besoin assimilationiste», reconnaissant lui-même qu'il avait été surpris de découvrir l'engagement et le sacrifice de Feraoun : le rapport sur l'attentat (contre Feraoun) du 15 mars 1962, m'a ouvert les yeux», dit-il.