La Nouvelle République : Monsieur Hotermans, vous avez organisé un concert de l'orchestre symphonique national d'Alger dans le cadre des festivités du cinquante et unième anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie. La troupe s'est produite à Mons et à Verviers. Comment l'idée vous est-elle venue à l'esprit ? Roger Hotermans : L'orchestre symphonique national d'Algérie souhaitait se produire trois fois à l'étranger pour marquer les festivités du cinquantième anniversaire de l'Indépendance du pays. Il s'est produit une fois en Ukraine, à Kiev, et également en Espagne pour inaugurer le Théâtre méditérranéen. On m'a demandé il y a un mois, donc il y a très peu de temps, et après que j'aie rencontré la ministre Khalida Toumi, si on pourrait envisager que l'orchestre se produise en Belgique. Il ne me restait plus qu'à trouver deux salles. On a trouvé deux salles disponibles qui convenaient parfaitement bien, d'abord Verviers qui est la ville dont je suis originaire et où je dispose de tous les contacts nécessaires et dont je connais très bien l'échevine de la culture avec laquelle j'ai travaillé de nopmbreuses années. Verviers est une ville lyrique, une ville de musique, de théâtre, elle possède un théâtre magnifique qui a besoin d'être restauré, et qui a été construit à la fin du XIXe siècle. A titre anecdotique, il a son jumeau quelque part dans le monde, puisque l'architecte ayant voulu rentabiliser les plans, a construit le même théâtre à Manaos, en Amazonie. Et ensuite Mons, parce que j' ai beaucoup d'amis qui ont été extrêmement disponibles pour ce projet, notamment le député provincial Serge Hustache, qui a été vraiment jouer le jeu d'emblée avec beaucoup d'enthousiasme, et ensuite parce que le Hainaut qui abrite Mons a été une terre d'accueil pour de nombreux Algériens. Je crois qu'ils sont plus de 30 000 d'origine algérienne dans le Hainaut et cela me paraissait tout à fait indiqué que ce concert puisse avoir lieu dans cette ville ainsi qu'à Verviers qui est à l'autre bout de la Wallonie. Hier à Mons, il y a eu plus de 700 personnes et c'était véritablement un succès. Je me permets de vous poser cette question : que représente pour vous l'Algérie ? J'y suis maintenant en poste depuis le mois de septembre 2012 puisque je suis le représentant de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la région wallonne de Belgique en Algérie pour une durée de trois ans, et donc pour moi, cela représente tout pour le moment. Je ne vais pas y aller par quatre chemins puisque ce sont mes fonctions actuelles, c'est à dire que je veux jeter un maximum de ponts entre la Wallonie, Bruxelles et l'Algérie, ce qui occupe évidemment 100% de mon temps. Pensez-vous approfondir, voire amplifier cette relation entre l'Algérie et la Belgique dans divers secteurs ? Bien sûr. Nous le faisons déjà d'ailleurs. Vous savez que, non pas la Belgique, mais la Fédération Wallonie-Bruxelles est hôte d'honneur au prochain Sila, le salon du livre, en octobre prochain. Nous participons depuis plusieurs années déjà au festival de la bande dessinée, nous allons pour la première fois cette année participer en septembre au Festival international des musiques symphoniques avec un quatuor à cordes sous la direction du chef d'orchestre de la Chambre de Wallonie. Nous avons pas mal de projets et nous entretenons depuis plusieurs années une coopération en matière d'échange de bourses avec les universités de Liège, Bruxelles, Louvain-La-Neuve, et différentes universités de Wallonie, dans le domaine médical également et dans d'autres secteurs comme l'environnement et la gestion des forêts, et de la santé aussi, bref dans les domaines qui entrent dans la compétence des régions. Nous avons pas mal de choses à faire là-bas avec de moins grands moyens que des pays plus importants comme la France ou d'autres, mais nous le faisons à notre modeste échelle et je crois que nous ne le faisons pas trop mal. Vous êtes donc optimiste concernant ce partenariat avec l'Algérie ? Tout à fait, l'Algérie est un pays jeune, plein d'enthousiasme et qui n'est plus un pays qui a besoin de coopération, on doit véritablement parler maintenant de partenariat. L'Algérie a les moyens alors que nous n'avons pas la possibilité de faire ce que vous faites ici : envoyer l'orchestre philarmonique en tournée en Algérie, nous n'avons pas les moyens de le faire. Vous avez les moyens et vous êtes demandeurs de savoir-faire et donc il s'agit bien d'un partenariat et non pas d'une coopération. Philippe Koch est un violoniste issu d'une grande famille de musiciens. Il est diplômé du Conservatoire royal de Liège où il enseigne aujourd'hui. Premier Konzertmeister de l'orchestre philharmonique du Luxembourg, il poursuit parallèlement une carrière de soliste à travers l'Europe, le Japon, les Etats-Unis et l'Amérique du Sud. Il se produit dans plusieurs ensembles (Trio Grumiaux, Quatuor Louvigny et le Brussel String Quartett dont il est le premier violon). Sa discographie s'élève à plus de 25 CD et comprend des oeuvres allant de Mozart à Bussotti Vous êtes un musicien belge réputé, et vous venez de jouer avec l'orchestre symphonique d'Alger dans le cadre des festivités de la commémoration du cinquante et unième anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, quelles sont vos impressions ? J'ai eu grand plaisir à les rencontrer. Ce sont des gens très motivés. On a commencé à répéter hier à Mons où nous nous sommes vu pour la première fois. Nous avons fait le même concert hier soir et nous avons travaillé tout l'après-midi sur cette pièce que les musiciens avaient un peu travaillée chez eux avec le chef d'orchestre, mais jamais avec moi. Or, ce qui est difficile dans ce morceau pour eux, c'est de me suivre, c'est qu'on joue ensemble. Donc ils étaient très motivés, très à l'écoute, et nous avons travaillé pendant une heure et quart à fond et avec beaucoup de réussite, je dois dire, parce qu'ils ont très très vité évolué, ils sont très musiciens donc ils comprennent très vite les choses et se sont très rapidement améliorés. On a encore évolué au cours des répétitions de cet après-midi. J'ai redemandé des petites choses et je les ai senties le soir. Ils ont vraiment donné tout leur cœur et fait le maximum. J'ai remarqué qu'il y avait une véritable fusion entre le répertoire classique européen et la musique algérienne. Que pouvez-vous nous en dire ? J'ai éprouvé un très grand plaisir. J'avais déjà écouté hier à partir des coulisses parce que je n'avais pas eu le temps d'entrer dans la salle après avoir joué, mais aujourd'hui je me suis dépêché de rejoindre la salle juste après mon passage pour écouter. J'ai donc pu bien entendre cette fois et j'en ai éprouvé beaucoup de plaisir. Je pense qu'il y a beaucoup de thèmes populaires qui ont été très bien arrangés par de bons compositeurs algériens afin d'être joués par un orchestre symphonique, et ça donne très très bien. Que pouvez-vous dire en ce 5 juillet au peuple algérien à l'occasoin de sa fête nationale ? Je leur souhaite une très très bonne fête, un bon anniversaire et que tout se passe pour le mieux dans l'avenir, parce qu'on voit tous les problèmes pour l'instant de ce côté du monde et qui nous préoccupent aussi beaucoup pour votre bien-être. J'espère que ça ira dans le bon sens de ce que vous souhaitez de meilleur dans tous les cas. Nayer Nagui, directeur artistique et chef principal de l'orchestre de l'Opéra du Caire. Il est le chef invité de l'orchestre symphonique national algérien depuis 2006. Il a effectué une dizaine de concerts en Algérie, se produisant avec l'orchestre dans tout le pays, dont Sétif, Constantine, Mostaganem, au cours d'une tournée avec l'orchestre symphonique algérien. Il est aussi leur invité pour cette tournée en Belgique où ils se sont produits à Mons et à Verviers. Quelles sont vos impressions à l'issue de ce concert à Verviers ? Nayer Nagui : Je suis très heureux de travailler avec l'orchestre algérien, nous sommes comme des frères. Je remercie les responsables culturels algériens pour leur volonté de faire ces tournées qui sont très importantes pour les orchestres, car ces voyages en Europe permettent de transmettre le message de langue musicale universelle. Sachant que vous êtes égyptien et que le président Morsi vient d'être déchu par un mouvement salvateur de l'armée, avec à sa tête le général Sisi, quel est votre point de vue ? D'abord, et c'est très important de le rectifier pour le public occidental : ce n'est pas un coup d'Etat. Ce sont les Américains qui essaient de persuader le monde entier qu'il s'agit d'un coup d'Etat. Ce n'en est pas un, c'est au contraire un «coup de peuple». Que voulez-vous de plus que 33 millions de gens dans les rues pour dire qu'ils ne veulent pas de ce président, qu'ils ne veulent pas les fascistes ? Après un an des Frères musulmans pouvoir, il n'y avait plus de tourisme, plus d'économie, plus de sécurité. J'insiste, ce n'est pas un coup d'Etat. Ce qu'a fait le général Sisi, c'est de se ranger aux côtés du peuple qui réclamait le départ de Morsi. L'armée est avec le peuple et a nommé le président de la Cour constitutionnelle comme Président intérimaire en attendant d'organiser de élections. Un coup d'Etat signifie que l'armée prend le pouvoir, or ce n'est pas le cas. C'est ce que nous essayons de dire dans toutes les chaînes de radio, de télévision : ce n'est pas un coup d'Etat, c'est un coup de peuple. L'Algérie a connu un mouvement similaire début des années '90. Vous sentez-vous proche du peuple algérien par rapport à ce qu'il a vécu contre le terrorisme ? Je comprends très bien ce qui s'est passé en Algérie et j'ai beaucoup voyagé dans ce pays. J'ai essayé de dire à tous les Egyptiens que je connaissais qu'il fallait faire attention de ne pas vivre ce qui s'est passé en Algérie. Un an, c'est trop ! On ne peut pas supporter davantage, on ne veut pas vivre ça une dizaine d'années. C'est insupportable, notamment pour les artistes. Depuis deux ans, nous vivions dans un état d'instabilité énorme. Nous avons un ministre de la Culture depuis deux mois qui a fait arrêter Aïda à l'Opéra du Caire. On a fait des manifestations, des grands artistes, des vedettes du cinéma égyptien, des écrivains, des peintres ont occupé le ministère de la Culture pendant 29 jours. Ils ne l'ont quitté qu'hier. C'était un mouvement énorme. Quels sont vos projets, notamment avec la troupe algérienne ou l'Algérie ? L'orchestre symphonique national algérien organise un Festival international de musique symphonique en septembre, et je crois que l'orchestre égyptien est invité. Si c'est le cas, je le dirigerais. S'il y a toujours une instabilité qui ne permet pas de voyager, je dirigerais peut-être l'orchestre algérien. La vie continue...