Après avoir évoqué dans une précédente édition la signification de la poésie populaire et même le rôle joué par les «medadha», nous saisissons cette opportunité pour mettre en relief quelques poètes dont le travail reste d'actualité. C'est le cas de Baytar (Brésina), Benguitoun (Biskra) Benkeriou (Laghouat), Benbrahim (Sidi Belabesse), Belkheir (El-Bayadh), El-Djermouni (chaouia) Benkhelouf (Mostaganem) ou encore Ben Messaieb (Tlemcen) dont les poésies, toujours vivantes, sont reprises par les chanteurs sous différentes formes de mélodies. Chez les femmes poètes, ce sont beaucoup plus les artisanes en tissage qui face à leur métier à tisser ne manquent pas de transcrire leur art manuellement en illustrant des symboles tout en le valorisant par des chants. Cheikh Hamza Boubekeur, natif de la région d'El-Bayadh, berceau de plusieurs poètes dont les plus renommés Mohamed Baytar et Mohamed Belkheir, estime pour sa part que la poésie algérienne demeurera le miroir des joies et des peines du peuple. La gloire de ses générations successives, le reflet de ses amours, de ses larmes, de ses refus de reniement de soi-même, si l'on se réfère à des écrits dont ceux de Cheikh Hamza Boubekeur sur la vie des poètes. A propos de Mohamed Belkheir, quoi que certains avancent certaines dates, il est né réellement une dizaine d'années avant que l'Algérie ne soit envahie par la France, soit aux environs de 1822/1823, au lieudit Oued el-Maleh (Rio salado) entre Aïn Témouchent et Oran. Faisant partie de la tribu des Ouled Daoud, le nomade Belkheir restera à jamais lié solidement non seulement à la littérature populaire algérienne, mais aussi à la résistance contre l'occupant à qui il ne manquera pas une occasion pour stigmatiser ses gestes et faits. Dans un écrit dédié à ce poète, Cheikh Boubekeur regrette que Belkheir ne soit pas considéré comme un parangon algérien, mais comme un simple poète local ou encore comme un guerrier nomade. Et pourtant, encore jeune, Belkheir, profitant de ses escapades au terme d'une journée passée avec son troupeau de moutons et de caprins, approcha quelques «medadha » (chanteurs bédouins) lors de rencontres amicales ou de fêtes locales d'où il a vite appris la manière et l'importance de la poésie, notamment ayant le cachet sentimental ou sur les personnages de la région. Un jour, tout en chantant un air qui lui plaisait devant une assistance composée essentiellement d'hommes venus se distraire, l'un d'eux lui demanda d'opter pour autre chose. Sa réponse fut sèche : «Vous voulez autre chose, si je me laisse aller, vous seriez tous arrêtés par les roumi (il veut dire le colonisateur) et moi avec vous.» Les plus âgés ont évalué la maturité du poète, mais la pression pesait sur eux, car le régime colonial ne leur permettait aucune initiative. Face aux persécutions de l'administrateur, du percepteur et des gendarmes, sa famille changea de lieu de résidence pour s'installer au lieudit Guenater (les ponts) toujours dans la région ouest du pays. Tout en étant humble avec les pauvres, il était aussi un bon cavalier. D'ailleurs, il a toujours souhaité mourir en combattant. Ses contacts avec les différentes franges de la société l'incitèrent à s'intéresser au nationalisme et il approuva la manière par laquelle certaines tribus à l'image de celle des Hamza qui opta pour le djihad contre la colonisation. Son attachement à cette option lui valu une première arrestation en 1880, il avait 52 ans, avant d'être libéré, puis arrêté une nouvelle fois en 1884 après avoir été dénoncé alors qu'il menait une campagne contre la colonisation. Cette arrestation lui a fait connaître des moments difficiles durant les interrogatoires par les militaires à qui il dira : «Vous n'avez pas le droit de nous traiter de la sorte et puis le fait de venir chez nous par intrusion, vous n'êtes pas les bienvenus.» L'officier qui l'interrogeait lui rétorqua méchamment en ces termes: «Nous allons te montrer qui est le plus fort ici», avant de décider de son transfert sur Oran, puis sur la Corse, à Calvi plus précisément. Une fois hors des geôles coloniales et de retour de la Corse, il donna l'impression d'avoir souffert durant sa détention pour dire qu'elle avait trop duré et qu'il ne voyait pas la fin. Si, parfois, il lui arrivait de rire alors qu'il était en détention, ce n'était que par nécessité affirmait-il à ses proches. Son retour de la Corse fut un événement au niveau de la région, mais il ne resta pas longtemps en vie, car son cadavre fut découvert abandonné sur un terrain vague dans des circonstances qui n'ont jamais été élucidées. Né présumé et, dans des conditions difficiles, il est mort présumé emportant avec lui beaucoup d'interrogations sur sa vie Il y a aussi Mohamed Ben Messaieb qui fut un poète de renom tout en exerçant son métier de tisserand à Tlemcen. Il composa quelques 3 000 poèmes, affirme t-on de sources concordantes, d'ailleurs, certaines de ses chansons misent en forme sur le plan musical sont toujours bien accueillies.