Youcef Drem a vécu en homme et est mort en homme. Il est mort en brave tentant de sauver une chienne emportée par les eaux en furie de l'Oued mMellah. Cela s'est passé durant l'automne 1969. Ce geste de bravoure reste gravé chez les citadins de Djelfa. Kelba était le nom que portait une chienne racée de la famille des chiens bergers de l'Atlas. Trapue forte et poilue. C'est Youcef Drem un bel homme des Ouled Abdelkader qui la récupéra toute petite et la soigna. Elle était vouée à une mort certaine. Elle était seule, allongée, ne pouvant même pas se mettre sur ses pattes. Il avait pitié sur son sort. Il l'a prise vers sa poitrine. Il l'enroula dans le pan de sa veste. Il lui donne du lait. Puis il le reprend et le réchauffe. Il le lui redonne tiède et découpe quelque bouts d'un pain rassis qu'il plonge dans le lait tiède. Il s'est adressé à elle en lui montrant l'assiette « à partir d'aujourd'hui c'est ton assiette ». Il prend une vielle peau de mouton et met dessus la petite chienne. Il l'a baptisé Kelba. Il ne voulait pas lui donner un nom d'humain, chez les Ouled Abdelkader, les siens, on respecte tous les êtres vivants mais avant tout l'humain. Elle prendra des forces au fil du temps. Les liens qui les unissent deviennent très forts. Kelba est la traduction intégrale en arabe du mot chienne. Plus vite elle devint la cheftaine d'une troupe de chiens. Ce sont tous des chiens bergers de l'Atlas. Les autres chiens de rue et bâtards ne peuvent se mêler avec eux. C'est ça l'esprit grégaire, même chez les chiens. Tous les enfants du quartier connaissaient Kelba. Elle aussi et sa troupe les connaissaient ils n'ont jamais mordu l'un d'eux. D'ailleurs les maraudeurs ne s'aventurent jamais dans la zone. Dramatou c'est un sobriquet que portait le maître de Kelba. Dramatou est d'abord une phrase composée par un sujet nom propre de « Drem », du verbe avoir « a » et du complément « tout ». Rassemblée la phrase devient le sobriquet Dramatou que portera Chedad Youcef jusqu'à sa mort et bien après. Peu de personnes connaissait son prénom. Tous le désignaient par le sobriquet et lui vouaient du respect. Certains membres de la tribu dont il est issu étaient presque heureux qu'il ne porte plus leur nom. Ils sont des grands guerriers rebelles. Lui aussi malgré qu'il soit un peu renfermé sur lui-même il ne plie jamais l'échine. Le sobriquet « Dramatou » ensuite « Drematou » lui a été collé fortuitement par un autochtone d'origine française. Ce dernier ; ouvrier réparateur de pompes et de machines. Il ne trouvait plus une pièce chez les dépositaires et autres comptoirs ayant pignon sur rue. C'est un homme respectueux de conviction communiste. Il ne se permettait pas de laisser en panne un petit agriculteur de Kalene région de Charef. C'était la pleine période de grossissement des Chounafi (les choux navets ou left bou lehiya). Il se rappela que Drem faisait les poubelles des mécaniciens, des électriciens, des vulcanisateurs et des maisons coloniales en quête d'une pièce qu'il arrivait toujours à revendre. Drem ne faisait jamais la manche. C'était un brocanteur ou ferrailleur. Devant son gourbi s'entassaient toute sorte de ferrailles et à l'intérieur des pièces électriques ou autres poulies. Il y a toujours quelqu'un qui en aura besoin. L'ouvrier réparateur se présenta alors au bouiboui de Drem. Il se disait certainement que c'est sa dernière chance. Le contraire le pousserait d'aller vers Alger pour chercher cette pièce. Il sera alors trop tard et la récolte des choux navets de Kalene serait compromise. (A suivre)