Umar Faruk Abdulmutallab qui a tenté, vendredi, de faire exploser un avion transportant 278 passagers entre Amsterdam et Détroit, a revendiqué des liens avec Al-Qaïda, même si les enquêteurs n'excluaient pas encore complètement qu'il ait pu agir seul. Beaucoup doutent de la puissance du réseau de Ben Laden, comme le rappelait cet article, que nous avions publié en novembre dernier. La vieille al-Qaida n'est plus. Au moins 40% de ses dirigeants de 2001 ont été soit capturés soit tués. Et les nouveaux ne s'en sortent pas mieux : depuis 2008, 11 des 20 personnages les plus recherchés du réseau ont été mis hors service. Les dirigeants intermédiaires ont, en outre, quasi tous disparu, la plupart ont été tués dans des attaques de drones. Ce qu'il reste : probablement, une coquille vide, représentée par des figures-clés isolées, comme Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri, eux-mêmes entourés par un noyau de nouveaux venus, des jihadistes hyper-motivés. D'ici peu, l'Occident pourrait être en mesure de pointer son canon sur la tempe d'al-Qaida. Lui faudra-t-il presser la détente. L'instinct crie «oui», sans hésiter ! Il serait, pourtant, plus raisonnable de répondre «pas tout de suite». Il serait sage de garder al-Qaida en vie, paradoxalement pour des raisons de sécurité. Qu'on le veuille, ou non, maintenir al-Qaida (faible) est le meilleur moyen, pour le monde, de canaliser les fanatiques islamistes dans un seul réseau social — c'est là qu'ils sont le plus facilement repérables, traquables et maîtrisables. Réduire à néant cette organisation terroriste, c'est prendre le risque de fragmenter al-Qaida en des milliers de cellules, qui seraient bien plus difficiles à pister et impossibles à éradiquer. C'est le grand dilemme du contre-terrorisme, et la solution n'est pas très séduisante : al-Qaida doit survivre. Pour comprendre ce dilemme, un peu en théorie des réseaux... Al-Qaida est un groupe aux liens souples, ses membres interagissent entre eux comme on le fait sur Twitter ou Facebook. Comme sur ces plateformes, les membres d'al-Qaida se contactent de façon irrégulière. Et comme dans les réseaux commerciaux, le groupe terroriste est construit autour d'échanges. Certes, certains acteurs du réseau sont plus puissants, ou plus centraux que d'autres, mais si les recrues cherchent à rejoindre l'organisation, c'est pour de très simples raisons : une adhésion fervente au jihad, un besoin de ressources et de savoir-faire, et la chance d'agir sous le manteau de la plus célèbre des organisations terroristes. Pour sa part, al-Qaida est plus que désireuse de répondre aux attentes de ses recrues, en termes d'idéologie, de logistique et de renom. L'organisation fait face à un important turnover et doit, constamment, remplacer les membres perdus dans des opérations de l'Occident ou dans des missions-suicide. Les dirigeants intermédiaires d'al-Qaida sont cruciaux pour répondre à ce manque de personnel. Ces membres-clé ont plus de contacts que les dirigeants isolés et les nouvelles recrues, et ils font le lien entre les deux catégories. En même temps, leur plus grande exposition fait qu'ils sont plus faciles à chasser. C'est là le danger. Malheureusement, si cette couche intermédiaire disparaît, elle emportera avec elle tout espoir d'enrayer les attaques terroristes. Il est tentant de schématiser la structure d'al-Qaida, et de penser que si les figures-clé sont identifiées et neutralisées, le reste du réseau suivra. Mais si al-Qaida est détruite, et que son encadrement intermédiaire est décimé, les fanatiques les plus fervents de la planète ne graviteront plus autour d'une base centralisée. Leur alternative ? Mettre sur pied leurs propres réseaux sans nom et se rapprocher des autres rescapés d'al-Qaida. Ce n'est pas en supprimant al-Qaida que l'on se débarrassera de la menace terroriste. Ça ne ferait que rendre le monde du terrorisme plus chaotique. Théorisation fantaisiste ? Il y a, pourtant, un précédent. Souvenez-vous d'Aryan Nations, ce mouvement américain prônant la suprématie des blancs et considéré par le FBI comme une menace terroriste, au moins depuis 1999. En septembre 2000, Aryan Nations a perdu son quartier général de Hayden Lake, dans l'Idaho, suite à une décision de justice, mais ceci n'a pas vraiment nui à l'organisation. Au lieu de disparaître, elle s'est scindée en, au moins, trois entités. Dans une interview, August Kreis, le leader de l'organisation, a même reconnu les bienfaits de cette fragmentation. Désormais, a-t-il expliqué, ses collègues et lui sont «beaucoup plus difficiles à surveiller». Neuf ans plus tard, les cellules issues de la scission de Aryan Nations ont, probablement, proliféré — personne ne sait exactement combien elles sont maintenant. Sans leur siège, elles se retrouvent déconnectées.