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Un jour, il fera vraiment nuit
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 12 - 11 - 2009

Il ne faut pas parler de « libertés civiles » aux Algériens. L'expression traîne une sorte d'effet de mode démocrate, genre intellectualisations urbaines, opposants trop savants et syndicalisme d'analyse. Ce qu'il faut faire, c'est parler clairement et dire les choses en binaires. Dans quelque temps, et c'est déjà le temps depuis des années, vous ne pouvez pas vous attrouper sauf pour les mariages et les enterrements. Vous ne pouvez pas marcher dans la rue sans autorisation de wilaya et seulement en allant chez le coiffeur. Depuis un temps, déjà, vous ne pouvez pas créer un journal sans parrainage politique et « sécuritaire » directe, un cahier des charges et un engagement signé à servir d'ENTV écrite. Vous ne pouvez pas créer un syndicat sans le label de l'UGTA sur votre front et en en-tête de votre section. Vous ne pouvez pas aller protester à Alger sans vous faire tabasser par les policiers. Ni organiser un meeting en dehors de la campagne électorale, et même dans ce cas là, vous ne pouvez le faire que si vous êtes pour le vote et pas quand vous êtes contre la participation. Vous ne pouvez pas éditer un livre sans passer par le filtre de la lecture corrective et un numéro de cellule, et même là, vous pouvez être censuré après publication, arrêté, dépossédé de votre ordinateur et perquisitionné. On peut même aller plus loin et convoquer les libraires qui vous ont distribué, l'imprimeur qui vous a imprimé et les lecteurs qui vous ont acheté. Vous ne pouvez pas penser à une rencontre sur le nucléaire, la peine de mort, le syndicalisme dans le Maghreb ou le pluralisme sans le faire sous le portrait de « son patronage » et entamer votre action par une lecture de motion de soutien et de gloire éternelle pour quelqu'un qui ne l'est pas. Vous ne pouvez même pas dénoncer la guerre contre Gaza si ce n'est pas El-Qardaoui qui vous sert de parapluie. Vous ne pouvez même pas vous rassembler pour réclamer la fermeture d'une carrière sans que la police vous charge et vous ramasse, alors que vous n'avez même fait partie de la manif et que vous n'étiez là que pour ramener votre cousine qui habite seule dans la commune en siège. Votre seule chance est de le faire en Kabylie peut-être, car, là-bas, le verdict sera moins lourd et le soutien plus important. Lorsque vous irez dans un cybercafé, vous devriez vous signaler et déposer votre CIN.
Vous aurez compris que tout cela ne va pas arriver dans quelque temps, mais arrive déjà depuis des années. Cela veut dire que ce qui va suivre sera pire, ou meilleur, selon l'angle et l'emploi. Dans quelque temps, on vous demandera ce que vous faites à Alger parce que votre CIN porte l'adresse d'El-Bayadh ou de Relizane. On pourra aussi vous demander la liste des gens qui viennent passer la nuit chez vous alors qu'il s'agit de vos invités. Vous imposer de signaler les étrangers à votre quartier, vous faire signer de fausses déclarations contre votre patron, frère syndicaliste, voisin opposant ou militante active. On vous expliquera que si vous « n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous », car on ne peut s'asseoir au milieu entre le Régime et la Liberté et leur tendre les deux joues. Un jour, vous serez seul, les mains derrière le dos, une supplique entre les dents, isolé de toute part, assis sur un banc en bois dans un lieu sombre, affolé par la possibilité de l'arbitraire, dépendant d'un coup de fil ou d'un PV déjà rédigé sans vous, sans possibilité de vous expliquer sur vos actes, terrorisé par l'idée qu'on ait interprété votre demande de recours comme un manifeste de parti politique. Un jour, vous vivrez cela et là vous comprendrez ce que signifie cette expression ramollie par les démocrates et les intellectuels : « libertés civiles » et vous saurez que vous êtes coupable de ce qui vous arrive car, cela vous est arrivé à l'époque où vous ne vous sentiez pas coupable. Et si ce n'est pas vous, ce sera votre fils, ou votre petit-fils.

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