« Monsieur, j'ai longtemps résisté au plaisir malsain de vous écrire et j'ai longtemps résisté à la tentation juste de vous lancer les pierres que vos gueux ont lancées sur les nôtres, dans la capitale morte de notre arabité autrefois commune, le Caire. Je me suis dis que la politesse et la bonne éducation devaient me suffire comme métaphysique et comme hygiène ; mais voilà, vous continuez, même dix jours après votre défaite peu sportive. Vous continuez à nous insulter, en puisant dans des registres de plus en plus bas et de plus en plus immondes jusqu'à appeler au meurtre des Algériens sur vos chaînes et ondes. Votre campagne anti-algérienne vous sert de feuille de figuier pour cacher votre position d'accroupis dans le monde, cela nous l'avons compris. Mais nous avons aussi compris autre chose. Nous avons compris que vous êtes mauvais perdants. Monsieur, il a fallu cette crise pour que je distingue cette arnaque qui vous sert de fonds de commerce : comme pour les ruines des pharaons dont vous vous servez comme gagne-pain et comme identité (étrange façon de se revendiquer de ruines comme guise de civilisation !), vous vous servez de l'arabité pour monter sur nos dos à tous. Je regardais l'une de vos hideuses chaînes TV ces derniers jours et il a suffi d'une simple annonce pour que la lumière fût en moi : on annonçait un film égyptien sous le générique de film « arabe » ! Soudain, je compris l'arnaque qui dure depuis Nasser : faire passer tout ce qui est égyptien pour étant « arabe » pur. Une belle arnaque de vente concomitante et d'impérialisme culturel. A défaut de libérer votre géographie et d'en posséder de nouvelles, vous êtes donc passés maîtres dans la colonisation de l'histoire. Celle de l'arabité et des pharaons. Du coup, tout devint clair : il suffit d'attaquer l'égyptiannerie dominante pour qu'on soit accusé d'être anti-arabe. Je pense que ce sport, monsieur l'ambassadeur, vous en rappelle un autre pratiqué par l'un de vos voisins tuteur. Et c'est cela qui m'écoeurera le plus : vous avez parasité l'arabité, ce folklore splendide que l'on veut transformer en identité et en idéologie alors qu'il n'est qu'héritage à honorer. Vous en avez fait un fonds propre alors que c'est un univers ouvert. Et c'est ce qui explique pourquoi aujourd'hui les médias de vos employeurs nous accusent de ne pas être arabes. C'est-à-dire de ne pas être égyptiens. Et c'est tant mieux : si l'arabité ressemble au visage hideux de certains de vos tambours médiatiques, gardez-là, nous pouvons l'enjamber pour monter les chevaux ou traverser le Gibraltar. Monsieur l'ambassadeur, il est vrai que nous n'avons pas de « vie » culturelle, pas d'élite tapageuse, pas de salles de cinéma ni de « Nilollywood », ni de grands éditeurs, ni de bonnes danseuses de ventre. Mais j'aime, malgré le cliché émotif, répéter que, contrairement à vous et même au sphinx de vos ruines, nous avons le « nez » et la dignité. C'est ce qui explique pourquoi vous n'avez rien compris à notre réaction. L'oisiveté fait de nous des tribus éparses, mais une seule « hogra » nous transforme en décolonisateur. Et là, nous sommes décolonisés de votre culture. Nous n'en voulons plus au point de ne vouloir qu'être nous-mêmes, et pour cela, nous vous remercions. Vous nous avez montré le chemin. Le plus étrange, monsieur l'ambassadeur, c'est que, comme tous les Algériens, nous avons été heureux à cause du match et nous avons bien ri à cause de vous. Allongé sur le sol de mon pays retrouvé, j'ai ri en regardant le prétendu chauffeur du bus de notre équipe « lapidée » au Caire, gémir comme la femme d'un Pharaon d'autrefois, montrant sa chemise déchirée (déchirée de devant ou de derrière ?) pour nous accuser de tentative de viol. Etrange répétition comique, bouleversante remontée du Nil du berceau algérien, du Caire au Soudan des sources. De quoi méditer et rire longuement. Mais aussi de quoi être en colère longtemps après le spectacle affligeant offert par vos élites, spectacle de haine, de « racisme » culturel, de détestation. C'est comme si on vous a servi à déverser les frustrations cumulées par toutes vos guerres perdues et de vos crises de leadership devenues comiques dans un monde qui s'en passe. Le monde a changé et on est presque tenté de rire, malgré l'Egypte qu'on aime, de vos facéties de leader des Arabes et de vos contorsions pour occuper le statut de porte-parole d'un monde disparu. Monsieur l'ambassadeur, Nasser est mort et vous ne voulez pas l'admettre et l'Egypte est morte à nos yeux et vous en êtes coupables. Ce beau pays est aujourd'hui un souvenir comme l'est pour vous la lignée des pharaons. Le feu n'a légué que de la cendre et la vôtre est bavarde en plus d'être grise et salissante. Le plus douloureux, pour moi, c'est que je ne sais plus quoi faire de certaines des images de vos splendeurs d'autrefois et de vos mythes qui ont accompagné mon enfance. Vous vous êtes révélé hideux et méchants, avec le pire visage que l'on puisse avoir : celui de gens morts qui ne le savent pas. «L'arabité made in Egypt» ? Gardez-la et mangez-la. Nous avons mieux à faire. Berbères ou barbares, nous sommes Algériens, enfin, et tout le reste n'est que danse du ventre. Monsieur l'ambassadeur, je vais être franc: si je vous écris aujourd'hui, sachant que vous n'êtes pas à Alger, c'est pour vous demander de rester dans votre pays. Il a besoin de vous car le Nil n'est plus qu'un ruisseau sali par trop de cadavres. L'Egypte n'existera plus pour moi pendant longtemps et jusqu'à la disparition de votre employeur et de ses fils, monsieur l'ambassadeur».