Auteur prolifique, Bouchama revient avec un livre historique qui raconte la ville de Cherchell. Nous avons eu avec lui une longue discussion. Auteur prolifique, Kamel Bouchama revient avec une nouvelle oeuvre consacrée à la ville millénaire de Cherchell. La sortie de son ouvrage arrive avec la rentrée littéraire et la tenue du Salon du livre d'Alger. Tout un symbole. Avec ce livre, Kamel Bouchama semble avoir inauguré un nouveau parcours consacré à certains aspects de l'Histoire du pays. Une Histoire combien méconnue. Fonceur comme à son habitude, Kamel Bouchama, fidèle à lui-même, veut sortir désormais des «sentiers battus», comme il nous l'affirme. Nous avons pu avoir les bonnes feuilles de cet ouvrage intitulé: De Iol à Caesarea à... Cherchell (les Avatars historiques d'une cité millénaire). Cela nous incita à en savoir un peu plus avec l'auteur. L'Expression:Vous nous dites de but en blanc, en ce début de rencontre, que vous voulez terminer avec l'écriture sur la politique. Que voulez-vous dire exactement? Kamel Bouchama: Je veux dire que je souhaite ne plus écrire sur la politique quand je sais que celle-ci, telle que pratiquée en notre siècle, est la mère nourricière de toutes les contradictions... Que ne fait-on pas en son nom..., franchement? C'est pour cela que je veux crier: «Basta avec la politique et la polémique!» Les deux s'accordent convenablement et ne peuvent, malheureusement, atténuer le drame que vit la jeunesse dans ses besoins, en matière d'instruction, de travail, de logement, d'animation, de loisirs et d'autres moyens indispensables, même si nous nous contorsionnons, à longueur de journée, pour prouver que notre politique est saine, «rectiligne» et bien menée. J'ai assez écrit dans ce domaine, croyant bien faire en attirant très sincèrement, très honnêtement, l'attention de ceux qui veulent prêter l'oreille à mes commentaires et à mes conclusions que j'ai toujours arrêtées dans des dispositions justes. Mais j'ai vite déchanté en voyant l'indifférence et le laisser-aller prendre le dessus sur ce qui devrait nous mobiliser davantage: le sérieux dans le suivi et dans l'application de nos programmes, éloquemment présentés par ailleurs. Et pourtant, dans notre pays, il y a parmi ceux qui sont aux commandes, des gens très sérieux, il y a ces commis de l'Etat pleins d'enthousiasme et de détermination... Il n'y a qu'à les écouter plus. Maintenant, je veux me consacrer à d'autres genres d'écritures, à l'Histoire et au roman, pourquoi pas? Ainsi, j'ai écrit ce livre, après mon premier roman, Ne m'en voulez pas, le rêve est gratuit, qui a déjà paru aux éditions Alpha, comme première tentative pour dire aux jeunes qu'il est le fruit du désir d'ouvrir les yeux sur la richesse culturelle, sociale et historique d'une ville antique comme Cherchell, en même temps qu'il prélude une série d'écrits dans cette variété, dans la reconstruction du passé par l'intelligence, afin de préserver et d'entretenir la mémoire collective et séculaire. Et le livre en lui-même, comment l'idée vous est-elle venue pour l'écrire? D'abord, j'avoue que le déclic s'est produit à Damas, pendant que j'étais en poste. C'était là où j'ai eu une «émotion» désagréable après que quelques amis syriens de la culture, qui visitaient la région d'Alger, m'aient fait un «constat sévère» sur l'état de notre patrimoine historique. Je leur avais recommandé, avant leur départ pour Alger, d'aller vers des sites de notre passé, notamment à Cherchell, ma ville natale, ancienne capitale de la Maurétanie césarienne. Les Syriens, les Egyptiens et les Jordaniens, pour ne citer que ceux-là au niveau de nos frères arabes, savent ce que veut dire le patrimoine historique et culturel, la conservation des sites, et quel est leur apport sur le plan touristique. «Une région splendide, mais... à l'abandon, surtout les monuments de l'Antiquité qui sont complètement délaissés...», m'ont-ils dit à leur retour. Ce constat, je le connaissais depuis très longtemps, mais l'entendre d'autres bouches - de ces «juges» qui sont des amis et des frères de sang -, cela m'a profondément bouleversé, cela m'a fait beaucoup de mal. Là, j'ai compris que nous sommes très en deçà de la sollicitude manifestée au patrimoine matériel et immatériel dans d'autres pays qui ont eu leur Histoire, comme nous avons eu la nôtre. Et l'idée m'est venue de dire aux jeunes, surtout eux qui vivent cette atmosphère de relativité, à cause de notre indifférence, ce que nous étions il y a des siècles, ce qu'était cette région du temps des rois Juba et, bien après, pendant différentes périodes de son Histoire, jusqu'à un passé pas tellement lointain. L'idée d'écrire sur l'Histoire a fait donc son chemin, et encouragé par des amis je n'ai plus hésité. Ces appels ont été pour moi la bénédiction que j'attendais peut-être pour m'engager une fois pour toutes dans l'écriture de ces belles pages sur Cæsarea-Cherchell? En tout cas, ils m'ont beaucoup stimulé. Et là, je me suis dit: «Pourquoi pas? Vas-y..., essaie!». Ainsi, est née l'idée de me lancer sérieusement dans l'écriture de cet ouvrage. Alors vous l'avez écrit, vous l'avez terminé, et il est là entre nos mains... Oui, le livre est là. Encore un nouveau-né dont je suis fier d'avoir produit. Quant à son contenu proprement dit, les lecteurs auront le plaisir d'apprécier à travers plus de 400 pages, dont une bonne partie est réservée à l'iconographie, cette remémoration de mes ancêtres au temps des rois numides. Oui, je me remémore Juba II architecte, homme de lettres et de sciences, la reine Cléopâtre Séléné, son épouse, le roi Ptolémée, leur fils, qui a failli être empereur de Rome et dernier pharaon d'Egypte - dit-on -, s'il n'eût été assassiné par son cousin Caligula. Je me remémore Macrin ou «l'Imperator Caesar Marcus Opellius Severus Macrinus», un enfant de Cæsarea qui est monté sur le trône de l'Empire romain en 217 ap-J.-C., sous le règne des Sévères. Il sera pour l'Histoire, le premier empereur à être issu d´une famille d´origine, native de Cherchell. Je me remémore Priscianus Caesariensis ou Priscien, célèbre grammairien byzantin de Cæsarea qui enseignait à Constantinople et dont la scolastique a émerveillé le Moyen Age, et bien d'autres savants qui nourrissaient un véritable intérêt à la littérature et à la culture punique et gréco-romaine. Je revisite cette époque riche en vie spirituelle, culturelle et artistique qui a engendré des chefs-d'oeuvre de création. Les vestiges et restes de monuments sont là pour témoigner de ce que fut ce grand Royaume de Juba. Ainsi, on ne s'étonne pas que Iol-Cæsarea-Cherchell ait pu enfanter ou adopter, des siècles après, de célèbres combattants, de grands érudits, d'illustres politiciens et hommes de culture. Ceux-là nous viennent à l'esprit, un à un, nous comblant de fierté et de bonheur. Il s'agit du saint et éminent savant Sidi-Braham El Ghobrini, docteur en théologie et brillant disciple du Cheikh El Bekri de l'université d'El Azhar, de l'intrépide combattant Malek El Berkani, né en 1780, fougueux révolutionnaire dans toute la région des Béni-Menaceur jusqu'à Cherchell et au-delà, et son parent Mohamed El Berkani, calife de l'Emir Abdelkader pour la région du Titteri, du docteur Mohamed Ibn Lerbey (ou Benlarbey), premier médecin algérien pendant la colonisation, fervent patriote et militant de la cause nationale, très apprécié par le non moins illustre Victor Hugo, son ami, qui l'a honoré de sa présence à la Sorbonne lors de soutenance de sa thèse de doctorat en médecine. Bien plus tard, ce chapitre des gloires nous révèlera Ahmed Benhamouda, le professeur agrégé d'arabe, spécialiste en grammaire et en astronomie, auteur de plusieurs ouvrages en ces matières, comme il nous révèlera la grande écrivaine Assia Djebar, que dis-je la célébrissime... qui a été honorée par sa désignation en tant que membre de l'Académie française. Un choix ô combien judicieux pour cette fille du vieux Cherchell! Ainsi, à travers ce livre, je veux aboutir à cette vérité historique, mais surtout, à cette prise de conscience de la jeunesse algérienne pour l'Histoire exaltante de son pays..., un pays qui n'est pas né du néant par la grâce d'une quelconque mission «civilisatrice», ni par celle d'une «fetwa» de quelques illuminés. Notre pays a une Histoire plusieurs fois millénaire! Quand nous lisons les bonnes feuilles de votre livre, nous sentons comme de la nostalgie qui se dégage à travers de nombreuses assertions sur la qualité de la vie de l'antique Cherchell, sur ses réalisations et enfin sur ses bonnes traditions qui ne quittent pas les anciennes familles qui y résident. Tout d'abord, j'ai le plaisir de vous dire que ce livre est un coup de coeur, indépendamment de ce que je vous ai raconté, auparavant, concernant ce malheureux, mais judicieux constat, de ce groupe d'hommes de culture syriens et qui m'a bouleversé... Je vais jusqu'à dire qu'il a eu l'effet d'un séisme en moi. Maintenant, que l'on sente de la nostalgie dans ce livre..., peut-être que oui, car je l'ai écrit en revisitant Cherchell de ma jeunesse, cette ville qui était propre, attirante, accueillante..., cette ville où le bleu de la mer s'assortissait harmonieusement à celui du ciel. Je l'ai écrit en me situant dans cette ville où tout parle, la terre, les pierres, les arbres, les fleurs et les oiseaux. Je l'ai écrit pour raconter aux jeunes que cette capitale de l'Antiquité a bel et bien rayonné dans la Méditerranée, dans le passé de cette terre plusieurs fois millénaire dont les maillons d'une chaîne généalogique s'emboîtent progressivement..., dans un puzzle où chaque élément trouve patiemment sa place. Est-ce encore une fois de la nostalgie, ce que j'écris? En tout cas, ceux qui me liront sentiront que beaucoup d'émotions, d'heureuses émotions, se bousculent dans mon esprit quand j'évoque les temps anciens. Ces temps qui me viennent instantanément dans un environnement céleste, dans une atmosphère spirituelle particulière, provoquée par la vue de tant d'ingéniosité créative et artistique. Mais quand il s'agit de notre présent, j'écris avec mon aisance habituelle et je pose des questions, après avoir analysé ce qui se fait ailleurs en matière d'Histoire: «Qu'en a-t-il été chez nous, qu'en est-il?» Eh bien, présentement, il ne reste rien ou très peu, chez nous, à cause de toutes les péripéties dramatiques qu'a traversées notre pays depuis des décennies. Il ne reste que les ruines, après tout le panache et la somptuosité que l'Histoire a imposés à nos aïeux. Je parle de l'Histoire..., l'authentique, pas celle déformée par le colonialisme pour nous déprécier et nous réduire au rang de cette race qui n'a «aucune individualité positive», ou par quelques «apprentis-sorciers», dont la profondeur de l'indigence intellectuelle n'a d'égale que l'étendue de l'infini ou... celle du néant. Alors, plonger dans le passé permet de saisir les facteurs fondateurs de l'identité nationale, la formation des constantes, symboles d'appartenance à un même peuple, d'expliquer la résistance commune et solidaire à toute occupation, ainsi que le combat pour de nobles idéaux que tant d'événements historiques ont permis à des générations de s'affirmer politiquement, culturellement et scientifiquement dans le concert de la Méditerranée. De Iol à Caesarea à... Cherchell (Les avatars historiques d'une cité millénaire) de Kamel Bouchama Aux «Mille Feuilles» Sid-Ali Sekheri, libraire-éditeur 26, rue Khelifa-Boukhalfa