Les réactions autour des salaires des élus locaux, fixés par le décret exécutif n° 13-91 du 25 février 2013, n'ont pas fini de tonner dans les couloirs des mairies. La «jalousie» qui envenime les rapports entre élus dans les Assemblées populaires locales se propage aux personnels administratifs des communes et wilayas, menaçant dangereusement la stabilité des cellules de base de l'Etat et influant déjà négativement sur le rendement de travail d'une façon générale. «Trop d'injustice affecte cette politique des salaires consentis aux élus locaux», estime un haut cadre de la commune de Constantine, conforté dans sa vision par d'autres responsables de l'administration communale ou locale interrogés sur le sujet. Pour l'administratif de grade administrateur principal ou administrateur qui occupe un poste de responsabilité dans une direction, et qui totalise quelque 15 ou 20 ans d'ancienneté, le nouveau venu qu'est l'élu est mieux loti en matière de salaire, indique-t-on dans ce sillage non sans faire la moue. Un maire qui débarque fraîchement touche entre 77.000 dinars et 132.000 dinars, en fonction de la strate de population de la collectivité qu'il préside (pour une commune de 10 mille âmes, le P/APC percevra 77 mille dinars répartis entre les différentes indemnités mensuelles de base, de représentation et de poste, et si le nombre d'habitants de la commune est compris entre 100.001 et 200.000, il gagne mensuellement 121 mille dinars pour arriver à 132 mille dinars si sa commune dépasse les 200 mille personnes), devançant de loin, de très loin, la rémunération accordée à un cadre qui compte sur sa fiche de carrière plusieurs années d'ancienneté, et qui arrive à arrondir difficilement sa mensualité à 50.000 dinars. « Il n'y a pas mieux pour casser le moral des troupes qui ont vu défiler plusieurs Assemblées et qui se voient au bas de l'échelle salariale», avouent des cadres de l'administration communale. «Voyez l'exemple d'un chef de secteur urbain, qui dépend de l'administration et qui touche entre 30.000 et 40.000 dinars pour une masse de travail très importante, alors que le délégué communal du même secteur urbain, qui tient son bureau juste à côté du sien, perçoit plus du double de la somme, souvent sans rendement significatif», ajoutent nos interlocuteurs non sans dépit. Résultat de la course, le chef du secteur urbain, la tête pleine de points d'interrogation, n'a plus la même envie à l'œuvre. La même préoccupation perturbe les esprits sur d'autres échelles de l'administration locale, où les inégalités de salaires entre élus et administratifs font des émules, car les présidents des Assemblées populaires de wilayas (APW) touchent, quant à eux, entre 93.000 à 162.000 dinars par mois suivant le nombre d'élus par APW, soit plus que ce que percevrait un secrétaire général de la wilaya, ou le wali lui-même ! «On aurait été mieux avisé de décréter des salaires au moins équivalents entre élus et administratifs, à défaut de hisser ces derniers à des niveaux de salaires supérieurs», préconise-t-on. D'autres estiment qu'on aurait mieux fait de garder «la gratuité» du mandat de l'élu, en vigueur lors des mandatures précédentes, en décrétant d'autres avantages sociaux à son profit, à l'exemple de l'amélioration des conditions de travail, le logement décent, les facilités de déplacement, de restauration, bref un véritable statut qui sied à un élu du peuple et qui lui permettra de défendre au mieux les intérêts de sa commune et de ses habitants. Car, avec un salaire pareil, l'élu se met dans l'habit d'un haut fonctionnaire et le seul souci qui véhiculera, désormais, ses idées durant un mandat de cinq ans, sera celui de garder intact l'avantage du salaire mirobolant, devenu hélas «El Khobza» pour plusieurs d'entre eux. En sus, bien sûr, d'autres pouvoirs d'influences qui peuvent rapporter gros en matière d'indemnités parallèles qui échappent au fisc, celles-là. En tout cas, on aura réussi le pari, avec ces salaires accordés aux élus locaux, de faire baisser les bras aux cadres de l'administration communale qui, du coup, se mettent à rêver d'embrasser un mandat électoral. Encore faudrait-il, là aussi, décrocher un poste de président d'assemblée, de vice-président, de président d'une quelconque commission ou d'une délégation communale, les seuls à bénéficier des largesses dans le salaire. Un élu sans poste, quoiqu'il puisse prétendre au cumul de fonction et garder son salaire d'origine, dépasse à peine la moitié du Smig (9000 dinars). D'où, d'ailleurs, les luttes qui secouent les Assemblées pour se départager les postes entre élus. Et là où les choses ne prêtent plus à négociation, les élus sans poste rechignent à la tâche. «Les commissions ne se réunissent plus, car leurs membres, auxquels échoit la préparation des dossiers, sont mécontents de faire tout le travail sans contrepartie salariale, alors que le président de la commission qui ne fait absolument rien, bénéficie d'un salaire sept fois supérieur», s'indignent des membres d'une commission communale de l'APC de Constantine qui avouent «qu'ils ne se sont pas regroupés autour d'une table depuis bien longtemps». Pour réparer tant «d'imperfections», faut-il songer à un retour au «mandat gratuit» de l'élu, ou du moins penser à équilibrer ces salaires entre élus eux-mêmes, ceux occupants des postes clés de l'exécutif et le reste, et trouver aussi une entente salariale entre élus et administratifs ?