L'information rapportée, samedi der nier, par l'APS concernant le rapatriement des ressortissants algériens du Yémen, en guerre, aurait pu être anodine malgré son caractère exceptionnel mais les informations rapportées, quelques jours après l'atterrissage de l'Airbus A330 d'Air Algérie sur le tarmac de l'aéroport international Houari Boumediene' donnent un nouvel éclairage sur cette opération d'exfiltration. Selon certains comptes-rendus de la presse, on serait passé à un cheveu d'un incident diplomatique entre Alger et Ryadh dont les conséquences auraient pu être désastreuses pour les 200 passagers et le personnel naviguant algériens. Et c'est à la lumière de ces révélations que le message sibyllin du chef de la diplomatie algérienne prend tout son sens lorsqu'il a tenu à remercier l'équipage de l'A330, en soulignant le caractère dangereux de la mission et les risques encourus. De prime abord, on a estimé que Ramtane Lamamra félicitait les pilotes pour avoir survolé un pays en guerre et atterri à l'aéroport de Sanâa, malgré tous les dangers, mais en fait, il aurait fait allusion à l'attitude, à la limite de l'hostilité, des Saoudiens dans cette opération. Pour comprendre la réaction de l'Arabie Saoudite, il faut revenir à l'offensive aérienne «Tempête décisive» lancée, le 25 mars dernier, par une coalition arabe, menée par Riyad, contre les rebelles houthis, au Yémen et le refus argumenté d'Alger de rejoindre cette croisade anti-chiite. Un refus exprimé d'autant plus par l'Algérie en plein sommet de la Ligue arabe à Charm el-Cheikh et perçu comme un affront par l'axe égypto-saoudien. Les Algériens sont, alors, dans l'obligation de rapatrier leurs ressortissants estimés à plus d'une centaine dont les diplomates et leurs familles. En tout 160 Algériens figurent sur la liste des personnes à évacuer, une liste ouverte aux ressortissants des pays voisins qui n'ont pas pu quitter le Yémen. Ainsi 40 Tunisiens, 14 Mauritaniens, 8 Libyens, 3 Marocains et 1 Palestinien seront du voyage. L'opération est pilotée par la présidence de l'Etat et à Alger, on décide d'envoyer le plus gros appareil civil de la compagnie nationale aérienne, un Airbus A330. Pour les Algériens, le plus grand danger de cette mission reste la dangerosité de l'espace aérien yéménite avec d'un côté, plus d'une centaine de chasseurs de la coalition arabe et de l'autre, une rébellion qui dispose de missiles anti-aériens de différentes portées. Un plan de vol est établi mais c'était sans compter sur la réaction des Saoudiens qui viendront tout remettre en cause. L'aéroport de Sanâa, qui n'est pas desservi par Air Algérie, se trouve à une altitude de plus de 7.300 pieds, rendant le décollage d'un avion à pleine charge de carburant très périlleux. L'équipage est donc obligé de faire l'ensemble du trajet avec un seul plein, un scénario probable, à condition de survoler l'espace aérien saoudien. Avant le début de l'opération, le ministère algérien des Affaires étrangères prévient Ryadh et Le Caire de la mission et partage le plan de vol avec l'ensemble des pays qui seront traversés ou qui risquent de l'être, par l'appareil d'Air Algérie. Précautions d'usage pour un vol qui décolle d'Alger, le jeudi dernier, et qui se passe, normalement, jusqu'à l'approche du ciel saoudien. Alors que l'équipage s'attendait à une escorte militaire à partir de l'Arabie Saoudite, ils sont surpris par l'attitude des chasseurs envoyés pour les dissuader de pénétrer dans l'espace aérien. Le contrôle saoudien prend le relais et prévient l'équipage de l'interdiction et le somme de rebrousser chemin. Surpris, les Algériens demandent un déroutement vers Dubaï. Mais là encore, le ton de la tour de contrôle est sans équivoque : l'espace saoudien est fermé à l'ensemble des appareils algériens. L'équipage n'a d'autres choix que de se rabattre sur l'aéroport du Caire où l'A330 atterrit, moins d'une heure et demie plus tard. Mais là non plus rien ne se passe comme prévu. La délégation algérienne est malmenée et ses membres sont dirigés vers l'hôtel habituel où logent les équipages d'Air Algérie puis y sont assignés à résidence, pour 48 heures, avec interdiction de quitter l'établissement. A Alger, les plus hautes instances réagissent et on prévient Ryadh que la mission sera menée jusqu'au bout. Pourtant, l'avion ne décollera du Caire que deux jours plus tard, piégé par les conditions climatiques. Il se posera, samedi, à Sanâa pour embarquer, en toute sécurité, les personnes concernées par le rapatriement. A l'arrivée de l'A330 à l'aéroport d'Alger, rien ne filtrera sur les péripéties de cette exfiltration ni sur l'attitude négative des Saoudiens et des Egyptiens. La diplomatie aurait repris ses droits et l'incident diplomatique évité.