François Maspero vient de mourir. Ce nom résonne-t-il aux oreilles algériennes ? J'en doute. Et pourtant Né en 1932, François est le fils et le petit-fils de savants illustres, Professeurs au Collège de France, l'égyptologue Gaston Maspero, qui a laissé son nom à un quartier du Caire et le sinologue Henri Maspero, mort dans le camp de concentration de Buchenwald. Lui-même a été écrivain, éditeur. Il a notamment publié «l'Honneur de Saint-Arnaud» en Algérie, à Casbah Editions. Il a consacré sa maison d'édition à la publication d'œuvres choisies pour leur engagement contre le colonialisme, la lutte contre la torture, la dénonciation du racisme. Son nom reste attaché à la guerre d'Algérie. Il a assuré la sortie d'ouvrages tels que «L'An V de la révolution algérienne» (1959), de Frantz Fanon, «Ratonnades à Paris», long article (non signé), de Paulette Péju, «L'Algérie, nation et société» (1965), de Mostefa Lacheraf. Il fonde, en 1961, la revue «Partisans» qui devient l'un des porte-voix incontournables du mouvement anticolonialiste. Il lance, en 1959, la collection «Cahiers libres» pour «combler les lacunes de l'information sur la guerre d'Algérie». La censure gaulliste s'abat sur lui. Des livres et des articles sont frappés d'interdiction. Avec les Editions de Minuit, fondées par Jérôme Lindon, les éditions Maspero sont les seules, en France, à braver le pouvoir, la répression et les attentats de l'OAS. Lassé par les luttes et les désillusions, François décide de passer la main à un de ses collaborateurs, François Gèze, qui rebaptise la maison et en fait «La Découverte». Il a écrit de nombreux romans, édités au Seuil, «Le Sourire du chat» (1984), «Le Figuier» (1988), «Le Temps des Italiens» (1994) ou «La Plage noire» (1995). Ces livres lui ressemblent, par le nimbe de lumière dans lequel ils sont enchâssés, par la sourde désespérance dont on perçoit l'écho. La vie ne l'a pas plus épargné après la guerre. Il ne s'est jamais, vraiment, remis de la perte d'une compagne et d'une fille bien-aimées. François était très ami avec le chroniqueur et écrivain algérien, Sadek Aïssat, qui écrivait «les chroniques du café mort» dans le «Matin d'Algérie» jusqu'à son départ, en France, en 1990. Sadek est mort, il y a 10 ans. Nous avons commémoré ce douloureux anniversaire, en compagnie de François, autour d'un couscous Sadek et François avaient, en partage, un mal d'être que Sadek évacuait par le chaabi et François par des engagements, en pointillés, pour des causes choisies. C'est ainsi que j'ai eu le privilège de le connaître. Il a, en effet, fait partie du Comité organisateur du Tribunal «Russell» sur la Palestine. Nos réunions se passaient à Bruxelles et nous voyagions souvent ensemble. C'était un «taiseux», espèce rare dans les rues parisiennes gonflées de conversations ineptes. Il pouvait, même, avoir l'air revêche. Il était en fait d'une délicatesse extrême et très affectueux. Aux funérailles de sa compagne, son visage s'est éclairé à ma vue. Il m'a serré dans ses bras, «à l'algérienne» Salut, François