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De la nécessaire prééminence de l'hôpital public
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 24 - 08 - 2017

Les sages ne sont pas sages parce qu'ils ne commettent jamais d'erreurs. Ils sont sages parce qu'ils corrigent leurs erreurs dès qu'ils les reconnaissent. Orson Scott Gard (1951)
Un évènement en chasse un autre. Le dernier en date ayant trait au changement intervenu à la tête du gouvernement a éclipsé les événements tragiques de Ain Oussera et seules les familles de la parturiente et son nouveau né décédés et celles des personnels de santé incarcérés continuent à en subir douleurs et angoisses.
Ces événements suivis d'autres relatifs à la mauvaise prise en charge des malades rapportée par la presse ont fait et feront encore des victimes, au premier chef les malades mais aussi les personnels hospitaliers, médecins et paramédicaux. Ces derniers ne sont pas responsables et surtout pas coupables de tous les griefs et autres énormités qui leurs sont imputés. Tous les corps de métiers, tous les secteurs d'activités ont leurs moutons noirs, et les événements tragiques de Ain Oussera et en d'autres lieux ne doivent pas jeter à la vindicte populaire des hommes et des femmes qui font de leur métier un véritables sacerdoce, en participant à sauver des vies humaines souvent dans des conditions de travail précaires et pénibles qui, sous d'autres cieux ne sont et ne seront jamais acceptées par leurs confrères et consœurs. On a vite fait d'oublier tout ce que ces corps ont pu donner à la population, les statistiques des établissements publics de santé étant à disposition pour relever les actions positives. Et il est certain que les médecins et le corps paramédical peuvent faire mieux pour l'intérêt des malades si les conditions de travail sont améliorées.
Pourtant l'enveloppe financière d'un montant de 619 milliards de dinars, allouée au secteur de la santé dans le cadre du programme d'investissements publics pour la période 2010-2014 montre bien que le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens pour améliorer la qualité et le développement des infrastructures de la santé et leurs équipements afin de permettre d'assurer une meilleure prise en charge des malades. Ce programme très ambitieux et très coûteux, n'a, à l'évidence pas atteint les objectifs assignés. Les raisons ? La garantie d'atteindre ces objectifs était d'éviter les erreurs du passé en le faisant nécessairement accompagner par des mesures parmi lesquelles figurant la formation des cadres gestionnaires des établissements de santé, la formation des formateurs en en enseignement paramédical, la formation des agents paramédicaux pour la fonction des différents établissements programmés et, en même temps mettre en place de dispositions incitatives pour une meilleures répartition des médecins spécialistes à travers le territoire national. L'une des raisons de la mauvaise prise en charge des malades est ce manque de médecins spécialistes ; les « déserts médicaux » chez nous ne se limitent pas seulement au grand sud (sans jeu de mots). L'exécution du programme cité lui-même est discutable : trop de restes à réaliser et la réalisation de beaucoup de structures gelées, notamment les nouveaux centres hospitalo-universitaires. Enfin, une raison simple : l'organisation et le fonctionnement des structures publiques de santé. Les soignants, personnels médicaux et paramédicaux, principaux acteurs des activités de soins vivent mal leur relation au quotidien avec les malades des conséquences de la mauvaise organisation qui prévaut dans leurs lieux de travail, et n'ont pas de solutions pour y remédier.
Que faire alors pour améliorer les conditions de prise en charge des malades ? D'aucuns répondront qu'il faut changer de système, le système étant responsable de tout ; mais là il s'agit su système de santé. Il est dit que la nouvelle loi sur la santé va devoir améliorer notre système de santé.
Rappel: Un système de santé est défini comme étant l'ensemble des organisations, des ressources et des personnes dont l'objectif principal est l'amélioration de la santé.
Pour renforcer les systèmes de santé, il faut surmonter des obstacles dans plusieurs domaines : effectifs des personnels de santé, infrastructures, matériel médical et médicaments, logistique, suivi des progrès et efficacité du financement. Pour fonctionner, un système de santé a besoin de personnel, de moyens financiers, de moyens de transport et de communication, ainsi que d'orientations générales. Il doit fournir des services correspondant aux besoins et financièrement justes et traiter les patients décemment.
Il est important d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques, des stratégies et des plans sanitaires nationaux solides et d'en assurer le suivi. En se conformant aux principes de transparence, de responsabilisation, d'équité, de réalisme et d'efficacité, ces plans doivent conserver l'orientation stratégique donnée lors de la conception de la mise en œuvre des politiques, et corriger les évolutions indésirables ainsi que les distorsions du système de santé.
Le projet de Loi sanitaire qui sera prochainement soumis à l'Assemblée populaire nationale et que devra donc pourvoir notre système de tout ce qu'il lui sera nécessaire et utile pour répondre aux besoins de santé et de soins de la population. Nous le souhaitons comme nous souhaitons l'adoption de cette loi avant la fin de l'année 2017. En effet, ce projet de loi date de seize années, il a fait l'objet de sempiternels débats et autres enrichissements adoptés par le gouvernement au cours de l'année 2016 pour être reporté sine-die pour des raisons conscientes ou inavouées.
La lecture de ce projet de loin nous permet d'émettre une courte analyse se limitant aux points essentiels qui rendent compte de ce projet de texte de loi en comparaison de la loi sanitaire 85-05 du 16 février 1985 modifiée et amendée à plusieurs reprises. Notre pays s'était engagé dans une stratégie de développement sanitaire originale, basée sur le principe de la « médecine gratuite pour tous » ? L'ordonnance n°73-65 du 28/12/1973 instituait la gratuité totale des soins, à l'échelle de l'ensemble des établissements sanitaires publics. Cette mesure s'inscrivait dans le train des réformes radicales entreprises à l'époque par l'Etat qui multipliait les marques de sollicitudes à l'égard des « masses » à l'instar d'autres opérations, telles l'industrie industrialisante, la réforme devenue la révolution agraire, choix politiques se réclamant du principe de justice sociale.
La loi 85-05 du 16 février 1985 a repris l'essentiel des dispositions de l'ordonnance n°73-65 du 28 décembre 1973
Quelle incidence a eu cette stratégie de développement sanitaire? Réduit à sa dimension financière, précisément au paiement de l'hospitalisation et des actes médicaux les effets escomptés en termes de satisfactions des besoins en soins de la population de l'ordonnance suscitée n'ont pas été convaincants. Une mesure aussi radicale que la gratuité des soins a pu considérablement favoriser le recours aux services de santé dans les catégories de population qui en étaient auparavant largement exclues. Mais la levée de l'obstacle financier n'a pas supprimé pour autant les autres facteurs de blocage. Elle les a même exacerbés, des usagers confrontés aux pesanteurs administratives ou à une médiocre couverture des besoins en santé ont souvent remis en question la notion même de « gratuité ». Le succès d'une telle mesure à moyen ou long terme impliquait la mise en place d'une série de conditions difficiles à réunir simultanément : renforcement considérable des ressources humaines et matérielles, planification rigoureuse. Par ailleurs, la « médecine gratuite » était censée bénéficier à tous les citoyens sans distinction : position claire en apparence, de nature à susciter un consensus général, tout en soulevant des interrogations quant aux principaux bénéficiaires réels de cette mesure. L'égalité des droits est-elle le meilleur moyen d'améliorer les conditions d'accès des plus pauvres aux soins de santé ?
L'Etat providence ayant cédé le pas à l'Etat régulateur, les réformes, et non des amendements, sont plus que justifiées et leur mise en application qui tarde est même préjudiciable. L'aspect incontestablement nouveau que l'on veut donner à nos établissements publics de santé ne doit pas pour autant amener le réformateur à faire délibérément abstraction du passé, comme cela a été avancé : que la prise en charge des patients va devoir s'améliorer par le développement de l'hospitalisation privée.
L'hôpital public est cet ultime espace d'égalité que la collectivité a le devoir de sauver avant que le dégât dans le système de soins et dans l'opinion ne soient trop importants. La tendance dominante du projet de loi sanitaire est celle du désengagement de l'Etat tant sur le plan financier que sur celui de la définition et la mise en œuvre des politiques de santé. Il y a déjà un massif transfert des charges financières de l'Etat vers les ménages sans que le pouvoir d'achat de ces derniers n'ait pu être amélioré.
Le souhait est que dans cette nouvelle loi sanitaire, on ne substitue pas la doctrine du coût de la vie humaine aux principes intangibles du respect de la vie et de l'être humain. Prolonger la durée de vie et améliorer l'état de santé de la population sont à l'évidence, les premiers objectifs du système de soins. Compte tenu de ces objectifs collectifs, l'Etat doit affecter à la Santé un montant optimal de ressources, en prenant les mesures utiles pour la meilleure répartition de ces ressources entre les différentes formes alternatives de soins. Est-ce une utopie de souhaiter que la nouvelle Loi sanitaire doive en principe, veiller à un nouveau système de santé qui soit plus équitable, qu'il assure une juste répartition des charges, en permettant une équité de traitement en mettant à égalité tous les Algériens devant la maladie, devant la mort.
La Loi sanitaire que doivent examiner et en débattre les membres de l'Assemblée populaire nationale garantit-elle cela ?
Ce projet de Loi peut-il répondre aux attentes des professionnels de santé ? Il semble que non, en tous les cas pas à toutes les attentes, compte tenu des réactions des professionnels de la santé, du Conseil de l'Ordre et des différents syndicats des médecins notamment. Peut-il répondre efficacement aux attentes des patients ? La réponse est réservée, du moins pour la catégorie la plus démunie de la population, surtout en matière d'accès équitable aux soins.
Pour faire réussir les changements souhaités, il faudrait une volonté suivie dans le gouvernement. Les réformes proposées sont ,en fait, une résultante et non la conséquence d'un postulat et ce, depuis le rapport général sur l'organisation du système de santé du ministère de la Santé élaboré en 1990, en passant par la stratégie alternative du système de santé née des assises nationales de la Santé de 1998. Ces propositions de réformes, reprises pour l'essentiel en 2001,devaient par leur application, bousculer l'ordre établi, celui de la stagnation.
Dans toute crise ou arrêt de croissance économique, ce sont les malades et les exclus qui sont les premières victimes. Est-on réellement convaincu que le développement du secteur privé, cliniques et hôpitaux, pourrait assurer aux Algériens de meilleurs soins avec le respect garanti du principe d'égal accès?
Il est plus que souhaitable que l'hospitalisation publique ne soit pas placée en situation de concurrence avec un secteur privé de plus en plus puissant ; la future loi sanitaire doit faire valoir la différenciation du secteur public-secteur privé se traduise par la spécialisation des établissements et par des relations de complémentarité plus que de substitution.
Un aspect important qui semble ,à chaque fois, être omis dans les réflexions sur notre système de santé, la planète cachée de l'hospitalo-universitaire, la corrélation de l'enseignement en sciences médicales et notre système de santé. La santé pour la formation ou bien la formation pour la santé de la population ? N'est-ce pas les besoins de santé qui doivent déterminer les plans de formation en sciences médicales ?
Notre époque est caractérisée par un éclatement entre les divers modes d'exercice et un nombre toujours croissant de spécialités, sous spécialités voire crypto spécialités, faisant oublier la nécessité d'une approche globale des besoins en soins de la population et l'unicité de la médecine et ce, dans l'intérêt des malades de tout le pays et pas seulement des grandes villes. Le choix des étudiants en post-graduation en spécialités médicales est souvent déterminé par la projection hospitalière du secteur privé plus que celle de l'hôpital public.
Cela est dû au rapport à l'argent, rapport devenu ambivalent: les médecins exerçant dans le secteur public ont ce sentiment profond d'absence de reconnaissance sociale dont le salaire est révélateur. Les jugements négatifs sur les salaires font appel à trois types d'arguments : les restrictions de consommation (logement, culture) qui engendrent un sentiment de déclassement et l'écart de salaires avec d'autres professions. Mais c'est surtout la comparaison avec d'autres catégories socioprofessionnelles au regard de leurs diplômes, de leurs compétences et de leurs responsabilités qui est insupportable. La possibilité d'exercer en médecine libérale, d'une manière formelle ou informelle, contribue à obscurcir la situation : cet exercice dans le secteur privé opère un déplacement dans l'ancrage professionnel, au point que l'activité libérale devient le pôle professionnel principal, et le poste professionnel du secteur public une activité secondaire.
Dans notre société gouvernée de plus en plus par l'argent, le fossé s'est creusé entre ceux qui disposent d'une machine à sous (des tiroirs-caisses) et ceux dont les seuls actes sont intellectuels. Dans un avenir proche (nous y sommes déjà) il y aura d'une part, de simples médecins cliniciens assurant le recrutement à l'hôpital public et prenant en charge les malades dans des conditions toujours pénibles que la nouvelle loi sanitaire ne pourra réduire et d'autre part la médecine du « privé » occupée et préoccupée par le seul but lucratif. Nous l'avons dit et nous le répétons avec force aujourd'hui : la médecine qui se pratique en Algérie, dans le secteur public n'assure pas la prospérité des médecins. On ne saurait reprocher aux établissements privés leur but lucratif puisque c'est précisément leur statut. Les établissements privés ont pour raison d'être la réalisation de profits. Alors qu'ils sont censés accomplir des missions de service public, leur objectif reste la rentabilité financière. Les cliniques rechignent à accepter des patients jugés « peu rentables ». Et ce sont les hôpitaux publics qui prennent les malades les plus « lourds ». Vus par les malades, les médecins des hôpitaux publics ne sont plus des intermédiaires éclairés par le savoir, mais des techniciens qui doivent désormais être en mesure de répondre à tout et à tous, sans délai, sans échec et sans risque. Ces malades n'ont pas la même exigence quand ils sont hospitalisés en cliniques privées et en payant souvent des sommes exorbitantes. Certains parents vont à une extrémité jamais égalée en agressant physiquement les médecins et autres personnels des établissements publics de santé. Un point important est occulté : la place du médecin dans notre société et notamment du médecin du secteur public. Le rapport à la santé dans notre société a changé, illustré ces derniers jours par les évènements malheureux suscités après la mort d'une parturiente et l'attitude de la population à l'endroit des médecins et agents paramédicaux du secteur public. Aujourd'hui, il est indéniable que, bon gré mal gré, les docteurs devront fournir de meilleurs soins médicaux à une population plus étendue que jamais et de plus en plus exigeante.
Le ministre de la Santé de la Population et de la Réforme hospitalière ne semble pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation des hôpitaux publics. Les derniers évènements tragiques l'interpellent et sont là pour lui rappeler le caractère urgent des décisions à prendre. Ces évènements rappellent aux législateurs la nécessité d'assurer, par les dispositions de la nouvelle loi, la pérennité et surtout la prééminence du secteur public dans le système de santé algérien.
L'Emir AbdelKader au docteur Aliquié, médecin inspecteur des armées en remerciements pour ses soins..
« Quand l'âme livre combat au corps pour se débarrasser des liens qui la retiennent, la science en votre personne, vient rétablir l'harmonie, car là est votre domaine : les secrets de la vie la plus intime vous appartiennent. »


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