Alors que sous d'autres cieux l'on s'achemine vers la suppression du roaming (itinérance) entre les réseaux mobiles de plusieurs pays, après avoir mis fin, depuis plusieurs années, à l'asymétrie des tarifs de terminaisons d'appels, en Algérie on continue à faire de l'interconnexion une source de revenus pour certains opérateurs. L'Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) a publié sur son site web les décisions relatives à l'approbation des catalogues d'interconnexion des opérateurs mobiles et fixe pour l'exercice 2017-2018. En attendant la publication officielle des tarifs de terminaisons d'appels validés par le régulateur, les informations recoupées obtenues de plusieurs sources, indiquent que la structure des nouveaux tarifs est encore loin de favoriser une concurrence saine et loyale dans le secteur voix de la téléphonie mobile. Selon ces informations, les tarifs d'interconnexion voix des opérateurs de réseau mobile pour l'exercice 2017-2018, validés récemment par l'ARPT, sont de 0,95 DZD HT/minute pour Ooredoo et Djezzy, et de 1,38 DA HT/minute pour Mobilis soit 45% plus cher que les deux autres opérateurs. En plus clair, lorsque un abonné de Ooredoo et Djezzy appelle un numéro Mobilis, les deux premiers opérateurs payent 1,38 DA/minute (en hors taxe). Inversement, lorsqu'un abonné Mobilis appelle vers Djezzy ou Ooredoo, l'opérateur mobile public verse 0,95 DA/minute (en hors taxe). Quant aux tarifs des terminaisons d'appels entre Ooredoo et Djezzy, ils sont symétriques à 0,95 DA HT/minute. Si les décisions portant approbation des catalogues d'interconnexion des opérateurs (Mobilis, Djezzy, Ooredoo, et Algérie Telecom), publiées sur le site web de l'ARPT, donnent des indications sur la nature des tractations, et relatent les étapes du processus ayant amené à la validation des tarifs de terminaison d'appels 2017-2018. L'on sait, à la lecture des quatre décisions, que l'ARPT a demandé à chaque opérateur d'amender le catalogue d'interconnexion qu'il a proposé au début. Parmi ces processus, trois sont quasiment identiques. Il s'agit des cas d'Algérie Telecom (AT), de Djezzy (OTA) et de Ooredoo (WTA). Il y a : transmission d'un catalogue d'interconnexion (comportant les tarifs) de la part de l'opérateur, l'ARPT qui répond par une demande d'amendement dudit catalogue, suivi d'une «transmission» d'un nouveau catalogue d'interconnexion «dûment amendé» à l'Autorité de régulation, un «examen» du catalogue d'interconnexion pour vérifier la «prise en charge de la totalité des amendements demandés» et, enfin, sa validation. Pressions sur le régulateur ? Dans la décision relative à Mobilis (ATM), le document publié par l'ARPT montre d'importantes différences avec les trois précédents processus, et laisse entendre que le régulateur n'a pu se faire entendre. Selon cette décision, dans les échanges de courriers, ATM a introduit deux recours «au sujet de la terminaison d'appel objet de la résolution (n°06) du 17 octobre 2017 de l'ARPT «portant demande d'amendement du catalogue d'interconnexion». Dans un premier courrier (du 23 octobre 2017), ATM «sollicite un délai» pour se conformer à la demande d'amendement sur la terminaison d'appel émanant du régulateur. Le 29 du même mois, l'opérateur mobile public Mobilis introduit un premier recours, ce qui signifie qu'il refuse totalement ou partiellement la demande d'amendement concernant la terminaison d'appel. Le lendemain (30 octobre), l'ARPT adresse un «courrier de réponse». Quelques jours plus tard, le 05 novembre 2017, l'opérateur ATM «introduit un deuxième recours, apportant des arguments complémentaires en rapport avec la détermination de la terminaison d'appel». Le 6 novembre, l'ARPT émet une seconde résolution (n°09) dans le cas de Mobilis, «portant demande d'amendement du catalogue d'interconnexion de l'opérateur Algérie Telecom Mobile SPA pour l'exercice 2017-2018". Dans l'article 2 de cette seconde résolution, l'ARPT «édicte que : « le catalogue d'interconnexion dûment amendé sera transmis à l'Autorité de régulation, aux fins d'approbation, au plus tard le 08 novembre 2017, après la prise en charge de toutes les prescriptions contenues dans la présente résolution»». Le document de l'ARPT n'hésite pas, en tout cas, à mentionner implicitement que Mobilis n'a pas respecté ce délai, laissant la porte ouverte à toutes les lectures. En effet, selon le régulateur, Mobilis a transmis «son catalogue d'interconnexion pour l'exercice 2017-2018 dûment amendé à l'Autorité de régulation en date du 09 novembre 2017". L'asymétrie détruit la valeur du marché Au final, l'ARPT s'est donc résolue à valider l'asymétrie des tarifs de terminaison d'appels entre Mobilis d'une part et Djezzy et Ooredoo d'autre part. Laissant la symétrie que pour ces deux derniers opérateurs. A noter que les tarifs de terminaison d'appels de l'exercice précédent étaient de 1,45 DA HT/min pour Mobilis, 1,35 DA HT/min pour Ooredoo et de 1 DA HT/min pour Djezzy. Les tarifs d'interconnexion de Mobilis restent 45% plus chers, alors que l'opérateur est en situation de leader du marché avec 19,4 millions d'abonnés, annoncés il y a quelques semaines. Une situation qui ne semble pas être prise en compte par l'ARPT qui, de fait, contraint les deux autres opérateurs à financer Mobilis via l'interconnexion. Alors qu'en matière de tarifs d'interconnexion, la tendance mondiale est à la symétrie. C'est le cas notamment en Europe, mais également dans les pays voisins, comme la Tunisie qui consacre, depuis 2014, un tarif identique de terminaison d'appels pour les trois opérateurs mobiles du pays. L'idée derrière la symétrie est de ne plus faire en sorte que les tarifs de l'interconnexion soient une source de revenus pour les opérateurs, mais bien au contraire de les pousser à davantage de concurrence au bénéfice de l'usager. Bien évidemment, la concurrence ne se déploie pas uniquement par une baisse et une symétrie des tarifs d'interconnexion, mais également par la portabilité des numéros, la qualité des réseaux et des offres alléchantes. Malheureusement, les documents de l'ARPT ne permettent pas, à ce stade, de comparer le niveau de la terminaison d'appel en Algérie aux coûts réels de chaque opérateur, ni d'avoir une idée du volume des échanges «voix» entre ces opérateurs. Ce qui permettrait de mieux cerner les raisons du refus d'une symétrie des tarifs de terminaison d'appels.