S'il semble avoir laissé «son cœur» en Algérie, en enjambant l'histoire, Bernard Bageolet a dû même y laisser sa mémoire. Son interview publiée le vendredi dernier dans le journal français «Le Figaro» permet aisément de le penser. L'ancien secrétaire général de l'Organisation mondiale du cheval barbe (OMCB) en apporte les preuves. Rappel des déclarations de Bageolet à propos du cheval barbe qu'il dit avoir acheté à un de ses collègues de l'ambassade de France à Alger. (Interview parue dans Le Figaro du vendredi 21 septembre 2018). Probablement à la recherche d'une compassion appuyée auprès de plus de gens possible ici et ailleurs, l'ex-ambassadeur a tenu à décrire «Qalbi» avec précision. «Il avait une robe blanche, des crins argentés et un foutu caractère». Il a, a-t-il précisé, fini par «l'apprivoiser ( )». Qalbi (mon cœur) a été surtout pour «l'espion du président (Hollande)», comme nommé dans le Figaro, «un excellent vecteur pour m'introduire dans la société civile». Cette intrusion déclarée a permis à l'agent «secret» français de faire son travail en Algérie, sans difficulté aucune. L'hospitalité des Algériens aidant, Bageolet s'introduisait chez les citoyens avec tous les honneurs qu'ils ont toujours dus à leurs hôtes. Trente ans après, l'ex-patron de la DGSE, la direction générale de la sécurité extérieure, veut, comme par hasard, montrer qu'il garde ouverte la plaie de sa séparation de son cheval. «Mais lorsqu'il me fallut quitter l'Algérie, ce fut le drame, les autorités refusèrent de m'accorder le permis d'exportation en dépit de multiples démarches, sous le prétexte que ce cheval appartenait à une race protégée», a-t-il affirmé. Il rappelle qu'en 2007, le président Bouteflika a offert à Nicolas Sarkozy alors président de la République française en visite d'Etat en Algérie, «un cheval barbe à la robe grise nommé Kheir (Bien)». L'ancien ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Dr Rachid Benaïssa a ainsi bien voulu remettre les choses à leur place et préciser le pourquoi du comment du refus des autorités algériennes d'autoriser «Qalbi» à partir en France avec son propriétaire, l'ex-ambassadeur de France en Algérie. Les réflexes coloniaux et le déni d'existence «Je réagis surtout en tant que premier secrétaire général de l'OMCB dont la création remonte à 1987 et dont le siège permanent se trouve à Alger», a commencé à nous préciser Dr Rachid Benaïssa lorsque nous lui avons demandé de nous expliquer ce refus «d'exportation du cheval barbe». Dans les années 60 et 70 et jusqu'à la fin des années 80, rappelle l'ex-ministre de l'Agriculture et du Développement rural, de surcroît vétérinaire de formation, «pour des raisons de sauvegarde et pour contrer des actions de dilapidation du patrimoine national, l'exportation des produits et des animaux (considérés comme patrimoine national) était strictement interdite, c'est ce que stipulait une disposition générale de protection du patrimoine national». C''était, affirme-t-il, «le cas des chevaux Barbe mais aussi des chiens Sloughis, des tapis de Ghardaïa et bien d'autres ». Il note que «les dérogations pour contourner cette interdiction devaient être avalisées uniquement par la présidence de la République». Mais il souligne en substance que «même dans ces cas, les femelles étaient exclues, et d'autres réalités entraient en compte». Pour le cas du cheval Barbe appelé «le cheval algérien», Dr Benaïssa indique ainsi, que «d'autres raisons confortaient cette interdiction». L'ancien SG de l'OMCB explique qu'«en 1962, à l'indépendance de l'Algérie, l'administration française -par rétorsion- avait exclu les chevaux Barbe de toute inscription généalogique et du jour au lendemain, la race Barbe n'existait plus officiellement et était rétrogradée au statut de «race inconnue». C'est certainement pour rappeler «ce refus d'existence de la race barbe» décrété par les autorités françaises après qu'ils aient perdu la guerre en Algérie, que les décideurs algériens ont refusé de délivrer une dérogation à Bernard Bageolet pour amener «QALBI» avec lui en France. Dr Benaïssa revient encore à l'histoire pour rappeler qu' «1974, le président Houari Boumediene a offert un cheval Barbe au président français Giscard D'Estaing lors de sa visite d'Etat dans notre pays». Le cheval s'appelait «Wassal». Dés son arrivée en France, et puisqu'il était classé par ce pays «race inconnue», il a été interdit de reproduction». Il estime que «Monsieur Bernard Bageolet devrait plutôt en vouloir à son administration qui avait gardé longtemps encore ses réflexes coloniaux». L'ex-ministre indique au titre des rappels, qu' «il a fallu attendre 1987 que les amis du Barbe venus de plus de 22 pays se réunissent à Alger et créent l'OMCB». Wassal et le couple barbe, ou les gestes politiques d'apaisement ? Dr Benaïssa souligne notamment que «c'est à partir de cette année que la question du Barbe a été posée en France et que les amis de la race ont réussi à convaincre l'administration des Stud Book (def: livre où figurent le nom, la généalogie et les performances des pur-sang) à inscrire ce beau cheval sous le sceau de race étrangère reconnue officiellement». Et «ce n'est qu'après cette reconnaissance que le cheval Wassal fut autorisé à se reproduire à l'âge très avancé de 19 ans». Wassal eut un ou deux poulains et mourut en 1991. «Depuis, la race Barbe se développe autant dans les pays-berceau -le Maghreb-, mais aussi dans les pays d'accueil, en Europe, en Afrique et aux Amériques», fait savoir Dr Benaïssa. «Les présidents Chirac et Sarkozy ont reçu chacun, lors de leur visite respective en Algérie, un cheval Barbe des mains de SEM Abdelaziz Bouteflika», indique aussi l'ancien ministre de l'Agriculture. «En 2012, le président Hollande a reçu de la part du président Bouteflika un couple de chevaux Barbe, un bel étalon et une belle jument, signe de relations apaisées et rénovées .,» affirme-t-il. Ce qu'apporte Dr Benaïssa comme clarifications sur «l'existence» du cheval barbe qui a été longtemps reniée par les autorités françaises, «nous éloigne carrément des ressentiments qu'éprouve Bageolet envers l'Algérie,» pensent des observateurs. Cet ex-patron de la DGSE semble avoir bien choisi le moment pour les faire connaître au public français. De la reconnaissance de Maurice Audin, à l'hommage aux harkis décidés tout dernièrement par Emmanuel Macron, les refus de visas, la complexité des procédures, aux pics médiatiques que différents responsables français lancent contre l'Algérie, jusqu'aux propos de Bageolet, rien ne peut être fortuit. La France, comme de tradition, à chaque grand événement politique en Algérie, tente de se repositionner. Plus que quelques mois pour une nouvelle élection présidentielle. Avril 2019 n'est donc pas loin. Tous les coups sont permis à l'extérieur comme à l'intérieur du pays. Tout peut se négocier pour préserver des intérêts «occultes» ici et ailleurs. Les autorités algériennes et françaises savent ce qu'il importe de faire à cet effet. L'histoire leur en a retenu de grands chapitres