Qui de tout Mostaganem était heureux, cette semaine ? Vous l'avez certainement deviné et vous savez pourquoi. Abdaka le taxieur a voulu faire comme les autres, et il a eu raison. Abdaka n'est pas dupe. Il sait comment bled tout beau et faux tourne, et comment les mentalités ont tourné avec. Lui aussi fréquente le même souk et le même cinéma fermé. Forcément, il voit comment et pourquoi ceux qui ne reculent pas grossissent en allant de l'avant, et sur le dos de leurs frères. Abdaka ne veut pas être feu Diss, ni le défunt 50 des années 60 et 70, pour disparaitre un jour dans la sobriété, la nudité financière, et le métier noble. Son Sidi l'Heureux local lui a arraché 5 dinars supplémentaires à arracher à ses passagers. La course au remplissage du sac a été décrétée avec l'économie de marché. Abdaka veut tout juste faire comme les autres. Ceux qui, un jour, endormis se sont subitement réveillés avec 20 dinars en sus sur leur billet de bus, et sans que Kheira-l'Etat ne daigne lever le petit doigt. Pourquoi veut-on qu'il ait plus de pitié que les autres ? Pourquoi a-t-il voulu grossir le ventre ?, se demande le client qu'on saigne là où il sort le porte-monnaie. Dans le pétrin du souk où l'un et l'autre ont été embarqués, chacun a ses raisons dans la course. Il y a la pièce, chinoise si elle n'est pas Taiwan, et il y a celui qui la place, ou remplace par une vieille. Il y a le fuel et il y a la vieillesse et les risques du métier. Il y a les impôts au hasard que le collègue clandestin ne paye pas. Il y a également les assurances et les plantons, mais tous ces prétextes à l'augmentation ne sont rien à côté du racket par la location de la licence de taxi. Kheira-l'Etat a voulu que les héritiers et les héritiers des héritiers de l'Algérie vivent de sa peau, par lambeau de deux ans, casqués cash et à l'avance. Alors normal que Abdaka le taxieur choisisse l'option simple de décaper plus nu que soi. Celle de remettre en cause le monde serait plus périlleuse que les bosses, les bleus, et les bastonnades qu'ont déclenchés les médecins et les étudiants en osant marcher à Alger. Il faut les comprendre parfois, ces Abdaka ! Surtout quand on sait dans quelle sauce nous pataugeons tous. Fellah reconverti, chômeur de luxe n'ayant rien trouvé à faire pour tuer le temps et l'ennui tout en glanant l'argent de poche, ou simple doubleur introduit depuis peu, Abdaka le taxieur n'est pas voleur. Les mentalités ont changé, et lui, forcément avec. Même s'il est parfois chauffard, il n'est qu'un taxieur qui fait la course comme les autres, avec les autres, ou contre les concurrents qui trouvent qui racler. Quand Moussa, Mendoub ou ex épluche le peuple à raison de 30 briques par mois, et si Boualem, l'ex-commis du boulanger recyclé en policier, n'est pas content de ne recevoir que 7 bâtons pour matraquer ses frères qui rouspètent, pourquoi donc dénier à Abdaka le taxieur le droit d'extirper cinq petits dinars supplémentaires à ses passagers ?