Les « Sachants », les Frères et l'école Les voici qui trouvent du grain à moudre, une tout petite mesure pédagogique, pas grand-chose, tout juste l'introduction des langues populaires à l'école. Ce sont les Frères et ceux qui leur ressemblent, ceux qui se sont érigés en gardiens du temple, délégués par on ne sait quel peuple, qui leur aurait donné le mandat de s'occuper des cerveaux de nos enfants. Ils hurlent à qui veut les entendre que la ministre de l'éducation nationale veut commettre un sacrilège. Ils sont quelques partis, divisés politiquement, mais avec la religion comme fonds de commerce, qui ont fait un communiqué commun où ils considèrent que la réforme projetée est « de nature à faire exploser l'identité et l'unité nationale ». Rien que ça ! Ils ont aussi dit, avec un culot outrecuidant, que madame Benghebrit « a franchi les lignes rouges, en visant les fondements de la société algérienne ». Il faut dire qu'ils ont de quoi se permettre leur intrusion, puisqu'ils ont été promus à tous les niveaux de la gestion de la vie sociale, surtout quand l'intelligence risque de heurter les préceptes religieux. Nous avons même vu les médecins se contorsionner devant des chouyoukhs, se faire courtisans, pour faire rentrer dans leurs bonnes grâces des actes relevant de la santé publique. Pour ce qui est de l'école, les pouvoirs successifs avaient pris les devants, en termes de dogmatisme et de bigoterie, jusqu'à ce qu'il soit établi qu'il fallait ajuster, un tant soit peu, le rapport du système éducatif aux réalités socioculturelles du pays. D'autant que, dans une actualité brûlante, l'on peut évaluer de manière éclatante les fruits de la volonté première de fondre les Algériens dans le moule unitaire de l'arabité, puisée dans ses sources littérales. Une arabité qui a bien du mal à séduire la société ou à lutter contre le français, cette langue de l'ex occupant qui continue d'être la langue quasi officielle des institutions et de la vie économique. En guise d'unité ce sont les particularismes qui ont fleuri et prospéré, au point d'offrir des terreaux fertiles aux autonomistes, en Kabylie et même au M'zab, qui ont la tâche facile de se poser en défenseurs légitimes d'une culture menacée. Les Frères et autres marchands de religion seraient bien en peine, sur le sujet, d'assumer l'agression qui s'est exercée contre l'âme algérienne et ses composantes, contre l'imaginaire collectif à l'épaisseur multiséculaire, contre nos ancêtres, au nom de « valeurs » et d'une « authenticité » vaporeuse, qui ne figure nulle part, en dehors des constructions idéologiques des inquisiteurs. Ils viennent, par contre, de démontrer que leurs cibles fondamentales sont les langues du peuple, ces langues vivantes que devrait phagocyter « l'arabisation » et l'invention d'autres « fondements de la société algérienne », que ceux qui ont prévalu depuis la nuit des temps, en se nourrissant des apports de toutes les civilisations qu'a connues le pays. Un débat devrait être ouvert sur la question, afin que soit mis fin à cette équivoque qui fait que n'importe quel quidam peut se proclamer dépositaires des valeurs de la société.