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“Monsieur le président, êtes-vous monarque de droit divin ?”
Djemaâ Djoghlal Répond à Ahmed Ben Bella
Publié dans Liberté le 11 - 06 - 2011


Monsieur le président (1)
Permettez-nous d'attirer votre attention sur cette requête que de nombreux Algériens, des deux sexes, de différentes générations et de toutes les classes sociales vivant dans le pays ou à l'étranger, auraient souhaiter vous adresser, certains en vous bénissant, d'autres en vous condamnant.
En effet, vos prises de parole dans des médias étrangers alors que votre pays (2) s'est doté, au prix de milliers de sacrifices et de sacrifiés, de porte-voix des différentes tendances y compris l'arabo-islamiste que vous affectionnait, il était plus judicieux de nous parler à travers ces canaux.
Donc, nous doutons comme de nombreux Algériens que vous répondiez à ce courrier, néanmoins, nous aimerions porter à votre connaissance et à celles des jeunes Algériens quelques réflexions inspirées par vos différentes déclarations. Le choix s'est délibérément fixé sur votre biographie autorisée, datant de 1965 (3), éditée en France et votre livre d'entretiens datant de 1984 (4) édité au Liban mais reproduit en Algérie lors des années noires qui ont failli plonger le pays dans un abîme sans fond.
Donc, reprenons quelques-unes de vos pages afin que vous nous apportiez soit des éléments d'histoire, soit des explications justifiant vos changements successifs. Certes, chacun d'entre nous peut et doit évoluer avec les bouleversements de son époque et aussi avec les expériences tirées de son propre parcours privé et public, mais condamner aujourd'hui ce que l'on encensait hier ou avant-hier peut être sans conséquence pour le simple citoyen mais cela conduit à des catastrophes nationales lorsque les affirmations émanent d'un “historique”.
Votre identité et celle des Algériens
Votre concept ou notion d'identité semble suivre vos humeurs. Or, s'il est permis à un saltimbanque de modifier son origine au gré de ses spectacles, pour un président d'un Etat surtout s'agissant “d'une république” cela relève de la Cour suprême pour “usurpation d'identité, faux et usage de faux”. Monsieur le président, êtes-vous monarque de droit divin pour ne pas craindre les réactions de la justice algérienne ? La question hante de nombreux citoyens de cette république que vous semblez considérée “république bananière”. Pourquoi le célibat du président actuel de l'Algérie vous pose-t-il problème puisque vous êtes le premier à avoir violé la Constitution algérienne ? S'agit-il d'erreur de votre part ou de la défense de l'intérêt supérieur de la nation algérienne, dans les deux cas voyons ce que dévoilent vos écrits avant votre interview dans Jeune Afrique.
En 1964, pour gouverner l'Algérie vous détaillez (5) votre état-civil ainsi que ceux de vos proches comme étant ceux d'une famille algérienne ayant subie tous les affres du système colonial appliqué aux “indigènes algériens”. En page 42, vous précisez votre statut d'indigène algérien dans l'armée française “engagé contre le fascisme hitlérien, au 5e tirailleurs marocains où je fus affecté j'étais l'unique Algérien parmi des Marocains… Bon nombre de Marocains, à ma grande surprise, ne jeûner pas ils furent surpris de me voir jeûner, car ils considéraient les Algériens, parce qu'ils parlaient français, comme plus occidentalisés qu'eux-mêmes (6)”.
En 1984, vous révélez une identité arabo-islamiste qui devait vous servir à reprendre en main les circuits messalistes dans les usines et les ghettos, en Europe, pour installer votre MDA et diffuser votre propagande islamiste moyen-orientale. Cette reprise en main et la diffusion de vos idées vous furent facilitées par le pouvoir français de l'époque qui avait une revanche à prendre sur l'Algérie indépendante, comme le montrera la suite des événements. Ainsi, sans remords et au mépris de la dignité des Algériens, qui émergeaient douloureusement de quatre siècles de domination turque et française, vous passez du statut de président algérien au rôle de sujet marocain au service de l'internationale islamiste moyen-orientale. “Mon père est originaire de la ville de Marrakech du arch des Ouled Sidi Rahal, il a émigré en Algérie suite à une histoire de vendetta. Il appartenait à une confrérie mystique, la tariqua soufia… Ma mère était la cousine germaine de mon père (7)” Il est étonnant que vous utilisiez le terme de “arch” qui désigne une configuration sociale qui n'existe pas, telle la djemaâ, dans les monarchies islamistes. Pour réussir votre campagne de recrutement dans ces milieux d'émigrés, majoritairement natifs des régions berbérophones, vous les rassurez par cette affirmation : “Pour moi, l'arabité ne se définit pas par l'origine ethnique… Le Maghreb, par exemple, n'est pas ethniquement arabe mais berbère, alors que culturellement, il est fondamentalement arabe… L'arabité est donc bien une notion culturelle et non pas ethnique.” (8) Affirmation qui reflète bien votre ambiguïté et qu'ils ne pourront pas relever. Combien de ces émigrés que vous aviez intégrés dans votre mouvement savaient-ils que votre ambigüité leur déniait le droit d'étudier la richesse de leur patrimoine ancestral, vous les condamniez au feu de l'enfer s'ils s'y hasardaient : “En Algérie, tenter de privilégier la période antéislamique, c'est succomber à des errements regrettables. Dans un écrit, je les ai fustigé en ces termes : "contrairement aux misérables élucubrations et aux contorsions du journal El Moudjahid et ses hauts commanditaires, ignorants trafiquants de l'histoire et succombant à on ne sait quelles alchimies politiques de mauvais aloi, nous sommes nés véritablement en ce jour où les premiers Algériens ont fait profession de foi … (9)"” Monsieur le président, vos errements et vos reniements trouvent-ils leurs sources dans votre désir de revanche du fait de la perte du poste présidentiel ou dans votre “haine de soi” propre aux personnes sans références sociales d'un terroir, quel est le ressort qui vous anime ? Vous naviguez entre une vision ethniciste digne des chercheurs racialistes du XIXe siècle qui théorisaient sur “les races supérieures devant civiliser les races inférieures”, cette vision sectaire ne peut que nuire au vivre ensemble des Algériens, quelle que soit leur région de naissance ou d'adoption, quelle que soit leur langue et quelle que soit leur spiritualité. À l'ère des recherches sur les neurosciences et des découvertes sur les nanotechnologies le concept d'ethnie tel que vous le définissez et le comprenez n'a aucune valeur scientifique chez les chercheurs sérieux. Vous confondez ce qui relève de la culture dispensée par le milieu familial, régional et national surtout dans la diversité algérienne, de la religion, à savoir la foi personnelle ou l'instrumentalisation politique nationale ou internationale, la nationalité qui est acquise par le sang ou le sol suivant les codes du pays où nait la personne. Savez-vous que les dernières découvertes archéologiques sont venues confirmer les récits oraux transmis depuis des millénaires : les Berbères sont les descendants des autochtones de l'Afrique du Nord, ils ne viennent ni du Yémen ni de Judée ou d'autres continents comme le prétendent les mystificateurs et les incultes. La Berbérie, ce n'est pas uniquement la région de Kabylie, la Berbérie se compose de ces différents pays : Maurétanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Siwa en Egypte, le Nord du Mali et celui du Niger. La Berbérie comme tous les lieux du globe s'est transformée et a subi les changements comme tous les continents : ce n'est pas une région mise sous cloche pour conservation à l'image du fromage.
Votre coreligionnaire Aït Ahmed (10), malgré son ascendance maraboutique, sait sentir l'âme des enfants du terroir algérien dont il est issu. Il relate des bribes de sa conversation lors de son entrevue avec Lahouel, avant son départ au Caire : “Moi aussi je suis Kebayl h'ider (kabyle citadin), comme tous les habitants du Nord-Constantinois”, remarque Lahouel. Je riposte : “C'est Bugeaud qui a baptisé “kabyle” la province du Djurdjura – une façon de rappeler que les Berbères sont encore victimes de ce pouvoir arbitraire de nommer, de définir, qui est issu de la conquête.”(11) Dans les pages suivantes, il décrit avec finesse son hébergement à Saint-Mandé chez Zidi qui “parlait l'arabe de Tébessa” (animateur de l'AEMNA), ses rencontres avec Kabba qui “dialoguait en arabe algérois”, Filali dont le français était enrichi par des expressions de sa “langue natale de Collo”. Il rappelle que c'est l'Aurésien Ben Boulaïd qui lui a remis, à l'insu des dirigeants d'Alger, une fausse carte d'identité établi au nom de Saïd Farhi (12). Même lorsqu'il s'agit de sa vie privée, Aït Ahmed décrit précisément les difficultés à faire cohabiter les règles coutumières berbères, les règles maraboutiques locales, les règles coraniques et les désirs d'un homme du XXe siècle. Son mariage devant être un acte simple de l'union de deux êtres se retrouve transformé en chapelet de difficultés à cause de systèmes culturels et juridiques contradictoires entre eux. Monsieur le président, vos comportements agressifs face aux langues parlées et écrites en Algérie illustrent vos difficultés à vous définir et à accepter la différence de vos concitoyens : de votre cas particulier, vous avez fait une généralité nationale. En effet, en 1953 après un séjour clandestin à Paris, vous arrivez au Caire pour rejoindre “vos amis de l'OS” l'affront que vous subissez et que vous détaillez en ces termes : “(…)La première fois que j'exposai devant la Ligue arabe la situation en Algérie, je dus faire mon exposé en français… Quel scandale ce fut ! Quel sacrilège ! Tandis que je parlais devant mes frères arabes, je voyais leur visage se crisper sous l'effet de la stupeur… Mais qu'y pouvais-je ? J'étais un Algérien de la masse, et la masse algérienne, plongée depuis tant de siècles dans la nuit, avait désappris la noble langue de ses origines (13)”. Cet affront est-il la cause première de votre course à l'orientalisation des Algériens dont la richesse linguistique pouvait donner des leçons de tolérance à vos interlocuteurs de 1953. En Afrique du Nord, la “noble langue des origines” n'a jamais été la pratique linguistique moyen-orientale puisque les conquérants musulmans (14) sont arrivés au VIIe siècle (XIe de l'ère chrétienne), donc la noble langue des origines est le berbère enrichi par les apports des conquêtes d'avant et d'après l'arrivée des armées musulmanes. Savez-vous que la poignée de combattants du 1er Novembre 1954, qui ont redonné la dignité aux Algériens, étaient en majorité berbérophones et souvent analphabètes ou uniquement scolarisés à la medersa pour quelques privilégiés, donc la “noble langue” du 1er Novembre est le berbère. Les berbérophones et les arabophones algériens, de toutes les régions d'Algérie, doivent-ils bénéficier du statut de dhimmi et par qui leur sera-t-il délivré selon vous ?
Aït Ahmed est-il votre alter ego ou votre ennemi héréditaire ?
Comme pour votre identité et celle des Algériens, vos rapports avec Aït Ahmed suivent les courbes de vos intérêts respectifs et non celles de la nation.
Eté 1962, avec Boudiaf et Aït Ahmed vous comptez parmi les responsables qui se sont affrontés dans des batailles meurtrières au sujet du partage des 20% restants du “Trésor de la Fédération de France” (Wilaya 7), qui étaient estimés à 43 millions de francs suisses de l'époque. Les 80% constituèrent les finances de la Révolution [15]. Ce trésor fut collecté grâce au sang et à la sueur de milliers d'émigrés algériens travaillant et vivant en Europe, il fut le premier acte de déchirements fraternels et de corruption [16] de l'Algérie indépendante.
En 1964, aucun d'entre vous n'aborde ce partage car vous situez vos griefs contre Boudiaf et Krim Belkacem sur le plan politique dans votre chapitre [17] consacré aux lendemains de l'Indépendance où vous donnez votre version des faits sur les litiges opposant le GPRA et le Bureau politique et entre ceux que vous nommez les nationalistes modérés et les révolutionnaires progressistes : “… le GPRA, qui sentant la partie perdue pour lui, s'inclina, à l'exception de deux de ses membres, Boudiaf et Krim Belkacem, qui essayèrent de lancer un mouvement de résistance fondé sur le particularisme kabyle… particularisme hérité de l'administration coloniale française qui n'est jamais parvenue à donner un contenu politique définitif et, le moment venu, la Kabylie suivit avec élan le mouvement insurrectionnel et fournit à la Révolution algérienne quelques-uns de ses éléments les plus valables…”. Selon cet écrit, vous placez le particularisme kabyle de Krim Belkacem sur le plan politique et vous rejoignez Aït Ahmed dans son analyse du mythe créé par l'administration coloniale.
En 1984, vous prépariez sur les conseils des stratèges américains et sous l'égide de la diplomatie vaticane, vos nombreuses réunions avec Aït Ahmed. En guise de bonne volonté, vous rappelez à votre intervieweur, un ancien message de fraternité qui vous unissait à votre allié du moment : “Lors de ce qu'on a appelé ‘la révolte kabyle' et alors qu'Aït Ahmed venait d'être arrêté, je reçus la visite inopinée d'Abd El-Hakim Amer, le Mouchir, envoyé spécialement par Nasser pour me transmettre un message. Le message verbal était : “Ahmed, disait-il en substance, fais attention, évite de verser le sang.” Le sang d'Aït Ahmed, sous-entendait-il, devait être sauvegardé.
Ce message allait au-devant de mes intentions [18]. “Ces réunions avaient abouti au Contrat de San Egidio de 1995, qui donnait une légitimité internationale aux ennemis du pays, les Algériens s'en souviennent. Pour bénir et réussir votre sainte alliance ‘vous inventez un discours' kabylo-islamiste” aussi irréel que ceux sur l'ethnie : “Dois-je rappeler que ce sont des confréries soufies de Kabylie qui ont donné de grands résistants révolutionnaires… Dois-je rappeler aussi que le père de Aït Ahmed dirigeait une confrérie religieuse… L'histoire de l'islam et des Kabyles est une histoire d'épousailles réussies, définitives… Reste la question de la langue, on ne peut pas dire, en tout cas, que cette question est une affaire montée de toutes pièces de l'extérieur [19]. La population de Kabylie, comme celle de toutes les régions d'Algérie, pratique l'islam du rite malékite qui est aux antipodes des rites pratiqués par vos amis chiites et wahabbites.
Les quelques faits de guerre évoqués n'échappent pas à vos changeantes interprétations :
le 1er Novembre 1954
Monsieur le Président, dans votre interview accordée à Jeune Afrique vous abordez, d'une façon éloignée, quelques miettes de faits de guerre d'une Révolution qui a inspiré les plus grands écrivains, artistes et avocats du XXe siècle. Vos liens se sont-ils distancés à ce point pour sacrifier l'Algérie et les Algériens, amputer la mémoire d'un peuple pour diminuer votre rancœur ; est-ce musulman ?
En 1964, vous ne semblez pas atteint par les travaux des révisionnistes et la défense acharnée de vos intérêts particuliers donc vous évoquez objectivement quelques-uns des facteurs qui ont préparé l'embrasement du feu libérateur de nos servitudes : “Les Messalistes rejetaient sans cesse vers l'avenir les décisions inévitables et se réfugiaient, en attendant dans l'électoralisme… Aiguillonnés par une situation aussi désastreuse, les militants de base finirent par imposer un congrès, en 1949, à Messali et à ses acolytes. Par une ironie frappante de l'histoire, ce congrès tint ses assises dans la région contrôlée par le bachagha Boualem. Nous étions, en effet, les hôtes d'un nommé Djilali, (Kobus) qui nous reçut dans sa ferme à Ezzedine [20]”. C'est au cours de ce congrès que vous serez désigné responsable de l'OS.
En 1982, vous modifiez vos déclarations dans l'optique de la prise en main des réseaux messalistes évoqués précédemment. De messaliste l'attentiste nous sommes sommés de vouer nos âmes et destins à l'un des pères de notre destinée : [21] “Messali, pour les Algériens, Sid El-Hadj pour nous, militants du PPA, apparaîtra comme un homme ayant une part immense dans notre destinée”. Que fait-on et que faites-vous des actes des résistants de 1954 morts au champ d'honneur avant l'Indépendance, se sont-ils trompés en déclenchant la Révolution contre l'avis de votre père ?
Est-ce pour cela qu'en 1984 vous vous accordez un rôle que vous ne développez pas par des apports de sources écrites ou de témoignages : “Le 1er Novembre 1954 fut le fruit d'une action collective portée par tout un peuple. Plutôt que le terme de fondateur, je trouve plus juste de dire que je fus l'un des dirigeants organisateurs du 1er Novembre [22]”
Déjà en 1963, Aït Ahmed qui se situait au même grade que vous dans cette Révolution relativisait les faits d'armes de certains qui s'octroyaient responsabilités au-dessus de leurs moyens : “Certes, il y a eu des falsifications de l'histoire, il y a des vérités à rétablir, notamment au sujet des “épopées individuelles”. Mais ce sera l'affaire des historiens [23]
Réunion de la Soummam
ou Congrès national ?
Didouche Mourad, assassiné le 18 janvier 1955 par l'armée coloniale, et Zighout Youcef avaient programmé la tenue d'un congrès national dans le Nord-Constantinois afin de faciliter à tous les combattants de l'intérieur et aux dirigeants de l'extérieur l'accès à ce lieu, d'autres responsables choisirent la vallée de la Soummam dont les conséquences pèsent encore sur bien des mémoires. L'ouverture des archives en 2012 ne donnera pas beaucoup de clarté sur cet épisode de la Révolution, malgré les précautions d'usage annoncées par l'historien Mohamed Harbi. Tout acteur de la vie publique surtout en période de troubles ou de guerre sait que le feu et les broyeurs de bureau fonctionnent pour ne pas laisser de traces sur des faits ou des personnages trop marqués, seuls les vivants peuvent nous livrer des bribes d'information à recouper pour lever un pan de notre histoire.
Ainsi dans votre biographie de 1964 vous exposez, au sujet du Congrès de la Soummam (20 août 1956) les motivations que vous qualifiez “de graves conséquences politiques” à savoir :
- la défaite de la Bataille d'Alger : “Ils ne sur-ent pas apprécier à leur juste valeur les rôles respectifs de la campagne et de la ville dans la conduite de la guerilla. Ils ne comprirent pas que les habitants des villes, vivant, pour ainsi dire, intégrés à l'ennemi, mêlés à lui, entourés de son énorme appareil répressif, ne pouvaient en aucun cas se soulever contre lui sans se faire aussitôt écraser et voir les réseaux démantelés, leur appareil détruit, leurs militants tués ou arrêtés… Comme on sait, elle se solda (Bataille d'Alger) pour nous par une lourde défaite qui mit à terre notre organisation urbaine et, par contrecoup, isola et affaiblit la guérilla des campagnes”.
- “Mais le grief le plus grave que je ferai aux organes de direction mis en place par le Congrès de la Soummam, c'est d'avoir laissé les willayas sans armes, sans médicaments, sans argent. Je sais bien que les réseaux électrifiés des frontières rendaient par voie de terre la tâche plus difficile, mais il restait encore la contrebande maritime et plusieurs centaines de kilomètres de côte que la logistique de la Révolution aurait pu davantage utiliser… Tout en condamnant le “wilayisme” et ses terribles conséquences au moment de l'Indépendance, on ne dira jamais assez que la responsabilité primordiale de ces errements n'incombe pas aux wilayas elles-mêmes, qui eurent, du moins l'extraordinaire mérite de continuer la lutte dans des conditions très difficiles, mais à un appareil bureaucratique qui, tout à son action internationale et à ses rivalités de personnes, n'accordait plus assez d'attention aux combattants de base”.
En 1984, vous révélez d'autres éléments d'information qui malheureusement ne furent pas assez détaillés pour servir l'Histoire : “L'absence par exemple, de Ben Boulaïd et Didouche qui étaient morts, a été très préjudiciable. Avant notre arrestation, les membres du courant dit ‘centraliste' du MTLD qui avaient été hostiles au déclenchement de la lutte armée et qui avaient tenté de saborder la Révolution, n'avaient alors aucune possibilité d'accéder aux organes de direction de la révolution. Or, ce congrès leur a permis de devenir membres du Conseil de la Révolution, voire membres du CCE qui constituait l'Exécutif de la Révolution… [24]”.
Ce congrès aura des conséquences plus que préjudiciables sur les dirigeants de la WI qui furent soit décimés par l'armée coloniale soit par “leurs frères à Tunis [25]”. Aït Ahmed aussi donne à saisir partiellement l'ambiance et quelques conséquences de ce congrès. [26] Le frère Ben Bella préconisait en effet en décembre 1956 janvier 1957, la convocation rapide d'un congrès en vue de trancher notamment le conflit de souveraineté qui l'opposait au frère Abbane Ramdane [27]. Un processus était même engagé en Tunisie où les militants avec ou sans uniforme se réunissaient pour voter des motions de défiance contre le CCE et d'opposition à la plate-forme de la Soummam. Nous étions alors à la prison de la Santé. Dans sa correspondance, Abbane dénonçait Ben Bella et annonçait l'envoi de quatre mille djounoud en Tunisie pour réduire les opposants au Congrès de la Soummam. Convoquer un congrès dans cette atmosphère de crise, en pleine guerre, nous allions droit à une catastrophe, à l'éclatement pur et simple de la Révolution. J'y étais pour ma part tout à fait opposé. “Souveraineté à l'intérieur”, “souveraineté extérieure”, “souveraineté partagée”, cela me paraissait un conflit bien fictif, la souveraineté légale continuant d'être détenue en fait pas la puissance coloniale qui nous faisait la guerre…
L'année 1956 fut l'une des plus dangereuses pour la poursuite de la Révolution car la puissance coloniale redoubla de férocité et elle avait renforcé ses moyens militaires et politiques, tant au plan national qu'international, pour décapiter l'organisation et arrêter le conflit en instaurant la “trêve civile” chère à Camus et à ses amis. Cette “trêve civile” que vécurent les Algériens depuis 1830 et les Palestiniens depuis 1948.
Monsieur le Président en guise de formule de politesse recevez cette pensée de votre ami/ennemi Aït Ahmed. “La résistance algérienne n'a pas été le fait d'un ou plusieurs chefs” sans peur et sans reproche… elle a été l'œuvre de l'ensemble des Algériens, de la nation authentique [28].
D. D.
[1][1] Un président de la République et un ministre gardent leur titre durant toute leur vie et même si le porteur représente l'adversaire voire un ennemi administrativement il a droit à son titre.
[2] Aujourd'hui dites-nous lequel ???
[3] Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune.
[4] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par les éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990.
[5] Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune p. 23 et 24.
[6] Vous précisez qu'il s'agit de Chleus et de Rifains donc des Berbères dont la pratique religieuse était plus dans la spiritualité avec son fonds de valeur humaniste et non dans la bigoterie des formes et formules creuses.
[7] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990, p. 14/15.
[8] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990) p. 60.
[9] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990) p. 151/152.
[10] Avec qui nous n'avons aucune attache familiale ou politique.
[11] Hocine Aït Ahmed, Mémoires d'un combattant, l'esprit d'indépendance 1942-1952, éditions Messinger, 1983, p. 210.
[12] Aurèsien vivant à Batna après l'Indépendance.
[13] Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune p. 93.
[14] Les armées musulmanes étaient composées en majorité de guerriers convertis ou mercenaires de Perses, Kurdes, Egyptiens, dont les langues s'entrechoquaient autant que les lames de leurs épées, n'est-ce pas le Berbère Tarik à la tête de ses 40 000 cavaliers nord-africains qui dépassa Poitiers comme l'attestent des recherches universitaires françaises.
[15] Ali Haroun, la 7e Wilaya, la guerre du FLN en France 1954-1962, Seuil, 1986
[16] Djilali Hadjadj, Corruption et démocratie en Algérie, La Dispute, 1999.
[17] Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune, p. 142 et 143.
[18] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990).
[19] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990) p.181.
[20] Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune, Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965, biographie rédigée en 1964 après 15 séances d'enregistrement durant 2 à 3 heures chacune, p. 77.
[21] Votre préface dans : Les mémoires de Messali Hadj, texte établi par Renaud de Rochebrune, Jean-Claude Lattès, 1982.
[22] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990) p. 151/152 p. 163.
[23] Hocine Aït Ahmed, La guerre et l'après-guerre, éditions de Minuit, 1964, p. 165.
[24] Mohamed Khalifa, Ahmed Ben Bella, entretien en arabe, éditions El-Wahda, Beyrouth, 1985 (édité en français par éditions Maintenant d'Alger, octobre 1990) p. 174.
[25] Mohamed Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable, Anep, 2001.
[26] Hocine Aït Ahmed, La guerre et l'après-guerre, éditions de Minuit, 1964.
[27] Krim Belkacem revendique la paternité de l'engagement au sein du FLN de Abbane, à sa sortie de prison, un an avant la fin des 6 ans prononcés lors de son incarcération en 1950 avec les autres membres de l'OS. Aït Ahmed écrit en page 193 de ses mémoires : Certes, Ramdane Abbane, pourtant cadre politique, est emprisonné et condamné, mais c'est en tant que responsable de l'OS pour la région de la Soummam, où l'ont détaché Boudiaf et Didouche… Il ne sera libéré qu'en janvier 1955. C'était Laïmèche et moi qui l'avions contacté et recruté à l'occasion d'un congé qu'il passait dans son village natal d'Azouza, près de Fort National. Il était alors secrétaire de la commune mixte de Châteaudun-du-Rummel (Chelgoum-Laïd), à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Constantine.
[28] Hocine Aït Ahmed, La guerre et l'après-guerre, éditions de Minuit, 1964, p. 12.


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