S'il n'est pas conseillé de se promener à El Kala sans savourer quelques sardines grillées, s'il est impossible de visiter Sétif sans boire un peu d'eau d'Ain Fouara, il est tout aussi inconcevable de faire une virée à Ain Oulmène (Sétif) et de ne pas déguster ses brochettes de viande d'agneau. Dans cette ville du sud de la wilaya de Sétif, lovée entre les hautes plaines sétifiennes et les grandes étendues steppiques du Hodna, où les troupeaux de moutons se délectent de ces pâturages exceptionnels riches en "chih" (armoise blanche) donnant un goût exquis à la viande ovine, s'attabler pour manger du "choua" (bouts de viande grillée en brochettes) est plus qu'un plaisir, c'est un moment presque sensuel. La qualité et la saveur de la viande ne sont pas les seules raisons de cette ferveur pour la brochette grillée de la ville d'Ain Oulmène. Il y a aussi l'accueil des maîtres de céans et cette ambiance si conviviale, si particulière, régnant été comme hiver dans les nombreuses échoppes spécialisées de la localité et que l'on devine de loin à la vue des volutes de fumée tournoyant au-dessus des braseros. L'un des endroits les plus courus d'Ain Oulmène reste, sans conteste, la boutique d'un "chouai" connu qui y officie depuis plus de 20 ans. A côté des deux "mechouat" (barbecues) disposées devant la façade, très engageante en raison du jardin public mitoyen, faisant grésiller sans discontinuer leurs braises au-dessous d'impressionnantes grappes de brochettes diffusant à longueur de journée d'appétissantes senteurs de viande et d'abats grillés, il n'est pas rare d'observer des files d'attente de clients. Trois commis s'attèlent, dans une minuscule cuisine à confectionner les brochettes à une vitesse prodigieuse, embrochant avec alternance petits bouts de viande et morceaux de graisse (l'autre secret de fabrication). La vitesse de cuisson des brochettes arrive miraculeusement à répondre au rythme infernal des commandes qui se suivent depuis les premières heures de la matinée jusqu'à la tombée du jour. Ce "restaurant" ressemble en milieu de journée à une véritable fourmilière. Pour parvenir à accéder à l'une des trois salles ou à prendre place à une des tables de terrasse disposées à l'ombre d'une immense "vigne grimpante", il faut souvent prendre son mal en patience en attendant une place disponible. Lorsqu'on est enfin à table, une petite assiette agrémentée de harissa, de cumin et d'huile d'olive aide les clients à patienter encore un petit peu, le temps que les brochettes cuisent à point. Les irrésistibles exhalaisons de brochettes, si elles permettent aux clients de patienter en taillant une bavette avec le patron, toujours aux petits soins avec sa clientèle, elles ont aussi la faculté de vous mettre l'estomac carrément dans les talons. Il faut dire aussi que le cadre des lieux, agrémentés d'un magnifique jardin au gazon impeccablement tondu, où déambulent nonchalamment oies et canards cacardant au milieu du gazouillis des oiseaux, garde les clients dans un état parfaitement "zen". Autre particularité, contrairement aux usages en pratique partout ailleurs, le client, à Ain Oulmène, n'a pas besoin de passer commande. Il attend sagement que le serveur, muni d'un impressionnant "panache" de brochettes fumantes, en dépose une "grappe" dans son assiette. Le rituel continue ainsi jusqu'à ce que le client, rassasié, dise "pouce". Une autre originalité veut qu'à la fin de ses agapes, c'est le client qui est chargé de compter les brochettes consommées et d'en informer le patron qui se contentera d'encaisser le montant dû en se gardant (autrement ce serait sacrilège) de vérifier le décompte. Dernière singularité des lieux, il n'est pas utile pour ce patron de souhaiter bon appétit à ses clients. Ce sont les engageants effluves de viande grillée chatouillant les narines qui s'en chargent.