Plusieurs moudjahidine ont opté, notamment ces dix dernières années, pour la publication de leurs mémoires qui sont autant de témoignages vivants sur la guerre de libération nationale appelés à être examinés par les historiens qui y voient de la matière première. Qu'ils soient cadres de la Révolution ou simples jounouds dans l'Armée de libération nationale (ALN), ces moudjahidine ont tenu à partager le souvenir des faits de guerre auxquels ils avaient pris part de 1954 à 1962 dans plusieurs régions du pays, à l'instar des Aurès, le nord-Constantinois, la Kabylie, l'Oranie et l'Algérois. "Très importante, la publication de mémoires, quoi qu'elle intervient sur le tard", a indiqué à l'APS le journaliste algérien spécialisé dans le recueil de témoignages historiques, Mohamed Abbas. Quant ils ne sont pas rédigés par les concernés eux-mêmes, ces témoignages qui occupent de bonnes places dans les librairies, sont recueillis et mis en forme par des historiens ou des journalistes. Ce besoin de témoigner sur la guerre d'indépendance et ses héros est à chaque fois expliqué par la nécessité de sensibiliser les nouvelles générations sur l'impératif de connaître leur histoire afin de ne pas oublier que le pays n'a été arraché à une longue nuit coloniale que grâce aux lourds sacrifices volontairement consentis par ses enfants, a expliqué M. Abbas. Le plus récent livre-témoignage sorti en librairie est celui du premier ministre de la Justice de l'Algérie indépendante et bâtonnier, Amar Bentoumi, décédé le 29 mars dernier à l'âge de 90 ans. Dans "Crime et infamie, la colonisation vécu par un algérien (1923-1962)", Bentoumi raconte son engagement comme membre du "Collectif des avocats d'Alger" qui défendait les militants du Front de libération nationale (FLN) contre la justice coloniale aussi bien en Algérie colonisée qu'en France. La sortie de "Crime et infamie" de Bentoumi coïncide avec la publication du troisième tome des mémoires de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi, qui avait consacré le premier tome à son parcours durant la guerre notamment en tant que membre de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) fondée en 1955. Auparavant, la publication des mémoires de l'ex-président de la République, Chadli Bendjedid, décédé le 6 octobre 2012 à l'âge de 83 ans, a marqué l'actualité nationale. Un large écho a été en effet réservé par la presse nationale au premier tome couvrant une période de 50 ans (1929-1979) et édité quelques jours après son décès. Retraçant son parcours de moudjahid de 1955 à l'indépendance, Chadli a justifié sa décision d'écrire ses mémoires, dont le second tome devait paraître en mars dernier, par "l'insistance d'un certain nombre de (ses) amis, parmi les fidèles moudjahidine" et par "les tentatives de certains de porter atteinte à (son) passé militant". Les témoignages sur la Révolution apportés par quelques uns de ses cadres à tous les échelons du commandement, ont toutefois tendance à monopoliser l'intérêt des médias (et des lecteurs) auxquels échappe la publication de plusieurs autres livres de même nature mais signés par des moudjahidine moins connus de l'opinion publique. Pour le journaliste Abbas, tous ces récits constituent "une matière première importante pour les historiens dans la compréhension de beaucoup d'événements. Ils complètent les documents officiels pour une lecture plus au moins objective de ces événements". "Pour l'historien, les témoignages sont très importants, notamment dans leur côté subjectif, parce qu'ils donnent de la profondeur à l'événement", a souligné ce journaliste qui a aidé Abdelhamid Mehri, ancien ministre au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), décédé en janvier 2012, dans la rédaction d'une partie de ses mémoires qui ne sont pas encore disponibles. Le côté subjectif des mémoires, explique-t-il, porte sur l'évaluation que fait l'auteur du témoignage sur un événement précis et les historiens s'intéressent à cette lecture d'autant que les récits sont parfois portés par des acteurs capables de lire les événements qu'ils avaient vécus. "Les historiens ne prennent pas les témoignages pour argent comptant. Ils font des recoupements, multiplient les angles de lecture pour tenter de comprendre un événement. La vérité historique, comme n'importe quelle autre vérité d'ailleurs, est complexe et difficile à reconstituer", assure-t-il. Autant dire que les historiens ont du pain sur la planche avec les mémoires, de plus en plus nombreux, qui sortent en librairie, pour écrire l'histoire de la Révolution algérienne, une entreprise qui demeure en chantier, selon Ahmed Taleb Ibrahimi. "Jusqu'à présent, ne nous sommes pas totalement acquittés de cette tâche (écriture de l'histoire). Certes, les travaux des historiens algériens commencent à combler cette lacune mais il continue de s'écrire sur l'histoire de l'Algérie plus d'essais à l'étranger que chez nous", écrit-il dans le troisième tome de "mémoires d'un algérien".