Sombre et halluciné, abordant crûment une des périodes les plus violentes de l'histoire de l'Algérie,"L'Aube au-delà", premier roman d'Amine Ait Hadi, mêle épouvante et lyrisme pour interroger la barbarie humaine. Dans ce livre de 151 pages, paru aux éditions Aden, Amine Ait Hadi plonge e lecteur dans l'horreur de la violence terroriste des années 1990, à travers l'histoire de Meryem, une jeune fille en proie à des "visions" macabres dont le père, Mustapha, est impliqué dans un massacre de population. Construit en cinq chapitres, ce roman à la première personne du singulier s'ouvre sur une scène d'une extrême violence où Meryem tue son père, révélant une intrigue centrée sur le thème de la vengeance et du questionnement sur l'humanité des assassins. Avec sa voix furieuse et sa "folie" revendiquée tout au long du récit, l'héroïne décrit ensuite sa vie d' "ensevelie sous l'absence du jour" dans la maison familiale où elle est enfermée avec sa mère, Lila, "esclave pervertie" d'un mari tyrannique. Dans ce lieu hors du temps où "les femmes sont changées en machines à laver", Mustapha, alias Abou Al Khalil, reçoit la visite d'hommes décrits comme des "géants aux allures sombres" chuchotant des propos sur des "affaires d'ogres" et sur des "desseins" prêtés au "Seigneur". Dans les deux chapitres suivants, l'horreur atteint son comble à travers le récit délirant de la longue nuit du massacre perpétré par Abou Al Khalil et ses compagnons, dont Meryem est le témoin. Ces chapitres sont datés du 22 et 23 septembre 1997, une référence- la seule du roman- au massacre à Bentalha qui a fait, en une seule nuit, des centaines de morts parmi la population civile de cette banlieue d'Alger . Malgré une intrigue simple, l'auteur réussit à tenir le lecteur en haleine grâce à son talent de créateur d'atmosphères glauques et oppressantes, empruntant ses codes au cinéma et à la littérature d'épouvante. Cette puissance de la narration est surtout servie par le style très particulier d'Ait Hadi : lyrique, rythmé et précieux dans son vocabulaire. Un style qui s'avère finalement impressionnant de complexité et souvent plus proche du chant poétique que de l'écriture romanesque. Cette langue, déroutante pour les moins initiés, sert également à mieux communiquer les délires de la narratrice et ses interrogations sur le sens de son existence, sur la justice et la perte des bourreaux de leur humanité. Ce dernier point, central dans le roman, s'illustre par ailleurs dans les nombreuses comparaisons animales, à la limite de la caricature et dont le romancier affuble les auteurs des crimes pour mieux en souligner la "bestialité", en particulier pour Mustapha. Autre élément marquant, la présence constante des invocations religieuses dans les paroles de Meryem, offrant un contraste saisissant entre sa foi et l' "hypocrisie" de son père dont le discours est celui des "prédicateurs de la barbarie". S'il présente les personnages masculins comme des "démons" sous une apparence humaine ou comme des "bêtes", l'auteur confère, en revanche, plus de complexité aux femmes qui peuplent son récit. C'est le cas par exemple de Lila, personnage à la fois attachant et effrayant de la mère quasi muette et résignée dont "l'esprit s'est perdu quelque part", ou encore celui de Nacera, une "sorcière" impliquée dans les tueries. En abordant avec une rare audace un des épisodes les plus sombres de la décennie 1990, Amine Ait Hadi offre une première oeuvre cathartique, porteuse d'interrogations essentielles sur une période et des tragédies encore refoulées dans l'esprit de nombreux Algériens. Par l'originalité de son style et de sa démarche, il s'impose également comme une voix singulière et prometteuse dans le champ littéraire en Algérie. Né dans les années 1980 à Alger où il est établi, Amine Ait Hadi est également auteur de recueils de poésie dont "Poèmes Haram et autres vocables d'amour" paru en 2011. =Par Fodhil BELLOUL=