Par SAID MERZOUKI // Une figure de proue bien de chez nous : Je vous ai connu professeur de mathématiques au Collège Moderne de Batna. Vous m'y avez enseigné tant à moi-même qu'à ma femme, de 1957 à 1959 en classes de seconde et première alors que monsieur AZEMA était le principal de l'établissement secondé par MM. MARQUET surveillant général, DUPUIS, KATEB intendants et que MM. PELOUS, VOLDOIRE, BOUZID, LACROIX, (Melle HAMDIKEN, Mme COMMERE) Mmes (MARQUET et MALLEM) étaient respectivement professeurs de français, de syntaxe, d'arabe, d'E.P.S., de physique et d'anglais, sans oublier l'Adjudant LE DREZEN et le Sergent TARTAGLIA enseignants de P.M.E. J'ai su dernièrement et grâce à Mme TOURI Hassina votre sœur que : •Né le 4 mars 1928 à T'Kout, fils de TOURI Amor, enseignant et plus tard, successivement Directeur d'Ecole puis Inspecteur en fin de carrière à Blida et de BAADA Messaouda, •Vous avez eu un parcours scolaire qui vous a mené de l'Ecole du Stand, (actuellement Ecole EMIR ABD EL KADER), jusqu'à votre réussite au concours des Bourses qui marqua votre admission au Collège Moderne de Batna •Après l'obtention du Brevet du 1er Cycle vous rejoignez le Lycée d'AUMALE. actuellement REDHA HOUHOU) de Constantine, puis celui de ST. AUGUSTIN de BONE (ANNABA) où vous avez obtenu les deux parties du Baccalauréat dont celui de Mathématiques Elémentaires en 1946. •Au Lycée BUGEAUD (actuellement EMIR ABD EL KADER) vous vous êtes inscrit pour deux années consécutives en séries Mathématiques : Supérieures puis Spéciales dites toutes deux TAUPE vous préparant à des concours aux Grandes Ecoles. •Mais celui de l'Ecole des Mines, votre choix prioritaire, ne vous a pas souri. Aussi vous êtes-vous contenté de l'inscription en Licence d'Enseignement de Mathématiques à l'Université d'Alger, Licence que vous avez obtenue à la veille de la Révolution pour ensuite effectuer en 1955 une année de stages pédagogiques dans divers lycées d'Alger en vue du C.A.P.E.S. •En 1956 , au Collège Moderne de Batna, ce fut votre 1er poste que vous avez d'ailleurs gardé jusqu'en juin 1960, y enseignant les Mathématiques et même, au départ, m'a-t-on dit et ce par intermittences, Physique-Chimie. Ce dont je me rappellerai toujours et encore c'était votre silhouette revêtue d'une blouse blanche, largement échancrée sur le devant parce que jamais boutonnée, un cartable, quasi vide, ne contenant que les grandes lignes d'une préparation du jour avec exercices, ce cartable pendouillant à la main gauche ou pris serré sous l'aisselle tandis que votre main droite tenait entre ses doigts une cigarette qui, brûlée et devenue mégot, ne s'éteignait qu'après avoir servi à allumer la cigarette suivante. Vous étiez d'un abord plutôt bourru pour nous, vos élèves, et le mot « mathématiques » était synonyme de « tyrannie » selon l'appréciation populaire qu'en donnait Gaston Bachelard, cet autre remarquable scientifique autodidacte, tellement vous exigiez, de nous tous, les définitions exactes, la récitation des corollaires et autres axiomes en des termes les plus exacts, la bonne exécution de toute démonstration, avec la chronologie de ses étapes, le strict énoncé des théorèmes et leurs applications méthodiques, les constructions géométriques rigoureuses à la règle et au compas aux fins d'une recherche des lieux invariants avec leurs caractéristiques qu'ils fussent médiatrice, bissectrice, arc capable, polaire d'un point par rapport à un cercle, axe radical et autres faisceaux harmoniques.... Il vous était arrivé un jour, rapporte un élève, devenu Inspecteur d'Académie en retraite depuis une dizaine d'années, qu'entrant, haletant en classe où vos émules vous attendaient, vous aviez jeté un bref regard à votre montre pour dire à la cantonade, que de Tazoult au Collège, vous veniez de mettre – 10 minutes et 30 secondes-, au volant de votre « PL 17 », une « PANHARD ». Dans quelle intention ? Peut-être, en vue de la prochaine leçon sur « les mouvements rectilignes » ! Pour qui voulait vous voir hors du Collège, la Brasserie de l'Etoile accueillait vos interminables parties de belotes avec vos intimes, la preuve étant que la PANHARD était invariablement garée devant le SQUARE attenant. J'étais le responsable de la classe et, en tant que tel, je devais y entrer plutôt que mes camarades pour la préparation du cahier de textes à mettre en évidence sur le bureau du professeur. Ce jour-là je vous avais surpris bien avant 8 heures, au tableau noir, esquissant de curieuses mais harmonieuses courbes à la craie. Devant mon « pardon, monsieur ! » et juste faisant une furtive marche arrière en me retirant, pensant vous avoir outrageusement dérangé, vous aviez aussitôt lancé un tonitruant : « Entrrrrrez ! ». Goguenard vous aviez invité votre « 1er de la classe » à contempler votre œuvre, lui demandant ironiquement son avis. Qu'y pouvais-je y comprendre, à cet imbroglio de lignes, et vous, de m'expliquer que « ce ne sont là que des courbes unicursales appelées communément CONIQUES en mécanique céleste ! vous commencerez à en étudier quelques unes en terminales ». C'est bien plus tard, en 1960, nous promenant avec des copains le long des Allées BOCCA, devenues depuis Allées BEN BOULAID, nous étions en vacances d'été. Nous feuilletions la Dépêche de Constantine (devenue elle aussi le quotidien AN'NASR), nous y remarquions l'entrefilet nous remplissant de fierté à votre propos parce que devenu notre idole, entrefilet vous concernant donc, dans lequel vos compagnons «les professeurs du secondaire félicitent leur collègue TOURI Rachid pour son brillant succès obtenu au Certificat d'Astronomie Approfondie avec la mention « très bien » ». En fin d'année scolaire, ayant réussi avec mention mon 1er BAC et, lors de la traditionnelle kermesse de l'Ecole du Stand où vous habitiez, tard dans la soirée (vers 23h.), vous m'aviez apostrophé dans la grande cour abondamment pavoisée et illuminée pour la circonstance, bruyamment animée de refrains d'airs de l'époque qui se faisaient écho dans le grand préau. Je vins à vous, bafouillant, tandis que vous, copieusement, vous vous mîtes à me conseiller quant à mon proche avenir: devoir me rendre à Constantine dès la rentrée prochaine, y effectuer impérativement la terminale « math.élém. » parce que le collège de Batna n'offrait alors, pour nous élèves issus du Moderne qu'une classe de « philo. » pour les seuls classiques en fin de cycle secondaire. Vous aviez ajouté : « vous trouverez ma méthode intégrale chez monsieur SINKAIZEN (pardon pour l'orthographe !) mon ancien professeur de mathématiques, alsacien d'origine mais installé au lycée d'Aumale depuis 1924 ». Au cours de cette année-là (1959) j'exerçais, parallèlement à mes cours, T.P. et T.D. de « Math-Elém », la fonction fort astreignante de maître-élève : 30 heures de surveillance en internat. J'obtins, à la limite, mon 2nd BAC. L'année suivante (1960) je m'inscris en MPC. En cours d'année j'eus la surprise de vous apercevoir un matin, de bonne heure, au Lycée d'Aumale. Vous veniez passer l'écrit de l'Agrégation de Mathématiques, examen qui avait mobilisé nombreux autres candidats dans plusieurs disciplines. De 7 h du matin à 17 h de l'après midi, entre quatre murs et sans interruption si ce n'était la pause de midi pour avaler un sandwich et un soda, vous « crapahutiez » devant des problèmes complexes. Vous m'aviez demandé, en début d'épreuve, un livre de tables de logarithmes dites « RATINET ». Je vous en avais rapporté un, de couleur rouge, sur le champ. Mais vous m'engueulâtes alors parce que l'édition rouge comportait des formules interdites à l'épreuve. Je repartis aussi vite vous l'échanger contre l'édition jaune, celle-là plus officielle. Je vous perdis de vue en 1961. La sinistre OAS ne permettait plus aux étudiants algériens de continuer sereinement leur cursus universitaire. Mais à l'indépendance, vous vous étiez retrouvé enseignant les années « TAUPE » ou préparatoires aux Grandes Ecoles et ce au Lycée BUGEAUD devenu Lycée EMIR ABD EL KADER d'Alger, juste 16 ans après que vous y fûtes vous-même élève. •1962 vous vit avec le titre d'Agrégé de l'Enseignement et ce après votre succès à l'oral passé à Paris. •Devenu aussitôt Maître-Assistant à l'Université d'Alger, en 1971 vous y êtes nommé Doyen de la Faculté des Sciences tout en assurant, en parallèle, des cours à des étudiants et préparant vous-même un Doctorat d'Etat auprès d'une Faculté de Nice. •Jusqu'en 1981, vous aviez veillé sur l'Université d'Alger en qualité de Recteur pour, ensuite, être Représentant de l'Algérie auprès de l'UNESCO à Paris durant 3 années. •Retour à Alger pour une retraite mais, ayant les mathématiques comme vous dans le sang, vous ne pouviez vous empêcher de continuer à être Professeur Associé à l'Université des Sciences et de la Technologie « HOUARI BOUMEDIENNE » (U.S.T.H.B.) dispensant des cours de haut niveau et ce pratiquement jusqu'à votre décès survenu un 7 novembre 1993. Un jour, votre femme, se plaignant des absences de sortie de famille en voiture à la campagne comme tout un chacun, vous lui répliquâtes sèchement : « moi ! je prépare mes cours ! moi ! » pour résumer que la chose qui vous importait le plus au monde c'étaient la fidélité au savoir rigoureux de la mathématiques, vos étudiants et chercheurs : assistants et maîtres assistants qui en dépendaient idéalement. Responsable aux plus hautes instances de l'Université, vous aviez continué à assurer donc vos cours qui, aux dires de vos étudiants, actuellement Docteurs d'Etat dans diverses branches de la Mathématique, comportaient la plupart du temps une énigme donnée en fin de séance, sous forme d'un thème de recherche, le point final d'une quelconque démonstration n'existait pas chez vous parce qu'alors débutait une question à résoudre pour vos étudiants, façon pour vous de les initier à la recherche continue. Vous fûtes un symbole pour nombre d'entre nous, pour ne pas dire pour une génération entière, à qui vous aviez appris les mathématiques, ce puissant outil tant de l'esprit que de la pratique, outil permettant des applications dans de nombreux domaines, depuis les sciences de l'ingénieur jusqu'à la recherche fondamentale en passant simplement par l'acquisition de la raison critique propre à l'honnête citoyen, doué du bon sens et donc être bien pensant. Vous resterez présent au fond de nous tous, vos élèves, vos étudiants devenus, à leur tour, Professeurs et Hauts Cadres, tant en Algérie que dans le monde entier où vous avez essaimé le savoir mathématique, bref de tous ceux qui vous ont approché. Puissent les autorités scolaires et universitaires, que dis-je, la Nation entière, pérenniser votre nom en en baptisant amphis, instituts et grandes places, de sorte que les générations à venir aient à se rappeler monsieur TOURI Rachid à bon escient, s'en imprégner et agir avec logique et pertinence.