Le coup de force constitutionnel vient de consacrer un brutal retour à l'ère de la glaciation. Avec un président omnipotent et omniprésent, il est opportun de (re)poser la lancinante question de savoir s'il y a encore dans ce pays d'autres centres décisionnels qui pouvaient brandir le veto contre la tentation hégémonique, désormais inscrite dans les textes, de Bouteflika. Il serait naïf de croire que le futur candidat président a décidé seul. L'homme qui ne voulait pas être un « trois quarts » de président en 2000 a simplement fini par prendre du galon depuis. Il a pu et su dégrader la hiérarchie militaire de son poids dans la vie politique nationale pour asseoir sa domination. A quel prix ? Cela mérite plus qu'une analyse face aux insondables rabibochages du régime. On retiendra néanmoins que l'adversaire le plus farouche du deuxième mandat en 2004, l'ex-chef d'état-major des armées, Mohamed Lamari, était venu présenter ses vœux à Bouteflika à l'occasion du 1er novembre. On retiendra, également, que l'autre homme fort de la grande muette, Larbi Belkheir, connu pour être le faiseur des rois en Algérie, est souffrant. Qui pouvait donc se mettre au travers de Bouteflika pour lui intimer l'ordre de ne pas toucher aux fondamentaux de notre démocratie de façade ? Le Président a mis certes beaucoup de temps pour passer à l'acte, mais il a fini par avoir le dernier mot avec, sans doute, les compliments des chefs militaires. Même l'hypothétique poste de vice-président qu'on présentait comme un joker et un contre-poids des militaires aux visées autocratiques de Bouteflika a volé en éclats. C'était juste pour amuser la galerie et entretenir un semblant de débat politique dans les journaux, histoire de crédibiliser autant que faire se peut cette révision de la constitution. Zeroual en avance… Il y a donc deux lectures à faire. Ou bien les chefs militaires sont arrivés à la conclusion que Bouteflika est le seul à même de garantir le maintien du statu quo qui les arrange également. Ou alors, hypothèse moins plausible, ils ont dû batailler dur avant de se rendre. Mais dans les deux cas, l'Algérie qui avance se retrouve orpheline d'un guide du fait qu'elle s'est fourvoyée, à croire – des décennies durant – que son salut allait de pair avec la logique de la caserne. Les amendements que vient de décréter Bouteflika et la présidence à vie ou à mort – c'est selon – qui en découle constituent quelque part une formidable mise à nu du régime dans sa façade civile et son arrière-plan militaire. C'est ce mariage de raison qui va donner naissance à un système politique hybride incatalogable ni dans un régime présidentiel ni dans celui parlementaire. Ironie de l'histoire et du sort, l'avancée démocratique de l'Algérie via la limitation des mandats présidentiels fut décidée par un général en 1996 et la reculade despotique est l'œuvre d'un civil en 2008. Autant le président Zeroual a eu le courage politique et la dignité de tirer sa révérence avant même la fin de son mandat, autant Bouteflika ordonne avec arrogance de remettre en cause cet acquis. Le comble est que cette entreprise liberticide attentatoire à la règle de l'alternance est emballée sous forme d'une conquête politique et populaire ! Le peuple algérien si éprouvé par toutes les mascarades politiques et militaires ne mériterait-il pas autre chose que de se faire arnaquer de façon aussi inintelligente ? Cela étant dit, est aussi pitoyable la posture de tâcheron d'Ahmed Ouyahia qui, en 1996, applaudissait à tout rompre, l'avancée démocratique de l'Algérie qui n'avait « rien à envier aux grandes démocraties », grâce à la courageuse décision de Zeroual de limiter les mandats. Et, aujourd'hui, le même Ouyahia applaudit de la même manière la (re)fermeture de la parenthèse démocratique… Encore une fois, c'est un général, Rachid Benyelles, qui dénonce courageusement un scandale politique aussi particulier. C'est peut-être un signe qui ne trompe pas que l'armée est politiquement K.O. dès lors que les intérêts bien compris de ses officiers et ceux du Président sont plutôt OK. Quant à la démocratie « populaire », elle peut toujours attendre une prochaine mystification.