Le chef de l'Etat guinéen, le général Lansana Conté, est mort à l'âge de 74 ans dans la nuit de lundi à mardi, mais cette disparition a plongé son pays dans une grave crise, soit un vide institutionnel, puisque la Constitution a été suspendue et le gouvernement ainsi que toutes les institutions dissous. C'est un coup d'Etat qui vient de se produire après une course pour le pouvoir entre les anciens dignitaires et des militaires. En d'autres termes, constateront les analystes surtout les politiques et les constitutionnalistes, une telle situation semblait inévitable tant la Guinée n'a jamais, à vrai dire, connu des institutions suffisamment fortes pour survivre à la disparition de leurs concepteurs. Plus que cela, le monde a subitement découvert, à la suite de son décès survenu après une longue maladie, que le président Lansana Conté était un général putschiste et qu'il n'avait toléré aucune opposition. Paradoxalement présenté comme le bon élève, voire comme un modèle de stabilité, la Guinée vivait seule sa détresse, elle, qui n'a connu que deux chefs d'Etat depuis son indépendance en 1958. Celui qui a pris le pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat le 3 avril 1984, une semaine après la mort du père de l'indépendance Ahmed Sékou Touré, s'est appuyé lors de ses 24 ans de pouvoir sur l'armée pour réprimer dans le sang une contestation grandissante, restant sourd à la détresse d'un peuple dont il affirmait pourtant vouloir « le bonheur ». Son état de santé s'étant progressivement dégradé depuis 2002, il résidait souvent dans son village de Wawa (80 km au nord-ouest de Conakry), mais affirmait vouloir rester au pouvoir jusqu'à la fin de son mandat, en 2010. « Je suis le chef, les autres sont mes subordonnés », assénait-il en juin 2007 tout en assurant que « l'essentiel » pour lui, c'était « le bonheur du peuple de Guinée ». Mais cette année-là, en janvier et février 2007, les grandes manifestations populaires hostiles au « système Conté » et aux « prédateurs de l'économie nationale » avaient été sévèrement réprimées : les ONG avaient dénombré 186 morts et 1200 blessés. Son décès a été annoncé par le président de l'Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, aux côtés du chef d'état-major, le général Diarra Camara et du Premier ministre. Auparavant, tous les hauts responsables du régime s'étaient réunis au Palais du peuple (siège de l'Assemblée nationale) pour évoquer « la succession du président », tandis que le président de la Cour suprême était appelé à constater la vacance du pouvoir et à faire appliquer la Constitution. La gestion des affaires du pays doit alors revenir temporairement au président de l'Assemblée nationale, chargé d'organiser une élection présidentielle dans les 60 jours. Tout cela avant qu'un capitaine de l'armée guinéenne annonce, hier matin à la radio d'Etat, la dissolution du gouvernement et des institutions républicaines et la suspension de la Constitution en Guinée. « A compter d'aujourd'hui, la Constitution est suspendue ainsi que toute activité politique et syndicale », a déclaré le capitaine Moussa Dadis Camara, lisant un communiqué sur les ondes de Radio Conakry. « Le gouvernement et les institutions républicaines sont dissous », a-t-il ajouté en annonçant qu'un « conseil consultatif » allait bientôt être mis en place, « composé de civils et de militaires ». Y a-t-il un changement d'orientation ou encore pour rester dans la tradition, y a-t-il putsch puisque ce qui va suivre en donne quelques indications. En effet, cet officier, qui était jusqu'à présent chef de la section carburant à l'intendance des armées, a lu un communiqué de teneur résolument sociale, évoquant le « désespoir profond de la population » et accusant les gouvernants d'en être responsables. « La Guinée a fêté le cinquantenaire de son indépendance le 2 octobre avec un classement dans la catégorie des pays les plus pauvres de la planète. Avec les immenses ressources naturelles dont elle est dotée, la Guinée aurait pu être beaucoup plus prospère, mais l'histoire et les hommes en ont décidé autrement », a-t-il dit. « Les détournements de deniers publics, la corruption généralisée, l'impunité érigée en méthode de gouvernement, l'anarchie dans l'appareil de l'Etat ont fini par plonger notre pays dans une situation économique catastrophique, particulièrement dramatique pour la grande majorité des Guinéens », a-t-il poursuivi. « Les membres de l'actuel gouvernement sont en grande partie responsables de ces crises sociale et économique sans précédent, de même les institutions républicaines ont brillé par leur incapacité à s'impliquer dans la résolution de cette crise », a-t-il accusé. Ce qui va dans le sens des multiples rapports établis du vivant du président Lansana Conté, par des ONG, le mettant en cause dans le drame que vit le pays. Une nouvelle crise comme l'indique la réaction rapide de l'Union africaine. Une crise de trop.