Il y a quelques semaines, le Canada a refusé des dattes algériennes. La Russie et le Qatar ont refoulé de la pomme de terre et la France en a brûlé… Les fruits et légumes algériens ne sont plus désirés par les autres pays. Certains évoquent un taux élevé de pesticides, ce qui suscite un sentiment de peur chez les consommateurs. Les produits agricoles algériens ne sont plus les «bienvenus» dans plusieurs pays étrangers à cause d'une haute contamination aux pesticides. Une information donnée par Ali Bey Nasri, président de l'Association nationale des exportateurs algériens (Anexal), qui intervenait la semaine dernière sur les ondes de la Chaîne 3. Depuis, le sujet de l'«utilisation abusive et anarchique» des pesticides fait polémique et suscite la peur des consommateurs algériens, qui se posent de plus en plus de questions sur leur alimentation. Pour les spécialistes, plusieurs facteurs se cachent derrière la présence de produits phytosanitaires dans nos assiettes. Selon Karim Rahal, président du collectif Torba pour la sensibilisation du consommateur algérien à revenir au respect de la terre, de la nature et de l'environnement, «le problème des pesticides n'est réellement apparu que lorsque les produits phytosanitaires ont inondé le marché et que des utilisateurs peu scrupuleux les ont utilisés de façon anarchique pour accroître les gains, occultant les problèmes de santé publique qu'ils peuvent engendrer. Cela ne se voit pas, donc ça n'existe pas !» M. Rahal indique que l'Algérie est l'un des pays au monde qui consomme le plus de pesticides par habitant. «Ces traitements proviendraient essentiellement des exploitations intensives, qui commercialisent des milliers de tonnes de produits agricoles qui seraient impropres à la consommation et entraîneraient insidieusement des problèmes de santé publique. Nous ne faisons plus confiance à ce qui s'achète dans les marchés, rien ne nous garantit comment ont été produits ces fruits et légumes», ajoute Karim Rahal. —— Contrôle Cette hypothèse est partagée par le président de l'organisation algérienne de protection du consommateur Apoce, Mustapha Zebdi, qui alerte depuis plusieurs années sur la teneur en substances dangereuses de nos aliments. En effet, selon ce dernier, les études établies par les experts scientifiques en collaboration avec l'Apoce relèvent que la forte présence de pesticides dans nos assiettes revient en premier lieu à une commercialisation anarchique et non contrôlée sur le marché algérien mais aussi à l'utilisation abusive et non réglementée par les agriculteurs. Par ailleurs, MM. Rahal et Zebdi mettent l'accent sur le problème des laboratoires d'analyse et du contrôle. «Les systèmes de contrôle qualité des produits agricoles n'existent pas ou sont très insuffisants. Tout agriculteur peut mettre autant de produits phytosanitaires qu'il veut dans ses cultures et les vendre sans jamais être inquiété ou contrôlé sur la qualité des produits qu'il propose», déplore Karim Rahal. Pour sa part, Mustapha Zebdi avance : «On a un manque flagrant de laboratoires d'analyse et de contrôle de la qualité. Et le peu qu'il y a couvre le contrôle de toutes les productions au niveau national et travaille sur des échantillons. Aussi, il faut souligner que ces laboratoires utilisent la technique des examens bactériologiques et ces examens ne permettent pas de détecter les résidus de pesticides.» Et de souligner qu'«on est arrivé à une situation inquiétante». Echantillons «Il faut prendre la question de l'utilisation excessive des pesticides au sérieux et garantir la sécurité animale et végétale de nos aliments. Aujourd'hui, la création d'un conseil national de la sécurité alimentaire est plus que nécessaire pour discuter de tous les problèmes de l'alimentation algérienne», conclut Mustapha Zebdi. Pourtant, les déclarations de la tutelle disent le contraire. En effet, selon le communiqué du ministère de l'Agriculture, du développement rural et de la Pêche, les causes du refoulement de la marchandise algérienne ne sont pas d'ordre phytosanitaire, sans avancer les vraies causes. Et d'affirmer que ses services veillent à ce que les produits agricoles répondent aux normes phytosanitaires internationales. Pour ce qui est du contrôle, la tutelle note que les services phytosanitaires ont simplifié les procédures de contrôle en réalisant des prélèvements d'échantillons sur site, au niveau des plateformes d'exportation, afin que la marchandise soit admise directement au niveau de point de sortie (port ou aéroport) où le certificat phytosanitaire d'exportation est établi. Par ailleurs, dans un entretien accordé à l'APS, le directeur de la protection des végétaux et des contrôles techniques auprès de ce ministère, Moumen Khaled, a indiqué que les produits phytosanitaires à usage agricole sont soumis, avant leur mise sur le marché national, à une homologation délivrée par le ministère de l'Agriculture après plusieurs procédures de contrôle. Soulignant qu'un travail d'encadrement et d'accompagnement des agriculteurs est mené régulièrement par les organismes de ministère de l'Agriculture, notamment les instituts techniques, pour leur inculquer le mode d'utilisation des produits selon les normes selon lesquelles ils ont été homologués. Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? Peut-on être rassuré face au danger des pesticides ? Non... Cancers «Bien qu'insidieux, les dangers des pesticides sont réels, ils sont malheureusement là, on les voit tous les jours. Les services d'oncologie sont pleins à craquer. ‘‘L'Algérie est l'un des pays au monde qui consomme le plus de pesticides par tête d'habitant pour des intérêts d'industrie agroalimentaire'', a déclaré le professeur Bouzid, président de la Société algérienne d'oncologie médicale», affirme le président du collectif Torba. Et d'ajouter que ces produits phytosanitaires sont reconnus comme cancérigènes : «Chez les agriculteurs et ceux qui les manipulent, ils sont à l'origine de cancers hématologiques. Ils sont fatalement cancérigènes pour les populations qui consomment les produits traités par des pesticides, des additifs alimentaires et même des aliments importés et dont l'origine n'est pas identifiée.» Le professeur Bouzid explique l'«augmentation des cancers du tube digestif (deuxième incidence chez les malades) par la présence de pesticides dans les aliments des Algériens». Par ailleurs, les pesticides seraient aussi responsables, selon la littérature scientifique, de la plupart des troubles digestifs comme les intolérances, les ulcères, les troubles de l'assimilation… Ils entraîneraient un affaiblissement du système immunitaire, une perturbation du système endocrinien, des troubles neurologiques, des problèmes d'infertilité… Ils traverseraient même la barrière placentaire et causeraient des malformations congénitales ainsi que des troubles de la croissance chez les enfants. «Le collectif Torba prend très au sérieux les mises en garde des oncologues et cherche par tous les moyens à prémunir le consommateur de ces produits qui inondent le marché des phytosanitaires utilisés pour la production maraichère et arboricole.» En effet, en tant acteur de la société civile, le collectif Torba travaille sur l'information du consommateur de l'évolution du marché des produits agricoles de large consommation. «Fini le temps où on considérait les fruits et légumes algériens bons et sains. Maintenant, c'est l'économie de marché, c'est la course à la production au moindre prix et tous les coups sont permis», lance Karim Rahal. Et de continuer : «Nous sommes pour une prise de conscience, pour que les consommateurs s'organisent et fassent pression sur les producteurs pour aller vers une agriculture respectueuse de l'environnement et de la santé de l'homme. Nous sommes persuadés qu'avec le temps, les consommateurs ont le pouvoir de changer les choses ; les producteurs et les filières suivront et s'organiseront pour répondre à ces besoins nouveaux de qualité et de traçabilité.»