Responsable de l'OIM (Organisation internationale pour les migrations) à Alger, Pascal Reyntjers a pris part à l'opération de rapatriement par route des migrants nigériens depuis Alger jusqu'à Tamanrasset. Très ému et particulièrement touché par les témoignages des migrants, il nous livre, dans cet entretien, ses premières impressions et revient sur le phénomène de l'immigration clandestine.... – Quelle est votre première impression après avoir pris part à l'opération de rapatriement des migrants nigériens depuis Alger jusqu'à Tamanrasset ? Mon premier constat, c'est d'abord cette grande coordination entre les différents ministères et le Croissant-Rouge algériens, qui ont pris part à l'organisation de cette opération depuis Alger jusqu'à Tamanrasset. Il y a aussi le grand travail consenti par le wali, très attentif à tous les détails. – Est-ce la première fois que vous prenez part à un tel voyage ? Faire un tel voyage est pour moi une valeur ajoutée. Je m'explique : des fois on peut lire des rapports, voir des images, mais faire la route soi- même, être en contact direct avec les volontaires et les services d'un côté et les migrants de l'autre, cela change la perspective. Ce sont 44 heures de route et quelle que soit la coordination, la situation reste très dure. Autre élément à relever, c'est de voir que plus on descend vers le sud du pays, plus on est confronté à des conditions climatiques difficiles. On a senti la détérioration de la route et on peut comprendre qu'il y ait des tensions chez les familles de migrants qui rentrent chez eux... – En prenant part à cette opération, ne voyez-vous pas qu'il y a un décalage entre les critiques portées contre l'Algérie, l'accusant de porter atteinte aux droits des migrants et la réalité sur le terrain ? Je pense qu'il faut trouver un équilibre entre les déclarations des uns et des autres, une perspective qui soit la plus objective possible. Pour y arriver, il faut faire un travail de journaliste, et avoir tous les moyens en main pour faire une analyse. Oui, j'ai fait la route avec les migrants et j'ai parlé avec un certain nombre d'entre eux. Au centre d'accueil de Ghardaïa, j'ai parlé avec une fillette de 11 ans. Elle m'a expliqué qu'elle avait fait le voyage avec sa petite sœur de 9 ans, que des gens l'avaient aidée et qu'elle était également entourée par des réseaux de passeurs et de trafiquants. C'est dire que nous nous retrouvons dans des situations inhumaines auxquelles il faut trouver des réponses. D'un autre côté, je pense toujours à cette jeune fille. Dans quelques jours, elle sera chez elle... – Est-il évident qu'elle y reste ? J'étais à côté des bus. J'ai vu des familles, des enfants, des bébés, des adolescents et je me disais au fond de moi qu'ils vont rentrer chez eux, que c'était bien organisé. Mais, après ? Quelles sont leurs opportunités ? Quelles sont leurs chances de construire une vie ? D'un côté, il y a l'aide humanitaire immédiate et de l'autre, le moyen et le long termes, beaucoup plus difficiles à mettre en place, parce qu'il s'agit du développement économique, social et environnemental qui demande l'association des populations et leur engagement. Beaucoup de travail reste à faire et il ne pourra passer que par une solidarité internationale et un partenariat entre les uns et les autres... – Justement, en 2014, des fonds ont été accordés au gouvernement nigérien pour aider sa population à se fixer, mais quatre ans après le flux migratoire n'a fait que se multiplier. N'y a-t-il pas de solutions plus efficaces pour fixer la population et éviter les barrières sécuritaires qui existent un peu partout ? Quand on a une barrière, il y a toujours une autre route qui s'ouvre. Nous l'avons vu ces dernières années à l'est de l'Europe ou encore en Méditerranée. Les passeurs de migrants finissent toujours par trouver un autre chemin. Pourquoi ? Parce qu'ils se basent sur la détresse des gens. Les populations doivent être informées des dangers de l'immigration irrégulière. C'est une des clés, mais pas la seule. Lorsque vous dites aux migrants qu'ils risquent de mourir dans le désert ou en Méditerranée, ils vous répondent : «Au moins j'aurais tenté ma chance. Chez moi, je n'ai aucun avenir.» Je n'aime pas trop le terme «fixer la population». Je lui préfère fixer le développement, offrir les opportunités aux populations et mettre en place les canaux de migration légale. – Une fois rentré chez vous, quelle sera la priorité de vos priorités, en tant qu'organisation qui s'occupe des migrants ? De pouvoir continuer le travail mis en place dans le monde, ou dans cette région, notamment dans les pays voisins, que ce soit au Mali ou au Niger, ou dans les 14 pays d'Afrique de l'Ouest, en privilégiant les initiatives d'intégration, mais aussi de soutien à la réintégration des communautés sur place...