Inéluctablement, il était écrit que Lalmas devait perdre le dernier match qu'il était en train de disputer depuis des années. La Faucheuse nous a pris, à un âge pas très avancé, celui qui a marqué de son empreinte le football national des années soixante. Ce footballeur de légende n'a pas franchi les étapes coutumières à une progression cyclique, puisque durant la Guerre de Libération et jusqu'à sa fin, les clubs de sport dits musulmans avaient gelé toute activité. C'est à la reprise, au recouvrement de l'indépendance, que ce jeune homme de 20 ans allait s'affirmer très vite au firmament des joueurs de football les plus en vue. Le premier coup d'éclat, Ahcène Lalmas le provoqua au stade du 20 Août (ex-municipal) d'Alger, lorsque la vieillissante équipe du FLN l'avait intégré en son sein. Face à la grande équipe de l'URSS protégée par l'immense gardien de but Lev Yachine, l'équipe d'Algérie arrachait le nul grâce à une égalisation du joueur belcourtois. Depuis, l'ascension de ce sportif le mènera à goûter à la joie du succès et à transporter d'aise ses admirateurs. Il sera pendant une douzaine d'années la marque de fabrique du football algérien naissant jusqu'à atteindre une renommée internationale incontestée. Dans ce qui était le sport amateur, Lalmas s'astreignait seul, et loin des rétributions financières et matérielles des footballeurs d'aujourd'hui, à un régime de préparation d'athlète de haut niveau pour affirmer son talent sur les terrains d'Algérie et d'Afrique. Puissant techniquement et physiquement (les gens aimaient à le dénommer «El Kebch», (Le bélier), intelligent et clairvoyant dans le jeu, il déterminait à lui seul l'issue d'une rencontre. Il est dommage que les nouvelles générations ne connaissent rien de ce footballeur hors normes à qui des clubs étrangers huppés ont proposé un pont d'or pour qu'il franchisse la Méditerranée. Très peu d'images et de documents sur ses exploits sont aujourd'hui restitués sur cette authentique icône nationale qui a creusé le sillon de générations de footballeurs matériellement désintéressées mais mues par l'envie de lui ressembler. Le problème ne concerne pas que le récent défunt rappelé comme tant d'autres célébrités nationales auprès du Bon Dieu. Comment entretenir une image de qualité de ces sportifs et artistes de légende à travers les âges et les générations mémorielles, si l'absence de témoignages iconographiques filmés, de documents révélateurs de leur art et de leurs exploits ne survivent pas à la postérité ? Rappelons-nous, par exemple, le vide documentaire filmé et parlé laissé à sa mort par le maître de la chanson chaâbie, El Hadj M'hamed El Anka : deux ou trois chansons en noir et blanc décrépies par l'usure du temps... Il est admis que l'Algérie contemporaine ne sait pas, ou ne veut valoriser ses hommes et ses femmes méritants et célèbres quels qu'ils soient, pour les inscrire au panthéon de l'histoire et les intégrer au patrimoine culturel et sportif national. A défaut, la tradition orale bien de chez nous produit encore aujourd'hui son effet pour conter et entretenir à titre posthume le mérite des uns et des autres et couver, au fil des générations, leur image positive dans la mémoire collective. Mais après, demain, qui se souviendra de Ahcène Lalmas ?