Natif de Béjaïa, mais installé en Belgique depuis plusieurs décennies, l'artiste-peintre Boubeker Hamsi expose, jusqu'au 26 août 2018, ses récentes œuvres à la galerie Baya du palais de la Culture Moufdi Zakaria de Kouba, à Alger. Rencontre avec cet artiste humble aux qualités artistiques incontournables qui nous conte sa Kabylie et son village. Vous signez une collection intimiste intitulée «La terre est mon village», où vous immortalisez des séquences de scènes de votre Kabylie natale ? «La terre est mon village» n'est autre que le thème de mon village. C'est un thème qui a été choisi par quelqu'un avec qui je collabore en Belgique. Nous sommes partis du principe que dans n'importe quel village du monde, en Afrique ou ailleurs, quand on va dans un village, les gens ont les mêmes gestes que nous. On voit des gens qui vont, entre autres, au travail et s'affairent à leur quotidien. C'est justement ce quotidien qui nous ressemble et nous rassemble. C'est une exposition qui a été réalisée dans un premier temps pour les Européens, pour mieux faire connaître notre culture à travers ces toiles. Exceptionnellement, j'ai travaillé énormément pour cette présente collection. Comme je venais dans mon pays d'origine, j'ai voulu faire ce joli cadeau à mon peuple. Cette collection compte une soixantaine d'œuvres nouvelles, dont cinq ont été déjà présentées en 2012. Ce sont des toiles acryliques aux formats différents. «La terre est mon village» est une exposition itinérante, puisqu'elle a commencé à Paris et en Belgique en 2010. Il est important de souligner que la plupart des œuvres que j'ai ajoutées ont été conçues pour l'Algérie. Votre collection est avant tout un hommage à l'élégance, à la beauté et aux qualités intrinsèques de la femme kabyle ? Effectivement, ma collection de peinture est un hommage à la femme kabyle. Ces femmes ont réalisé plusieurs choses importantes, notamment la poterie. Elles ont illustré ces poteries par des motifs. La poterie, c'est de l'art. Elles ont, également, fait des tapisseries. Elles ont été aussi conteuses. Ce sont des femmes qui ont été des porteuses de notre culture kabyle. A travers ma contribution modeste j'ai voulu rendre hommage à la femme kabyle à travers certaines séquences de la vie que j'ai vécues. J'ai, d'ailleurs, un amour immense pour la femme. D'abord, il y a ma mère, ma grand-mère, mes tantes et mes nombreuses sœurs. A travers tous les membres féminins de ma famille, c'est aussi toutes les autres femmes, que ce soit en Algérie ou ailleurs. Il y a des femmes ailleurs qui ont eu la même vie. Il y a des époques qui représentent ce travail qui a été fait par d'autres femmes. J'insiste sur le fait que la joie est omniprésente dans mes œuvres. Si les femmes kabyles que vous peignez sont rayonnantes de beauté, vous avez également mis l'accent sur leurs costumes et bijoux berbères ? J'ai tenté de raconter des séquences de vie et des rituels à travers les bijoux et les costumes. A titre d'exemple, j'ai énuméré certains ustensiles que la femme utilise pour se faire belle lors d'un mariage, d'une cérémonie, ou encore de la cueillette des olives. C'est une sauvegarde de notre patrimoine ancestral. Il ne faut pas oublier que ma sœur Khadidja a été une grande couturière. J'ai vécu une partie de ma vie chez elle. Peut-être bien qu'elle m'a influencé. Il est vrai que j'ai voulu mettre en valeur la femme kabyle avec ses bijoux et ses costumes et non dans sa quotidienneté. Dans le tableau intitulé «Les femmes kabyles», vous proposez une juxtaposition de portraits pluriels de belles femmes, mais avec des profils différents ? Peut-être que j'ai connu ces femmes. Il s'agit de portraits de groupes de belles femmes, sapées de beaux costumes traditionnelles, rehaussées de bijoux berbères. La question qui se pose ? Qu'est ce qu'elles sont en train de faire toutes ensemble ? Est-ce qu'elle sont en train de se rendre à un mariage ou sont-elles en train de manifester? Manifester, je ne pense pas. J'ai voulu, à travers cette toile, rendre un hommage à la femme kabyle, en mettant tout un groupe de femmes. Quand on regarde une femme donnée, elle est belle, magnifique et attirante. Dans le profil de chaque femme, dans chaque geste, il y a quelque chose qui se passe. Comme disait une artiste étrangère, ‘‘la peinture est un livre ouvert''. Je pense que chaque toile est une page d'un bout de ce que j'ai vécu et d'un thème précis. Chaque fois qu'on plonge dans une toile, on peut rester des heures entières à méditer. Ainsi, votre peinture est un livre ouvert qui convie le visiteur à déambuler dans votre univers, celui de votre tendre Kabylie, Béjaïa… J'invite, en effet, le visiteur à tourner les pages d'un livre, sauf que le visiteur quand il vient, il rentre dans le tableau pour se retrouver quelque part. Il va aller chercher l'œuvre et la décortiquer. Il est à l'intérieur de l'œuvre, mais quand il ressort il vient vers moi pour évoquer ses propres souvenirs qui sont similaires aux miens. La mixité semble omniprésente dans l'ensemble de vos toiles ? Il est tout à fait vrai que j'ai voulu mettre un peu de mixité dans mes toiles. Si on se réfère au passé, il y avait les femmes qui étaient seules quand, par exemple, elles allaient à la cueillette des olives. Dans certaines de mes toiles j'ai voulu présenter des scènes, en mettant des hommes participant au travail avec les femmes. J'ai voulu que ce soit comme cela. J'ai parfois une liberté de détourner la réalité et de mettre en avant la mixité. De plus, aujourd'hui, la Kabylie est mixte. Il y a un tas de choses que j'ai voulu faire passer dans ma peinture. A titre d'exemple, dans le tableau intitulé «Le repas familial» il y a plusieurs personnes en action. Dans cette grande pièce, on aperçoit des gens préparant le couscous. Je montre un homme en train de préparer le couscous et une femme qui sert à manger. Il y a toute une ambiance dans l'air. Je ne vous cacherais pas que j'ai une façon de travailler. Dans chaque tableau je mets toujours tous les ustensiles qu'il y a autour. Par exemple si je peins le thème de la tapisserie, je mets tous les éléments qui sont autour. Je mets ces tapisseries toujours sur mes toiles. Votre peinture n'est-elle pas un clin d'œil à ce passé révolu à jamais ? Tout à fait. Sans passé, nous sommes morts. Nous mettons notre passé à l'avant. Je pense que nous allons vers le passé pour rechercher des éléments, pour nous réconforter. Nous essayons de mettre en avant ce passé tel qu'il s'est déroulé. Nous essayons d'être universels. Une exposition qui est vue par des Algériens -lesquels ont vécu certaines scènes- n'est pas perçue de la même manière par les Belges ou encore les Espagnols. Ne pensez-vous pas que la société moderne est en conflit avec tout ce qui est traditionnel ? Cela dépend de ce qu'on entend par la tradition. Me concernant, je regarde beaucoup d'émissions qui parlent de la tradition. On va dans de petits villages où il y a des gens qui ont complètement abandonné les villes pour aller dans les villages et refaire du fromage tel qu'on le faisait avant. Je pense qu'il y a de plus en plus, pour certains, un retour à l'écologie, au village. On est en train de retaper de vieilles maisons pour construire des bâtisses affreuses. Je pense qu'il y a aujourd'hui une conscience. Nous avons beau moderniser le monde. Le monde moderne nous a ramené beaucoup plus de problèmes parce qu'il y a une avancée matérielle et financière au profit de beaucoup de projets. Dans un passé récent, les gens vivaient avec ce qu'ils avaient et ils étaient heureux. C'est un retour aux sources. Je pense qu'il y a des traditions qui sont bonnes, notamment dans l'éducation, qu'il faut absolument sauvegarder. Il y en a d'autres qu'il faut bannir. Pour ma part, je pense qu'il faut sauvegarder les sensibilités et les traditions que mes parents m'ont inculquées. Si aujourd'hui en Belgique je suis reconnu et apprécié, c'est parce que j'ai su les toucher par mon travail. Eux, les Européens, ils ont perdu cette sensibilité. Vous vous plaisez à chaque fois à dire que votre village n'a pas de frontières… J'ai toujours dit que mon village n'a pas de frontières mentalement et moralement. Comme disait Khalil Gibran, ‘‘la terre est ma patrie et l'univers est ma famille''. J'adore cette façon de dire que mon village est ouvert parce qu'il ressemble à d'autres villages. C'est dans ce sens-là. C'est cette universalité que j'ai envie de porter dans mes toiles et dans mes expositions. Cela ne pourrait que nous renforcer à redevenir des humains, à être proches et attentifs aux problèmes. Aujourd'hui, la terre est en train de souffrir. Ici ou ailleurs, il y a des guerres et du racisme. Ces valeurs-là j'ai envie de les inculquer à travers mes toiles. J'ai mené, aussi, un projet international, «Les mains de l'espoir», qui a transité par 82 pays. J'ai fait un travail immense, axé sur le vivre-ensemble. Le vivre-ensemble, c'est partager des valeurs. Cela doit être une école de la diversité, où ce qui est beau et que je possède, je te le donne et toi tu me donnes tout ce qui est beau. C'est comme cela que je vois le vivre-ensemble. Ce n'est pas manger du couscous et danser lors d'une soirée, comme le font, malheureusement, beaucoup d'associations. Votre palette est des plus joyeuses, avec cette redondance de l'orangé, du vert et de l'ocre ? Je peins ma Kabylie avec ses arbres et sa nature luxuriante verte. Le jaune ocre, c'est la couleur du soleil. C'est une couleur que je mets pour représenter la terre, mais qui fait ressortir en même temps les couleurs. Sinon quelle est la couleur préférée de Boubekeur Hamsi ? Ma couleur préférée reste le noir. Elle est très rare dans mes toiles. Le noir n'est pas une couleur. En fait, toutes les couleurs forment une seule couleur. Quelle définition donneriez-vous à votre peinture ? On dit que je suis un peintre ‘‘naïf''. L'art naïf, c'est de l'art spontané et ethnographique, parce que cela raconte quelque chose qui est véridique. On peut parler d'''art moderne'' aussi, mais je dirais que je suis avant tout un autodidacte. Par définition, un peintre naïf est un autodidacte qui raconte la vie de son village ou encore de sa ville. Je n'aime pas quand on catalogue l'art. L'art est quelque chose qui se regarde avec son cœur et sa sensibilité. Maintenant quand je vois un clou et une orange, on dit que c'est de l'art. Peindre pour moi, me procure une joie indescriptible. Ma peinture ramène le sourire. On replonge dans son enfance et on en ressort heureux. Vous n'êtes pas trop partisan de la vente de vos œuvres ? Mes œuvres ne sont pas à vendre, car c'est une collection et une histoire. J'ai envie dans le futur de créer une fondation. Je me suis toujours battu pour les nécessiteux et les orphelins. J'ai envie, dans le futur, de créer une grande fondation afin que ces œuvres puissent être utilisées pour pouvoir, justement, créer des supports que l'on pourrait vendre en Belgique. Un dernier mot ? Avant de venir en Algérie, c'était un bonheur en me disant que je vais rencontrer le peuple algérien. Des gens qui sont en train de faire l'Algérie et d'avoir des discussions, car ils m'apprennent beaucoup de choses. Sinon après mon escale à Alger, je vais me reposer un peu. J'ai des personnes qui veulent me présenter dans des salons internationaux. Sinon, le métro qui illustrait par mes œuvres à Paris, on va l'élargir.