La tension diplomatique entre Washington et Ankara va crescendo avec l'affaire du pasteur américain Andrew Brunson. Détenu depuis près de deux ans en Turquie, il a été libéré le mois dernier, mais reste en résidence surveillée. Les Etats-Unis réclament, en vain, sa libération et décrètent en conséquence des sanctions contre la Turquie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a indiqué hier que la coopération entre la Turquie et les Etats-Unis est menacée, rapporte l'APS relayant le New York Times. Il a prévenu Washington que son pays sera contraint de se tourner vers de «nouveaux alliés», si les Etats-Unis continuent à lui «manquer de respect». «A moins que les Etats-Unis ne commencent à respecter la souveraineté de la Turquie et prouvent qu'ils comprennent les dangers auxquels notre nation est confrontée, notre partenariat pourrait être en danger», a soutenu le président turc dans un article publié par le New York Times. Et d'ajouter : «Un échec à renverser la tendance actuelle à l'unilatéralisme et le manque de respect vont nous pousser à chercher de nouveaux amis et de nouveaux alliés.» Le même jour, il a promis de répondre aux «menaces» américaines. «Il est mauvais d'oser mettre la Turquie à genoux avec des menaces concernant un pasteur», a déclaré Erdogan, lors d'un rassemblement à Unye, sur les rives de la mer Noire. «Honte à vous, honte à vous. Vous échangez votre partenaire stratégique de l'Otan pour un prêtre», a-t-il affirmé. Dans le cadre des mesures de rétorsions, le président américain, Donald Trump, a décidé vendredi de doubler les tarifs douaniers à l'importation d'acier et d'aluminium turcs, portant respectivement ces taxes à 50% et 20%. Conséquence : la livre turque a accusé le même jour une chute spectaculaire face au dollar. Elle a en effet perdu 16% de sa valeur face au billet vert, alors qu'elle accusait déjà une baisse constante depuis le début de l'année. Des rapports déjà en convulsion Les relations entre les deux alliés au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) ont atteint le paroxysme de leur tension avec l'affaire de la détention en Turquie du pasteur américain Andrew Brunson, prélude à une série de sanctions. Il est placé fin juillet en résidence surveillée après un an et demi de détention et encourt jusqu'à 35 ans de prison. Il est accusé de terrorisme et d'espionnage pour le compte de deux organisations classées «terroristes» en Turquie, le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis, et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Mais il se dit innocent. Autre point de litige : deux employés locaux des missions américaines en Turquie sont actuellement en détention et un autre est assigné à résidence surveillée. Les Etats-Unis réclament sa libération. Dans un tweet annonçant l'augmentation des tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium turcs, Donald Trump a noté : «Nos relations avec la Turquie ne sont pas bonnes en ce moment.» Face à la chute de la livre, le président Erdogan a dénoncé, vendredi, une «guerre économique» et a appelé la population turque à la «lutte nationale» en échangeant ses devises étrangères. L'administration de Donald Trump a annoncé cette semaine des sanctions contre les ministres turcs de la Justice et de l'Intérieur, Abdulhamit Gül et Süleyman Soylu, pour leur rôle dans l'affaire du pasteur. Ankara a déjà promis des représailles après les sanctions américaines jugées «inacceptables». La Turquie réclame de son côté, sans succès jusqu'ici, l'extradition du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par le président Recep Tayyip Erdogan comme l'instigateur du putsch avorté de juillet 2016 en Turquie, accusations rejetées par l'intéressé. Les deux capitales s'opposent aussi sur la question des milices kurdes syriennes, à savoir les Unités de protection du peuple kurde (YPG). Pour Washington, ces milices constituent une force importante pour combattre le groupe Etat islamique (EI). En revanche, aux yeux d'Ankara, elles ne sont que l'extension en Syrie du PKK qui livre, depuis 1984, une guerre à l'Etat turc. Il est classé «organisation terroriste» par la Turquie et ses alliés occidentaux. En janvier dernier, la Turquie a lancé dans le nord-ouest de la Syrie une offensive contre les YPG considérée par Ankara comme une organisation terroriste. Opération qui a suscité l'ire de Washington. Les deux alliés se sont finalement accordés début juin, au terme de tractations diplomatiques, sur une «feuille de route» pour coopérer. En octobre 2017, les Etats-Unis et la Turquie annoncent une suspension réciproque des délivrances de visas. La crise a commencé dimanche 8 octobre, lorsque les Etats-Unis ont annoncé suspendre la délivrance des visas par leurs missions diplomatiques en Turquie, sauf les visas d'immigration. La mesure a été prise pour protester contre l'arrestation de Metin Topuz, un employé turc du consulat américain à Istanbul, inculpé par la justice turque, 4 octobre, pour «espionnage» et appartenance au mouvement «terroriste» de Fethullah Gülen. Accusation «dénuée de fondement», selon les Etats-Unis, une initiative qui ressemble davantage à «la poursuite d'une vengeance plutôt qu'à une quête de justice», a observé l'ambassadeur américain en Turquie, John Bass. En riposte aux restrictions américaines, la Turquie a suspendu, à son tour, la délivrance des visas pour les ressortissants américains.