La Turquie réagit aux démarches américaines, conformément aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et elle continuera ainsi. C'est ce qu'a déclaré hier la ministre turque du Commerce, Ruhsar Pekcan, lors d'un discours prononcé à l'occasion de la signature du protocole entre l'Eximbank turque et l'Assemblée des exportateurs de Turquie (TIM) à Ankara. « Nous constatons que les Etats-Unis confondent les sujets politiques avec la coopération économique. Cela nuit à l'économie mondiale aussi. Pour notre part, nous avons réagi aux démarches américaines, conformément aux règles de l'OMC, en faisant usage de nos droits découlant des droits du commerce international, et nous continuerons ainsi», a indiqué la ministre turque citée par l'agence Anadolu. Elle a observé que l'économie turque est la cible de spéculations ces derniers jours et déploré la guerre commerciale lancée par les Etats-Unis dans le monde. Comme elle a assuré que son gouvernement continuera de soutenir les droits des producteurs et exportateurs turcs dans tous les marchés et en toute circonstance. Et d'ajouter : «Les amis américains comprendront la réalité et entreprendront des démarches qui serviront les investissements et l'économie mondiale.» Par ailleurs, un tribunal turc a rejeté, hier, une nouvelle demande de levée de l'assignation à résidence du pasteur américain Andrew Brunson. L'avocat du pasteur, Cem Halavurt, a déclaré qu'il «ferait à nouveau appel dans deux semaines». «Nous prévoyons de faire davantage, s'ils ne le libèrent pas rapidement», a-t-il dit. Me Halavurt a déposé un nouveau recours mardi contre l'assignation à résidence de son client, après une première tentative infructueuse début du mois en cours. Mercredi, un tribunal d'Izmir (ouest) a rejeté le recours qui a été déposé par le pasteur, précisant toutefois qu'une autre cour allait examiner sa requête. Andrew Brunson a été arrêté en octobre 2016 par les autorités turques qui l'accusent d'«espionnage» et d'activités «terroristes». Le procès d'Andrew Brunson est toujours en cours et la prochaine audience est prévue le 12 octobre. L'incarcération du pasteur Brunson, qui nie ces accusations, a suscité des tensions entre Ankara et Washington. Le pasteur est placé en résidence surveillée fin juillet après un an et demi de détention, en dépit des appels répétés du président américain, Donald Trump, à le libérer et le renvoyer aux Etats-Unis. Washington a pris des sanctions contre deux ministres turcs et Ankara a réagi avec des mesures similaires. L'an dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a évoqué l'idée d'échanger ce pasteur contre le prédicateur Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis et qu'Ankara accuse d'avoir ourdi le putsch manqué de 2016. Option rejetée par Washington. Jeudi, les Etats-Unis ont menacé de frapper la Turquie de nouvelles sanctions, si le pasteur n'est pas libéré. «Nous prévoyons de faire davantage s'ils ne le libèrent pas rapidement», affirmé le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, lors d'une réunion à la Maison-Blanche du cabinet du président Donald Trump et de ses principaux ministres. Un peu plus tard dans la journée, ce dernier a pris la défense du pasteur Brunson. «Un homme très innocent» a affirmé le président Trump, constatant que la Turquie n'a pas été une très bonne «amie». «La Turquie a profité des Etats-Unis pendant beaucoup d'années. Ils retiennent notre merveilleux ‘‘pasteur chrétien'', à qui je dois maintenant demander de représenter notre pays en tant qu'otage patriote. Nous ne paierons rien pour la libération d'un homme innocent», a-t-il soutenu. Un peu plus tôt dans la journée, le ministre turc des Finances, Berat Albayrak, a prévu que son pays «émergerait encore plus fort» de la crise de la livre, dont la valeur a chuté de 40% par rapport au dollar cette année. Il a par ailleurs indiqué, lors d'une téléconférence avec plusieurs milliers d'investisseurs, que son pays n'est pas en contact avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un éventuel plan d'aide et qu'Ankara n'aurait pas recours au contrôle des capitaux. Ces annonces ont relativement rassuré les marchés. La crise diplomatique opposant les deux alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pourrait se prolonger, amplifiant ainsi la guerre économique. Se «tourner» vers de «nouveaux amis et alliés» Vu les difficultés économiques auxquelles elle est confrontée, la Turquie sera contrainte d'approfondir ses relations avec des partenaires qui pourraient contrarier la politique étrangère américaine ou à trouver de nouveaux «alliés» et «amis». «A moins que les Etats-Unis ne commencent à respecter la souveraineté de la Turquie et prouvent qu'ils comprennent les dangers auxquels notre nation est confrontée, notre partenariat pourrait être en danger», a observé le président turc le 10 août, dans une tribune signée dans le New York Times. Et de prévenir : «Un échec à renverser la tendance actuelle à l'unilatéralisme et au manque de respect va nous pousser à chercher de nouveaux amis et de nouveaux alliés.» En visite en Turquie mercredi, l'émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani a promis à Ankara que son pays y investirait 15 milliards de dollars. Sachant qu'Ankara continue à soutenir Doha pour atténuer le blocus imposé par des pays voisins et alliés sur l'émirat depuis juin 2017. Le même jour, le président Erdogan s'est entretenu au téléphone avec la chancelière allemande, Angela Merkel, et jeudi avec son homologue français, Emmanuel Macron. Entre-temps, les échanges commerciaux entre la Turquie et l'Iran se sont intensifiés. Ankara souhaite continuer à s'approvisionner en gaz iranien et exporter ses productions agroalimentaires et textiles vers ce pays. Alors que Téhéran est de nouveau sous le coup des sanctions américaines suite au retrait de Washington en mai dernier de l'accord nucléaire signé par l'Iran avec le groupe 5+1(Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France ainsi que l'Allemagne). Dans cet esprit, Washington a menacé de représailles tout pays nouant des relations commerciales avec la République islamique d'Iran. Par ailleurs, la justice turque a ordonné mardi la libération de deux soldats grecs et mercredi du président d'Amnesty International en Turquie. Cela dit, les Etats-Unis et la Turquie sont en désaccord sur plusieurs questions. Parmi ces contentieux, il y a la question du soutien de Washington aux forces kurdes syriennes, à savoir les Unités de protection du peuple kurde (YPG). Pour Washington, ces milices constituent une force importante pour combattre le groupe Etat islamique (EI). Ankara y voit une branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, considéré comme terroriste par la Turquie. Autre dossier non moins complexe, le sort du prédicateur turc Fethullah Gülen exilé en Amérique, dont Ankara réclame l'extradition pour son implication présumée dans le putsch avorté de juillet 2016. A noter aussi, les Etats-Unis apprécient mal l'intention de la Turquie de s'armer en missiles russes S400.