Amar Ouzegane est né à Alger 7 mars 1910 dans une famille pauvre originaire de Azazga (Tizi Ouzou) ruinée par l'insurrection de 1871 à laquelle avait pris part son grand-père. Son père, qui «s'employait comme il pouvait, généralement dans l'hôtellerie et la restauration comme cuisinier», d'après Benjamin Stora dans son dictionnaire des nationalistes algériens, est décédé en 1926. Enfant très éveillé, Amar a pu être scolarisé. «Je n'ai que le certificat d'études. Le peu que je sais, je l'ai volé», avait avoué Amar Ouzegane en 1963, dans un entretien à la revue Esprit. Il précise, dans le n°7 du journal de la jeunesse des oulémas Le Jeune Musulman, qu'il rejoint à l'appel de son directeur, Ahmed Taleb Ibrahimi : «Ma formation complémentaire, je la dois à l'effort personnel et aux loisirs que l'administration pénitentiaire, impérialiste et fasciste, nous laissait dans les prisons militaires ou civiles, et dans les camps de concentration, entre les corvées quotidiennes d'eau, de bois, de sable, de pierres ou de réfection des pistes sahariennes.» Après des études primaires, il réussit cahin-caha à obtenir le certificat d'études. Il quitte l'école pour devenir télégraphiste à l'âge de 13 ans. Communisme Amar Ouzegane participe, dès son entrée aux PTT, à l'action des Jeunesses syndicalistes en liaison avec les Jeunesses communistes. Employé comme facteur des télégraphes jusqu'en 1936, jouant un grand rôle dans la syndicalisation à la CGTU, non seulement des postiers mais aussi des dockers du port d'Alger, des éboueurs de la ville, des cheminots, etc., «le jeune militant entre, en 1930, à la commission exécutive de l'Union régionale CGTU d'Algérie et représente la CGTU au Cartel des syndicats des services publics», précise René Galissot dans sa notice biographique consacrée à Ouzegane (Barzakh). Participant aux réunions de la fraction communiste de la CGTU et à des réunions algéroises de responsables communistes, Amar Ouzegane est promu au secrétariat du Parti communiste. Délégué au VIIe congrès mondial du Komintern en juillet-août 1935, il est «membre titulaire du Comité central du PCF au congrès de Villeurbanne de janvier 1936, sur proposition d'A. Ferrat», relève B. Stora. A la suite de son séjour à Moscou, il est licencié de son poste aux PTT, ce qui l'incite à devenir permanent communiste, appointé à demi-solde d'abord, relève Galissot. Exclusion Après sa libération de prison en 1943, Amar Ouzegane reprend place à la direction du PCA comme troisième secrétaire, d'abord, avant d'être élu premier secrétaire en 1944, précise Galissot. Il est élu député communiste d'Alger à la première Assemblée constituante en 1945-1946. «En tant que secrétaire général jusqu'à la révision de la ligne à l'été 1946, il fut rendu responsable des prises de position antinationalistes proclamées en cette période sous l'autorité d'André Marty, mais correspondant à la politique suivie par le PCF en matière coloniale. En Algérie, cette coupure, voire cette opposition communiste au mouvement national, s'exprima tout particulièrement lors des manifestations nationales algériennes accompagnées d'une répression forcenée que l'on connaît sous l'appellation ‘‘d'événements de Sétif'' en mai 1945, notamment par la dénonciation des nationalistes comme ‘‘mouchards du gouvernement général''», précise la notice rédigée par Galissot. Critiqué d'abord, rétrogradé au secrétariat, démis du bureau politique du PCA au cours de l'année 1947, il est finalement exclu le 30 décembre 1947. Il se rapproche des oulémas, dont il défend certaines thèses sur le berbérisme et la langue arabe. Gouvernement A l'indépendance, Amar Ouzegane est élu député de Médéa à l'Assemblée constituante. Il est nommé ministre de l'Agriculture et de la Réforme agraire dans le premier gouvernement algérien, installé par Ben Bella le 27 septembre 1962. Il est promu par la suite ministre d'Etat le 18 septembre 1963, puis ministre du Tourisme du 2 décembre 1964 au 19 juin 1965. Il n'occupa aucun poste de responsabilité sous Boumediène, ni sous celui de son successeur Chadli. Incarcération Amar Ouzegane connaîtra les affres de la prison avant et durant la Guerre de libération. Il est arrêté en avril 1940 et interné à Djenien Bou Rezz (Naâma), d'où il sera libéré en 1943. Il rejoint le FLN en 1955 et participe à la rédaction de la Plateforme de la Soummam. Il est arrêté une seconde fois par les forces coloniale début 1958. Mohamed Ghafir, dit Moh Clichy, lui rend hommage lors d'un forum d'El Moudjahid : «Je suis très heureux d'être encore vivant pour apporter un témoignage sur un symbole, un monument, un moudjahid : Amar Ouzegane. Cinquante-six ans après l'indépendance, je me souviens encore des cadres qui ont activé et fait leur devoir pour la libération de l'Algérie. Amar et moi on était incarcérés à la prison de Fresnes, en 1959, dans la même division. Il était à la cellule 149 et moi à la 148. On était voisins, mais on se voyait dans la cour de la prison lors de la promenade. Un quart d'heure par jour pour respirer un peu d'air. La cour n'était pas spacieuse, 3 m2 pour une trentaine de personnes, on ne pouvait même pas marcher. Il y avait un Français qui a travaillé avec nous, un communiste, ingénieur en nucléaire, qui s'appelle Bernard Boudouras. Il travaillait avec le FLN, donc il a été arrêté et détenu au même titre que les militants du FLN, dans la même prison. Une fois, on voulait faire un peu de sport, mais Bernard ne pouvait pas sauter parce qu'il était en soutane, il nous a donc servi de mouton et nous sautions et jouions ensemble. Le gardien lui a dit: ‘‘Non seulement tu leur a servi de mouton à l'extérieur mais aussi à l'intérieur.'' Amar Ouzegane lui a répondu : ‘‘Vous êtes un garde-chiourme, Bernard n'a fait que son devoir, il a défendu le slogan de la République française liberté, égalité, fraternité' et il a aidé le FLN pour défendre l'honneur de la France''…» Amar Ouzegane restera en prison jusqu'en avril 1962. Journalisme La presse est entrée très tôt dans la vie du futur militant. Amar Ouzegane a travaillé dès l'âge de 13 ans à L'Echo d'Alger comme vendeur de journaux à la criée. Membre du PCA, il hérite de la direction de la Lutte sociale, journal qu'il relance après l'arrestation de son responsable. Ouzegane fut l'une des plumes les plus acérées de la presse communiste de l'époque. Après son exclusion du PCA le 30 décembre 1947, il rejoint Ahmed Taleb-Ibrahimi, qui venait de lancer Le Jeune Musulman, organe des jeunes de l'association des oulémas en 1952, selon Mohamed Saïd, préfacier d'un recueil d'articles (Amar Ouzegane, Le révolutionnaire heureux, Alem El Fkar). L'ayant côtoyé dans son bimensuel, le fils de Bachir Ibrahimi relève les grands mérites du collaborateur au long cours : «Avec lui, j'ai appris comment confectionner un journal depuis la mise en page jusqu'à au tirage, sans doute grâce à son expérience dans la presse syndicale et communiste.» Mohamed Saïd précise que Ouzegane fut l'un des rédacteurs bénévoles les plus assidus tout au long des 36 numéros du bimensuel parus entre le 6 juin 1952 et le 30 juillet 1954. «Il reconnaît l'apport marxiste en tant que méthode et instrument d'analyse, mais renie ce qui était incompatible avec la foi. Il se nourrissait de l'œuvre des philosophes musulmans, défenseurs de l'harmonie entre la raison et le dogme», dira de lui Taleb Ibrahimi dans le texte qui reprend ses articles (Alem El Afkar). Le parcours journalistique de Amar Ouzegane ne s'arrête pas là. A l'indépendance, après ses deux postes de ministres (Agriculture et Tourisme), il devient directeur de Révolution africaine le 1er septembre 1964, avant d'être relevé de son poste le 21 août 1965 par le colonel Hoauri Boumediène. Mai 1945 Amar Ouzegane avait critiqué les positions du PPA de Messali Hadj, suite aux massacre du 8 Mai 1945. Dès le 10 mai, «c'est une délégation commune du PCA et des représentants en Algérie du PCF qui est reçue au gouvernement général par M. Alduy, chef de cabinet. Si Ouzegane en fait partie, il est accompagné par Victor Joannes, Neveu et Paul Caballero. Le communiqué publié à l'issue des entretiens dénonce, comme toujours en cette période, les ‘seigneurs fascistes de la colonisation' et autres ‘hauts fonctionnaires vichyssois', mais également les ‘agents hitlériens du PPA', rapprochement avec les nationalistes», rappelle Alain Ruscio dans Les communistes et les massacres du Constantinois (mai-juin 1945, Vingtième siècle, revue d'histoire). Beaucoup reprocheront à Ouzegane ses déclarations très hostiles aux nationalistes. Mais l'homme fera amende honorable et se rapprochera du camp nationaliste après son exclusion du PCA. Ses positions nationalistes, évidentes dès le Congrès musulman de 1936, dont il est devenu membre du bureau, se renforcent durant les années de la Guerre de libération, dont il était l'un des acteurs les plus en vue. Plateforme Conseiller de la Zone autonome d'Alger, Amar Ouzegane fut l'un des principaux rédacteurs de la Plateforme de la Soummam, sous la houlette de Abane Ramdane. Gilbert Meynier rappelle dans son Histoire intérieure du FLN que dès le début de 1956, Abane mentionne qu'une plateforme politique est en voie d'élaboration à Alger, à laquelle travaille une commission ad hoc (lettre 13 mars 1956, Le Courrier Alger-Le Caire, M. Belhocine, Casbah). «Cette commission qui allait accoucher du plus important texte du FLN de la guerre de 1954-1962 comprenait des gens variés : outre Abane, l'ancien dirigeant communiste Amar Ouzegane, le juriste modéré Chentouf, le bourgeois algérois Lebdjaoui, l'ex-centraliste Temama. Ben M'hidi et d'autres militants dont Ben Khedda et Dahlab (anciens dirigeants centralistes)donnaient aussi des avis», recense Meynier. L'historien décela la «teinture marxisante» du texte redevable à la personnalité de l'un des principaux rédacteurs, Ouzegane. Dans une mise au point au Figaro Littéraire du 3 novembre 1969, Amar Ouzegane apporte des précisions sur sa contribution (rééditée par El Watan le 20 août 2016). Il conclut son texte par : «Sans être recherché, je quitte mon domicile pour une vie semi-clandestine. J'assiste à deux réunions de notre conseil politique chez une sage-femme. Puis, je suis hospitalisé pour coma diabétique, du 5 juin au 5 septembre 1956. A la sortie, j'apprends que la Plateforme de la seconde mouture, augmentée d'un passage sur les négociations, rédigé par Abane, avait été discutée et adoptée par le Congrès des maquis le 20 août 1956. Elle sera connue et célèbre sous le nom de Plateforme de la Soummam.» Récits Amar Ouzegane a écrit Le Meilleur Combat publié chez Julliard 1962 et réédité par l'ANEP, avec une préface du défunt Abdelkader Djeghloul. Dans ce texte au style aéré dont il a le secret, Ouzegane s'en prend à ses anciens camarades communistes et justifie son rapprochement avec le Mouvement national indépendantiste. Dans ses correspondances avec Charles Poncet, un des amis de Camus, il précise qu'il s'attelle à la rédaction de «ses souvenirs de militant». «J'ai négligé ma correspondance parce que tout mon temps est pris à essayer de retrouver la documentation nécessaire pour commencer la rédaction de mes souvenirs de militant. Tu peux imaginer la somme d'efforts et de dérangements pour trouver un papier ou même un livre. A la Bilbliothèque nationale, il faut m'y rendre à plusieurs reprises et souvent sans succès. Tout ce qui est intéressant est en main et il y a un nombre astronomique de chercheurs en Algérie et en France qui préparent des travaux sur le mouvement ouvrier algérien», écrit-il à Poncet le 18 mai 1976 (Christian Phéline et Agnès Spiquel-Courdille, Camus, militant communiste, Alger 1935-1937, Gallimard). Des notices ont été rédigées. Mais le militant, décédé en 1981, «ne pourra conduire à bien son projet d'ouvrage autobiographique». Certains extraits de sa correspondance ont été publiés par les deux chercheurs qui s'intéressaient à la vie de Camus. Trêve Dans une lettre adressée à Charle Poncet, un des amis proches de Camus, Amar Ouzegane précise les circonstances de l'adhésion de l'écrivain, en 1935, au Parti communiste duquel il s'éloigne quelques mois après. L'auteur de L'Etranger lui a fait la confidence qu'étant lycéen, il était pigiste à L'Ikdam dirigé par Sadek Denden. Ouegane précise que Camus «avait quelque relation avec les oulémas car c'est par son entremise qu'(il) a pu avoir, en compagnie d'un ami parisien, un entretien avec Cheikh Ben Badis». Dans une autre lettre, il dit sur Camus : «Dès son adhésion, Albert Camus a suscité un vif intérêt auprès de tous ceux qui l'approchaient, charmés par sa culture, son dévouement, sa simplicité. Lorsqu'il fut malade et pauvre, je me joignis à la délégation de la section du parti qui lui rendait visite, et lui remis, avec des pâtisseries et des fleurs, une enveloppe qui contenait le fruit d'une solidarité discrète des militants de Belcourt.» La complicité entre les deux compères durera. Venu à Alger à l'invitation d'amis musulmans et européens, Camus lance un «Appel pour une trêve civile», le 22 janvier 1956. «Tandis que l'extrême droite l'assiège aux cris de ‘à mort Camus ! Mendès au poteau !', la réunion reçoit le soutien des Eglises et de Ferhat Abbas. Amar Ouzegane est là, membre du «comité de la trêve civile» mais aussi émissaire inavoué du FLN. Deux semaines après, «Guy Mollet cède aux ultras de l'Algérie française. La voie est dès lors ouverte à la Bataille d'Alger», précisent Christian Phéline et Agnès Spiquel-Courdille (Camus, l'impossible trêve civile, Gallimard). Camus aurait-il eu vent de l'activisme de son ami ?