Par sa capacité de surfer sur n'importe quelle vague, de faire surgir sous sa plume des mondes nouveaux, le romancier se situe au croisement de toutes les choses de l'existence. C'est pourquoi les gouvernants, où qu'ils soient, le considèrent avec une certaine méfiance, à la limite d'un scepticisme maladif. Toutefois, on pourrait être amené à penser que les romanciers appartenant aux pays sous-développés, et qui traitent, par la force des choses, des questions sociopolitiques, sont les seuls à subir les exactions de certains gouvernants et militaristes bornés. La vérité est tout autre. Et nous avons des exemples probants en ce domaine, émanant de différents coins du monde. Bien que détenteur du prix Nobel de littérature et célébré à travers le monde, principalement dans les universités anglo-américaines, Wole Soyinka, le romancier nigérian, n'a pas été épargné par les gouvernants de son pays. Il y fut condamné à mort, pourchassé au point d'aller chercher refuge dans le monde occidental. Son malheur - ou son bonheur - est d'avoir toujours dénoncé dans ses écrits la tyrannie et les guerres civiles successives qui ont ravagé son pays. L'écrivain turc Orhan Pamuk, autre nobélisé, n'a pas échappé, lui aussi, aux exactions et provocations des gouvernants de son pays pour avoir dénoncé les crimes commis à l'endroit du peuple arménien au début du xxe siècle. Cependant, pour des raisons de tactique politique, l'attaque lancée contre lui a été mise, quelque peu, en sourdine. La Turquie, aspirant toujours à devenir membre à part entière de l'Union européenne, se doit de plaire à une certaine galerie politique européenne et ne pas froisser le reste du monde. Dans le monde occidental, le cas du célébrissime Ernest Hemingway, prix Nobel 1954, reste typique. Honni par la CIA pour avoir, un jour de 1959, pris position en faveur de Fidel Castro, ses faits et gestes furent comptabilisés pour ainsi dire au jour le jour, au point de le faire sombrer dans une longue dépression nerveuse. Avant même de presser contre lui la détente de son fusil de chasse en juillet 1961, dans sa propre maison, il fut empêché, de justesse, de se jeter de l'avion qui le menait vers New York pour y subir un traitement antidépressif. On ignore encore le cas d'autres romanciers qui n'ont, peut-être pas la réputation du Japonais Yukio Mishima, du Péruvien Vargas Llosa, du Mexicain Carlos Fuentes, mais qui ont fait, cependant, l'objet d'exactions et de poursuites judiciaires de la part des gouvernants de leurs pays, pour avoir fait usage de cette forme littéraire qu'est le roman pour dénoncer la tyrannie politique. C'est ce qui, peut-être, expliquerait la floraison du roman dans le champ littéraire du monde arabe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l'émergence de nouveaux talents qui s'appliquent, de nos jours, à traiter des questions les plus pointues en politique et en psychologie sociale.