Pêche aux étudiants en médecine algériens. Les autorités consulaires françaises ont décidé de faciliter les procédures de demande de visa aux étudiants en médecine. Les médecins, dentistes et pharmaciens algériens devant se rendre en France pour entamer un cursus de spécialisation dans le cadre du Diplôme de formation médicale spécialisée (DFMS) ou dans le cadre du Diplôme de formation médicale spécialisée approfondie (DFMSA) sont dispensés de la prise de rendez-vous au centre TLS contact France à Oran, rapportent des sites. Des étudiants se sont inscrits ces dernières semaines en PAE (Procédure d'autorisation d'exercer) pour vérifier leurs connaissances et ainsi pouvoir s'installer en France. «Il y a beaucoup de candidats en PAE, le mois passé. Il y a eu des étudiants, mais aussi des professeurs et des maitres-assistants», croit savoir le Dr Mohamed Taileb, médecin au CHU Mustapha Bacha et un des porte-paroles les plus en vue du Collectif national des médecins résidents (Camra). Oncologue de formation, Dahmane* a préféré tout quitté pour tenter sa chance en France. «A 32 ans, je ne peux plus rien espérer. Salaire de misère, je suis célibataire et sans logement. J'ai préféré quitter», signale amèrement le médecin qui a suivi une partie de son cursus de généraliste à Alger, avant de faire son service civil dans le Sud. Khadidja, la trentaine, gynécologue, a préféré quitté son service «crasseux» d'un hôpital du Centre, et tenter sa chance. «J'ai économisé un peu d'argent. Ma famille m'a aidé. Elle m'a presque suppliée de m'en aller. Je suis dégoûtée après mes années de souffrance», raconte-elle. Si certains étudiants choisissent la France, d'autres, aussi nombreux, optent pour les pays du Golfe et, nouvelle destination, l'Allemagne, «où il n'y a pas d'exigence d'équivalence, mais juste la maitrise de la langue». «J'ai un ami, qui a fait son internat. Il a passé son examen de langue. Il exerce actuellement en Allemagne», signale le Dr Taileb, qui affirme pouvoir citer plusieurs autres cas d'étudiant inscrits dans des écoles de langue. Très remonté, le professeur Rachid Belhadj, membre du Syndicat des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires (SNnechu) et président du Conseil scientifique de la faculté de médecine d'Alger affirme être «témoin» des départs massifs d'étudiant de son établissement vers l'étranger. «On nous vole nos meilleurs étudiants et nos meilleurs spécialistes», lâche-t-il. Pour le Pr Belhadj, formés «généreusement», ils préfèrent l'expatriation. «Ils partent en France, dans les pays du Golfe, et maintenant en Allemagne qui connaît le phénomène des déserts médicaux. Dans ce pays, il y a une aversion pour les professions ordinales, et les métiers à risque et pénibles. Les spécialités recherchée sont la gynécologie, la cardiologie, la psychiatre, la médecine du travail, etc. La France, qui accorde des facilités, permet, avec une autorisation provisoire, après un concours, d'exercer. C'est un tapis rouge qui est déroulé à nos étudiants», constate le professeur qui affirme que ces étudiants sont «approchés dès la troisième année pour intégrer le privé national ou partir à l'étranger». Forte tendance à l'expatriation «Les médecins algériens affichent une forte disposition à l'expatriation», constate Ahcène Zehnati, économiste de la santé et chercheur au Créad (voir entretien El Watan, 12/08/2018). Selon une étude du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) de France (2014), plus de 10 000 médecins algériens exercent dans les hôpitaux de l'Hexagone (25% du total des médecins étrangers en activité régulière). «Il y a jusqu'à 15 000 médecins Algériens à l'étranger, dont 10 000 en France. S'il y a imperméabilité à l'exercice de l'activité au Maroc et en Tunisie, certains médecins partent dans les pays du Golfe, aux Emirats arabes unis, au Qatar», avait confié dans un précédent entretien à El Watan, président du CNOM, le docteur Bekkat Berkani Mohamed. Raison de ces départs désormais massifs ? Les étudiants mettent en avant les mauvaises conditions socioprofessionnelles. «Avant même la question des salaires, il y a d'abord les conditions de travail qui ne sont pas dignes. Il y a l'insécurité et cet inconfort qui vous font perdre d'envie d'assurer, par exemple, une garde. Il y a le manque de moyens matériels (équipements défaillants, pénurie, etc.), qui permettraient un bon diagnostic et une prise en charge du patient. Il y a aussi, pour ceux qui le voudraient, la recherche scientifique qui fait défaut. Pour faire une carrière hospitalo-universitaire, il y a très peu de postes qui, d'ailleurs, ne s'ouvrent que tous les 3 à 4 ans. Il y a moins de 1% dans chaque spécialité», s'offusque le Dr Taileb. Nacer Djabi, sociologue, explique ces départs par le contexte de globalisation qui fait que des compétences d'Egypte, d'Inde, du Maroc et du Nigeria quittent leur pays à la recherche de meilleurs condition de travail. «Les départs, dans notre pays, touchent les riches comme les pauvres, les gens qualifiés comme les non qualifiés, détaille-t-il. A l'absence de mauvaise condition de travail, s'ajoute l'absence de confiance en l'avenir. Dans un marché du travail globalisé, les étudiants vont en France, au Canada, ou dans d'autres pays comme l'Allemagne ou les pays du Golfe, attirés par les salaires avantageux et un meilleur cadre de vie.» La situation, souligne-t-il, est d'autant plus «dangereuse» que même des personnes âgées de 60 ans voient l'herbe plus verte ailleurs. «C'est ce que je qualifierai d'émigration des grands-pères. Un professeur préfère partir pour avoir 5000 ou 6000 euros, au lieu del'équivalent de 1000 euros qu'il perçoit chez lui. La situation de crise que connaît le pays depuis plusieurs années incite les gens à fuir. Cela représente une perte importante pour l'Algérie», note le sociologue. Comment retenir les étudiants ? «Il faut encourager les gens à rester. Le système de santé doit s'adapter à la réalité. Il faudra aussi de la reconnaissance», résume le professeur.