Au début du mouvement de grève en novembre 2017, plusieurs résidents avaient tenté leur chance en France. Certains ont pu être retenus. Le tiers des spécialistes cherche à passer l'examen d'équivalence et à s'installer en France. L'Algérie continue de perdre ses médecins. Le dernier mouvement de grève des résidents a eu un effet désastreux sur les effectifs des hôpitaux, particulièrement les premiers concernés : les résidents. «Le dernier mouvement a augmenté la conviction des gens à organiser leur départ à l'étranger. Le traitement du dossier était une manière de nous dire : ‘‘Votre place n'est pas ici''», s'offusque le Dr Sofiance Benseba, résident au CHU de Tizi Ouzou et membre du bureau national du Collectif des médecins résidents (Camra). Plusieurs médecins, avec ou sans diplôme d'études médicales spécialisées (DEMS), se sont inscrits en PAE (Procédure d'autorisation d'exercer) pour vérifier leurs connaissances et ainsi pouvoir s'installer en France. «Cela touche toutes les spécialités : la réanimation, la psychiatrie, la médecine générale... Je connais des amis neurologues, cardiologues, qui ont préféré quitter... Les démarches touchent même des professeurs chefs de service, je connais un maître-assistant qui préparait sa thèse. Il a passé l'épreuve, l'a eue et a préféré abandonner carrément sa thèse», précise le résident. Au début du mouvement de grève en novembre 2017, plusieurs résidents avaient tenté leur chance en France. Certains ont pu être retenus. «Le tiers des spécialistes cherche à passer l'examen d'équivalence et à s'installer en France. Dans mon service (radiologie), il y en a au moins 2 qui le décrochent chaque année. Je connais une amie en gynécologie qui a fait sa spécialité à Oran et qui a préféré tout abandonner. J'ai une autre amie qui a eu son PAE et s'est installée à Lyon», détaille le Dr Hadiby, étudiant en radiologie, et membre du bureau national du Camra. Selon une étude du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) de France (2014), plus de 10 000 médecins algériens exercent dans les hôpitaux de l'Hexagone (25% du total des médecins étrangers en activité régulière). «Il y a jusqu'à 15 000 médecins Algériens à l'étranger, dont 10 000 en France. S'il y a imperméabilité à l'exercice de l'activité au Maroc et en Tunisie, certaines médecins partent dans les pays du Golfe, aux Emirats arabes unis, au Qatar... peu au Royaume-Uni pour des raisons linguistiques. Il y a actuellement la ‘‘voie allemande''. Ce pays est demandeur de médecins. La France, confrontée au manque de médecins à cause du numerus clausus, a des a priori sur les médecins étrangers, mais les Allemands ont pris le taureau par les cornes sans chercher l'origine des médecins», constate le président du Conseil national de l'ordre des médecins d'Algérie (CNOM), le Dr Bekkat Berkani Mohamed. Conséquences désastreuses Les départs vers l'Allemagne, surtout des généralistes, s'étaient intensifiés ces derniers mois malgré l'écueil de la langue. «Des cours d'allemand fleurissent à Alger, Tizi Ouzou... J'ai des amis qui se ont inscrits à ces cours ou qui ont fait appel à des professeurs particuliers», relève le Dr Benseba. Quelles sont les raisons de ces départs précipités ? «La situation du pays pousse les médecins à l'exode, et pas que dans le secteur médical», tranche le Dr Hadiby. Les raisons ne sont pas seulement économiques, mais les défaillances de la pédagogie, le manque de moyens pour l'exercice de la profession expliquent également la saignée actuelle dans ce corps. «Dans mon service (au CHU Ibn Badis de Constantine), l'IRM est en panne depuis une année et demie. L'appareil a fonctionné tout juste six ou sept mois. On a travaillé cinq mois sans scanner et il y a une seule échographie qui fonctionne normalement. L'administration nous dit que les bons, les factures sont là,... On attend toujours», enrage-t-il. Le Dr Bekkat remarque, désabusé, qu'il «y a une grande souffrance dans l'exercice de la médecine» en Algérie. «Il n'y a pas d'équilibre entre le public et le privé. Le public dépérit et le privé n'arrive pas encore à répondre aux attentes ou est survalorisé. Les jeunes médecins désespèrent dans toute cette organisation», relève-t-il en recensant les problèmes insolubles signalés dans les établissements de santé du pays : manque de matériel, formation défaillante, absence de communication avec une tutelle bureaucratisée, etc. Les conséquences de cette situation sur le système de santé sont désastreuses. «Les gens veulent s'en aller. Il ne restera au pays que les médiocres ou ceux qui sont condamnés à rester parce qu'ils n'ont pas le choix. Les spécialistes quitteront le secteur public malgré ce que dit la carte sanitaire prévue dans la loi. Le secteur public se videra et la gratuité des soins sera abandonnée», résume le Dr Hadiby. Regrettant que les autorités ne répondent pas aux préoccupations des professionnels de la santé, le président de l'Ordre considère qu'il est urgent de mettre en place, «sans hésitation», une «feuille de route» et des moyens importants pour sauver le système de santé algérien et ainsi retenir les candidats au départ. «La santé, c'est surtout de l'argent à allouer au secteur... Il faut de véritables conclaves, où tout sera discuté. On nous a proposé en 2014 une loi sur la santé qui est restée inapplicable comme beaucoup de lois remises dans les tiroirs. La santé du citoyen doit être au centre des préoccupations des autorités», tranche le Dr Bekkat.