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Mehdi Lallaoui
Publié dans El Watan le 08 - 05 - 2005

est issu de la troisième génération d'immigrés algériens en France. Ses grands-pères paternel et maternel, ses grands oncles ont été dans l'immigration au lendemain de la Première Guerre mondiale. Son grand-père maternel était souffleur de verre dans une verrerie de Courbevoie, dans les années 1930. Son père est arrivé en France à l'âge de 20 ans en 1939. Il s'est fait rafler par les Allemands, qui lui ont fait faire le travail obligatoire. Après la guerre, le père Lallaoui rentre en Algérie, se marie. Naissent trois enfants à La Casbah. La famille revient en France en 1952. La mère de Mehdi, qui a eu la chance d'apprendre à lire pendant trois ans chez les Pères Blancs, refuse d'aller vivre dans le bidonville de Nanterre. Les parents s'installent à Bezons, dans un grenier. «Les immigrés construisaient des immeubles, mais ils n'avaient pas le droit d'y habiter», relève Mehdi. Naissent 8 autres enfants dont lui-même en 1957. Son père était OS chez Simca. «Ce n'est par un hasard si, l'an dernier, j'ai fait un travail avec les OS de l'Ile Seguin. Mon père a rêvé toute sa vie de faire un pèlerinage à La Mecque et sa seule ambition était que ses enfants aient à manger, sachent lire et écrire.»
«Des amis de mon père ne sont jamais revenus»
Aujourd'hui, les enfants sont médecin, avocat, réalisateur, producteur, enseignante… «Mon père n'était pas très cultivé, mais savait ce qu'est la liberté, il était à la Fédération de France du FLN et, naturellement, un des manifestants du 17 octobre 1961. Et contrairement aux parents de Samia Messaoudi (cofondatrice de «Au nom de la mémoire»), ma mère a refusé d'y aller avec les enfants. Mon père est revenu ensanglanté de la manifestation. Comme il avait un vélo, il est arrivé plus vite que les autres, avant que les flics ne ferment le pont de Neuilly. Il a fait partie de ceux qui ont réussi à passer le pont de Neully. Ils se sont fait tabasser. C'est un instituteur – c'est cela la République – qui a pris mon père, l'a jeté dans le coffre de sa voiture, a contourné le barrage et l'a ramené jusqu'à la maison.» Ce qui explique l'obstination de Mehdi Lallaoui à ce que le 17 octobre 1961 sorte de l'oubli, «parce qu'il y a des amis de mon père qui ne sont jamais revenus. Mon père n'en a jamais parlé, c'était la misère, ce n'étaient pas des choses à faire partager aux enfants.»
Mehdi Lallaoui a été un des fondateurs de la Maison des travailleurs immigrés d'Argenteuil en 1975, il avait 16 ans. «Je suis né dans une ville communiste, dans ces banlieues rouges, la jeunesse était très encadrée, il y avait des activités, des discussions, des cars qui partaient pour le défilé du 1er Mai, des livres qui traînaient. On a baigné dans une ambiance de banlieue ouvrière militante.»
Il commence sa vie active comme électricien de bâtiment, après s'être fait renvoyer d'un lycée technique à Argenteuil où il avait appris l'électricité. Dix ans plus tard, il revient dans ce lycée comme enseignant. Il était le premier enseignant issu de l'immigration de la ville d'Argenteuil. «Les gens qui m'avaient renvoyé, je les défendais parce que j'étais syndicaliste.» Il quitte l'éducation nationale en 1991, la préparation du 30e anniversaire du 17 octobre lui prenant tout son temps. C'est à ce moment qu'est créée l'association «Au nom de la mémoire». Un film («Le silence du fleuve», un documentaire réalisé avec Anne Tristan), une exposition et une grande manifestation sont faits pour marquer l'événement. Un an pour préparer tout cela. «On est partis avec zéro franc. Ce sont des emprunts personnels qui ont payé le film (250 000 F). Pour le livre, l'imprimeur, Joseph Azan, qui était l'ami d'Henri Curiel, un juif communiste égyptien qui a aidé nos parents pendant la guerre, nous avait dit : «Vous payerez quand vous aurez l'argent.»
C'était la première manifestation publique d'envergure de commémoration du 17 octobre 1961. Le film fait salle comble à l'Institut du monde arabe. Il passe pour la première fois sur une chaîne française, Arte, en 2001.
«Ces vieux, les nôtres»
«Mon père, qui est mort il y a un an, était très fier, lui, il avait 13 personnes à nourrir, lui c'est celui qui a courbé l'échine, parce qu'il fallait qu'il y ait à manger à la maison. Mon père était venu plusieurs fois à nos manifestations, il se retrouvait avec des vieux qu'il ne connaissait pas, ils se racontaient la guerre, le 17 octobre. C'étaient des vieux ouvriers qui étaient des gens honnêtes. Nous faisons ce travail pour leur dire merci, même si certains sont morts, il faut qu'on respecte ces douleurs.» Quand on lui dit qu'il est infatigable, Mehdi Lallaoui répond avec un large sourire : «Autour de moi, il y a une équipe soudée, une bande d'amis, mes frères et mes sœurs. Nous faisons des choses pour éduquer, émerveiller. On n'a qu'une vie, il faut faire de belles choses.» Il parle avec respect et émotion de «ces vieux, les nôtres», qui lorsqu'ils voient les images du 17 octobre 1961 ou du 8 mai 1945, pleurent, eux qui ont rarement parlé. Et une de ces belles choses à réaliser, c'est de «redonner sens et reconnaissance à leurs sacrifices, à leurs luttes». «Notre travail, c'est aussi de donner à ces enfants qui sont sans repères, cette dignité. Nous leur montrons qu'ils ont le droit d'exister dans cette société parce que ce sont leurs parents qui l'ont construite, qui se sont battus pour elle, qui l'ont libérée, et on doit leur faire leur place. Relevez-vous, faites-vous respecter, battez-vous.» La marche des Beurs, dont il a été un des organisateurs de l'accueil à Paris, Mehdi Lallaoui pense qu'«il faut la refaire». «On s'est battu contre le racisme, pour l'égalité des droits. 23 ans plus tard, les discriminations sont toujours là.»
Livres
«Les Beurs de Seine» (Arcantère, 1986) ; «Du bidonville aux HLM»(16 mars 1993) ; «Algériens du Pacifique – Les déportés de Nouvelle-Calédonie» (première édition 1994 «Au nom de la mémoire», et en deuxième édition par la maison Zyriâb, à Alger, en 2001) ; «Chroniques d'un massacre 8 mai 1945 : Sétif, Guelma, Kherrata» (juin 1995) de Boucif Mekhaled, Mehdi Lallaoui (préface) ; «Un siècle d'immigration en France 1851 – 1918. De la mine au champ de bataille» (avril 1996), avec David Assouline ; «Une nuit d'octobre» (mai 2001) ; «Exils, exodes, errances» (octobre 2003), textes de Mehdi Lallaoui et dessins d'Alain Nahum ; «La Colline aux oliviers» ( éditions Alternatives), avec Anne Tristan et Benjamin Stora, des textes de 17 illustrateurs sur le 17 octobre 1961.
Films
«D'ici et d'ailleurs», 1851-1918, 52 min ; «Du pain et de la liberté», 1919-1939, 52 min ; «Etranges étrangers», 1939-1974, 52 min ; «Le silence du fleuve», avec Anne Tristan (documentaire, 1991) ; «Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945» (1995, un documentaire de 56 minutes), conception Mehdi Lallaoui, Bernard Langlois, réalisation : Mehdi Lallaoui ; Un film sur «les prolos».


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