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Un aspect positif de la colonisation ?
Publié dans El Watan le 07 - 05 - 2006

Sur le plan juridique, les actes criminels collectifs des forces de la colonisation et de la majorité des colons, de par leur caractère racial et raciste, et leur volonté de «blesser la conscience des musulmans» en les traitant de sous-hommes, ces actes, donc, relèvent sans nul doute du crime contre l'humanité. Ce concept devra être appliqué en toute logique à l'encontre des colonisateurs pour exploitation et asservissement des peuples.
Comment en est-on arrivé à cette tragédie de mai 1945 ?
Préalablement, mettons en évidence les conditions de vie des musulmans, laquelle vie est caractérisée par le mépris des colons et par les difficultés à subvenir à la satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires. Bien entendu , les brimades, l'usage de la force et les humiliations les plus immondes sont leur lot quotidien. Aussi, la défaite de la France en juin 1940 n'a pas été faite pour leur déplaire, surtout que le mythe de l'invincibilité de la France s'est écroulé.
Pourtant, leur participation à la guerre contre l'Allemagne nazie est relevée dès le déclenchement. A titre d'exemple, Ferhat Abbas, le docteur Francis et bien d'autres dont la plupart constitueront l'ossature de l'encadrement du mouvement national se sont portés volontaires dès le début des hostilités (témoignage du docteur Lamine Debaghine). Malgré leur engagement et une situation en défaveur de la France, puisque vaincue, les colons accentuaient leur attitude méprisante et avilissante à l'égard des Algériens. Ce comportement est relaté même dans le rapport Tubert (chargé de l'enquête qu'il a dû interrompre au bout de deux jours sur ordre, sur les événements tragiques du 8 mai 1945).
Mais il est clair que le but de ces mêmes colons ne visait que la seule sauvegarde de leurs intérêts. Du reste, nombreux sont ceux d'entre eux qui se sont rangés du côté de Vichy.
Nouvel espoir pour les algériens
D'un autre côté, ceux qu'on appelait communément les musulmans subissaient un bourrage de crâne de la propagande de la radio allemande émettant en arabe à partir de Stuttgart et de Berlin. Pourtant, le mouvement national, par la voix de son leader Messali, interdisait toute relation avec les Allemands et avait ordonné l'exclusion des militants contrevenant à cette directive. Même les prisonniers (ils étaient plus de 60 000 d'origine nord-africaine) sollicités ont su résister à l'offre de s'allier aux nazis dont les visées expansionnistes étaient évidentes.
Le 8 novembre 1942, les alliés débarquent à Alger. Les Algériens n'avaient pas oublié l'espoir déjà donné par les Américains en vue de l'émancipation des peuples colonisés (déclaration du président Wilson en faveur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes). Cet espoir s'est traduit par une sympathie en faveur des Américains. A rappeler également que le 26 août 1941 fut signée la charte de l'Atlantique reconnaissant notamment «le respect du choix qu'a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre…». Cette même charte signée par Roosevelt et Churchill exprime la volonté d'accorder «les droits souverains et le libre exercice du gouvernement à ceux qui en ont été privés par la force».
Cette prise de position, largement médiatisée, a suscité un nouvel espoir chez les Algériens comprenant ainsi qu'un autre gage leur est donné, à condition (sous-entendu) de s'investir aux côtés des alliés.
Ils répondirent positivement. Leur implication est d'autant plus imposante que pour le débarquement en Italie (opération Torch), le contournement des forces de l'Axe est nécessaire et doit se faire pour des raisons stratégiques et géographiques par le sud (Afrique du Nord).
En résumé, la situation se présentait pour les indigènes, comme on les appelait, schématiquement ainsi :
1) Le mythe de la France invincible est définitivement démenti.
2) Les alliés ont besoin de leur engagement dans la guerre et de leur territoire comme base de mobilisation et de lancement d'offensives militaires déterminantes (réussir le débarquement en Italie).
3) Bonne note est prise de la promesse des alliés de reconnaître leur droits souverains et le libre exercice du gouvernement de leur choix.
Alors que faire ?
– D'abord créer un environnement politique revendicatif de l'indépendance.
– Ensuite prendre parti, sans équivoque, en faveur des alliés. La participation de 135 000 Algériens environ sous la bannière des alliés constitue la preuve de leur volonté de mériter leur indépendance et leur liberté.
– Enfin, mettre sur pied une structure représentative des tendances politiques les plus importantes partageant un même programme politique en vue de l'émancipation de l'Algérie par la fin du colonialisme. Ainsi naquirent les AML (Amis du Manifeste et de la Liberté) qui définirent leur programme (le Manifeste du peuple algérien). Adopté le 10 février 1943 à Alger, il revendique notamment :
– La fin du colonialisme
– Le pourvoi du pays d'une constitution garantissant la liberté et l'égalité pour tous, sans distinction de race ni de religion et l'usage de la langue arabe au même titre que le français.
Ce projet de constitution envisage aussi d'inclure la liberté de la presse, l'instruction obligatoire et gratuite pour tous, sans distinction de sexe, la liberté du culte et le principe de séparation de toutes les religions et de l'Etat. Le succès des AML et de leur programme fut immédiat. En une semaine, elles ont eu l'adhésion de 500 000 personnes (le Parti du peuple algérien – PPA -, très implanté sur le terrain, y était largement dominant). Si l'initiative des AML et du Manifeste est de Ferhat Abbas, des témoins, encore en vie, attribuent au docteur Lamine Debaghine (qui me l'a confirmé au cours d'une discussion) toute la partie politique. Le président Ferhat Abbas se serait chargé de la rédaction des attendus (exposé des motifs). Ce manifeste, qui a été complété le 26 mai 1943 par un projet de réformes qu'on pourrait définir comme un programme de transition (il prévoit notamment la participation immédiate des musulmans au gouvernement et à l'administration par la transformation du gouvernement général en gouvernement algérien), sera signé par L. Debaghine au nom du PPA, les Oulémas, Ferhat Abbas, les docteurs Bendjelloul et Saâdane. 84 élus l'adoptèrent également. Il a été adressé au gouverneur général, aux représentations à Alger de l'URSS, de l'Angleterre et de l'Amérique. Bien entendu, le manifeste fut rejeté par le gouverneur général Châtel puis Peyrouton. Ferhat Abbas, très actif dans la défense du Manifeste, fut assigné pendant quelque temps à résidence dans le Sud par le général Catroux. De son côté, le général de Gaulle manifesta le 12 décembre 1943 son hostilité aux idées d'émancipation dans son discours à Constantine. Partisan du langage de la force, il rejette toute idée de décolonisation. A cette volonté d'affranchissement du joug colonial, s'ajoute l'exaspération due à l'état de la situation économique et sociale des Algériens, d'abord du fait de la colonisation et ensuite de la guerre. Famines (besoins en blé de l'Algérien 5 q en 1871 contre 2 seulement en 1945), dépossession des terres et du bétail, habitat précaire, invasion de sauterelles, sécheresse pendant trois années consécutives, typhus et autres aléas de la vie accentués par les humiliations permanentes poussant à bout les Algériens. C'est le ras-le-bol. La tension monte. Des troubles sont à craindre. L'administration coloniale prenait des précautions en vue de réprimer dans le sang toute velléité de manifestation. Pourtant, une lueur d'espoir se faisait voir à partir du 25 avril 1945, avec la conférence de San Francisco dont le retentissement en Algérie a été extraordinaire. «Les hommes naissent et demeurent égaux en droits. Chaque peuple est libre de disposer de lui-même.» Malheureusement, aucune mesure concrète valable de la part de l'administration française n'a été envisagée pour calmer les esprits. Au contraire, cette administration était totalement acquise aux colons.
On chasse l'arabe à outrance
Des signes avant-coureurs de répression étaient ostensiblement affichés en plus des dispositions flagrantes prises par l'armée. L'un des représentants les plus en vue de la colonisation ne disait-il pas : «… les désordres venant à point appelleraient des mesures de force». Le préfet igame de Constantine Lestrade Carbonnel surenchérissait dans sa lecture de l'avenir : «Il y aura des troubles et un grand parti sera dissous», allusion au PPA. De son côté, Yves Chataigneau n'était pas en reste : «Il faut les inciter (allusion aux AML) à passer à l'action ici ou là, de manière à les démasquer, les réprimer…» Le 8 mai 1945, journée de la victoire, offrira une belle occasion de rappeler la part du sang versé par les Algériens à Monte Cassino, en Corse, en Provence, au front et ailleurs et les promesses faites par les alliés. Tout le monde s'accorde sur le rôle efficace de l'encadrement des manifestations à travers tout le pays, sur les mesures préventives prises pour éviter les provocations. C'est de Sétif que l'étincelle est partie. Mardi 8 mai 1945, jour de marché, 15 000 personnes parfaitement encadrées organisent une marche pacifique et de liesse arborant les drapeaux des alliés et celui, très peu connu, algérien. La vue de ce dernier déchaîne la haine de la police qui fera du jeune Saâl Bouzid le premier martyr.
La tragédie prendra rapidement de l'ampleur et s'étendra à tout le pays (Guelma, Kherrata, Saïda…) Les blindés, l'artillerie, l'aviation, la marine (le cuirassé Duguay Trouin) écrasent sans répit les différentes régions où des troubles se sont produits. On tire à vue. «It was an open season» (c'était la chasse à volonté) écrira un journaliste américain. Les milices de colons chassaient l'Arabe sans relâche. «L'exécution individuelle est tolérée». Les gorges de Kherrata regorgeaient de cadavres, les fours à chaux de Guelma empestaient la chair humaine tandis que Sétif et ses environs (Amouchas, Ourissia, Aïn Azel, Beni Aziz) ne finissaient pas d'enterrer leurs morts. «Vengez-vous !», criait Achiary, le ministre sous-préfet de Guelma, aux colons auxquels il avait préalablement distribué des armes.
La légion et les tabors écrasaient sous leurs chars des groupes entiers de prisonniers enchaînés. Bien que les estimations du nombre de morts (7000 selon certaines administrations françaises, 15 000 selon le général Tubert après deux jours d'enquête, 40 000 selon l'ambassadeur américain Linkley, 80 000 selon les Oulémas), la mémoire collective algérienne conservera le chiffre de 45 000 morts.
Le général Tubert qui parle de «sanglante répression aveugle (qu'il considère) comme une erreur aveugle», écrivait dans une lettre à Me Stibbe : «La raison d'Etat, la commodité d'une répression aveugle et massive permettant de châtier quelques coupables parmi les milliers d'innocents massacrés, l'immunité administrative de ‘'fait” couvrant, par exemple, le sous-préfet Achiary qui, plusieurs jours après le 8 mai 1945 à Sétif, fit délibérément arrêter et fusiller, sans autre forme de procès, des musulmans… dont les familles réclament en vain une enquête, un jugement ou même une simple explication.»
Notons au passage que, outre les difficultés de déterminer avec précision le nombre de morts, dans l'histoire de l'Algérie de 1830 à 1962, le bilan des victimes de la répression ou même des épidémies relève du secret d'Etat.
La vengeance par des massacres collectifs n'a pas suffi à assouvir la haine des colons et des forces françaises. Il fallait organiser aussi un rassemblement d'humiliation collective : des simulacres de reddition ont été organisés, à l'exemple de Melbou (Béjaïa). Dans cette petite localité de la côte, les populations des régions environnantes ont été rassemblées sous une impressionnante surveillance de légionnaires, soldats français et d'origine africaine, pendant que des avions survolaient la région et le fameux cuirassé Duguy Trouin mouillait au large de Béjaïa.
Des milliers de personnes avaient été obligées de s'agenouiller face au général Henry Martin, Duval et autres colonel Bourdilla, de demander pardon à la France et de crier : «Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien.»
Pour en revenir aux massacres, il ne s'agit pas pour nous de tenir une comptabilité macabre, malgré tous les égards et le respect que nous devons à nos chouhada, mais de cerner les estimations, en plus de celles relatées plus haut, des criminels dont la préméditation ne souffre aucun doute et de qualifier leur crime.
C'est la mission que s'est fixée la Fondation du 8 Mai 1945 ainsi que celle d'aboutir à obtenir de la France une déclaration publique de demande de pardon.
Le 8 Mai 1945, avec les massacres des Algériens par les forces françaises, met à nu le férocité du colonialisme français en symbolisant tout le martyre du peuple algérien.
C'est, de la part de ce colonialisme, une tentative de maintenir l'asservissement de l'Algérie. A travers le 8 Mai 1945, c'est l'histoire synthétisée de la colonisation et la démonstration irréfutable d'un crime contre l'humanité.
Il est clair qu'il y a eu asservissement (peut-on définir autrement le colonialisme que comme une forme d'esclavagisme). Or qu'est-ce qu'un crime contre l'humanité ?
«Un crime contre l'humanité est une catégorie d'infractions criminelles englobant l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou tout autre acte inhumain commis contre toute population civile avant ou pendant la guerre pour des motifs politiques, sociaux ou religieux …» (Statut du tribunal de Nuremberg).
Qui peut décemment nier qu'il s'agit là d'une loi dont les dispositions sont assurément applicables aux agissements inhumains de la France colonialiste en Algérie ?
Même à titre posthume, les responsables de ceux-ci doivent répondre de leurs actes et il appartient à la France de prendre enfin une décision qui l'honorerait, de la reconnaissance de ses responsabilités.
«Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir.»
Aussi, avons-nous décidé de ne pas oublier et d'entretenir notre mémoire afin que justice soit rendue à l'Algérie martyrisée. On ne peut parler de retrouvailles et encore moins d'amitié tant que le passé n'est pas éclairci.


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