L'une de ces factions, qui forme pourtant le gouvernement officiel actuel de l'entité palestinienne démocratiquement élu, n'a pas trouvé mieux, pour se soustraire à ses responsabilités historiques, que de procéder au rapt d'un soldat israélien dans la bande de Ghaza de façon à déclencher des représailles à même de reporter aux calendes grecques le débat de fond sur la question de la reconnaissance d'Israël. Il n'en fallait pas davantage à l'Etat hébreu pour déclencher une nouvelle opération militaire à Ghaza plus destructrice et meurtrière que toutes les précédentes. L'aubaine pour Israël qui était entré à reculons dans un processus de paix avec les Palestiniens que toutes les bonnes volontés occidentales (je pense ici en particulier au rôle joué par les négociateurs suédois en 1991) n'ont pas suffi à rendre effectif. Comme s'il ne suffisait pas de cette remise en cause d'une hypothétique paix entre Israéliens et Palestiniens, le Hezbollah libanais se met de la partie en procédant lui aussi au rapt de deux soldats israéliens à la frontière sud du Liban. L'occasion était trop belle pour que Israël se dispensât d'étendre le conflit au Liban qui s'était à peine remis de son occupation par l'Etat hébreu et de la guerre civile entre factions ethniques et religieuses qui se disputaient depuis longtemps le leadership dans ce pays en proie à toutes les convoitises. Pourtant ni l'Etat hébreu ni le Hezbollah ne semblent agir entièrement de leur propre fait ni pour leur propre compte : par-delà le problème israélo-palestinien, le conflit en cours repose avec plus d'acuité que jamais la question de l'existence d'Israël dans une région — le Proche et Moyen-Orient — devenue après les Balkans le lieu de tous les dangers. La question israélienne s'inscrit dans une problématique qui dépasse, et de loin, l'existence de l'Etat hébreu. C'est cette problématique qu'il convient de décrypter pour comprendre ce qu'il y a de nouveau dans le conflit en cours au Proche-Orient. 1- UNE DONNE ANCIENNE TOUJOURS ACTUELLE : L'ESSENCE RELIGIEUSE DE L'ETAT HEBREU ET DES ETATS ARABES ET DU CONFLIT ISRAELO-ARABE Sans doute ne faudrait-il pas négliger la donne ancienne du problème dans le traitement de la question de l'existence d'Israël parce que, non résolue depuis près de 60 ans, elle continue d'alimenter la tension entre Israël et les pays arabes et, plus largement, entre juifs et musulmans de par le monde. Cette donne est ce qu'on peut appeler l'essence religieuse des Etats hébreu et arabes et du conflit israélo-arabe. Elle prend naissance dans la création d'un foyer national juif en Palestine par la puissance occupante — l'Angleterre — en exécution d'un contrat moral que ce pays a passé dès avant la Deuxième Guerre mondiale avec le lobby sioniste, apparu aux confins des XIXe et XXe siècles en Europe (1). De foyer juif sans statut défini, Israël est devenu en 1948 un Etat que la communauté internationale, composée à l'époque de puissances occidentales (sorties de la Deuxième Guerre mondiale avec un fort sentiment de culpabilité à l'égard des juifs d'Europe victimes de la Shoah) et de l'Union soviétique, a vite fait de reconnaître, les uns par esprit de repentance qui ne disait pas encore son nom, les autres par désir de se défaire de la composante juive de leur population. D'une guerre à l'autre depuis 1948, l'Etat hébreu n'a pas cessé de travailler à la réalisation du Grand Israël(2) qui, dans l'imaginaire des juifs du monde entier, qui ne se sont pas émancipés de l'aliénation religieuse, représente le dessein de Yahveh et la destin divin de leur peuple jusque-là voué à l'errance. Ni les résolutions onusiennes condamnant l'occupation des territoires palestiniens, syriens, libanais et égyptiens et demandant à Israël de revenir à ses frontières d'avant juin 1967 (résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité notamment) ni le risque majeur et constamment présent de l'embrasement de tout le Proche-Orient n'ont fait renoncer Israël à cet objectif depuis sa création. La Question juive(3) de Bruno Bauer et de Karl Marx – ce dernier lui-même d'origine juive) ne faisait aucune concession aux idéologies religieuses en présence dans le traitement des problèmes sociaux et politiques de l'époque. (A suivre) Notes 1- L'idée de Foyer national juif en Palestine est l'aboutissement politique du mouvement sioniste animé par Moïse Hesse au XIXe siècle et Théodore Herzl aux débuts du XXe siècle. Ce dernier peut être considéré à juste titre comme le père de l'Etat d'Israël à l'avènement duquel il a consacré toute sa vie sans voir son projet aboutir de son vivant. 2- Le Comité consultatif pour la Palestine chargé pour le gouvernement anglais, après l'adoption de la déclaration Balfour en 1917, de définir les frontières de l'Etat d'Israël en gestation sous le nom de «Foyer national juif en Palestine», a rendu ses conclusions dans les termes suivants : «Compte tenu des facteurs historiques, économiques et géographiques, nous estimons que les limites du Foyer national juif devraient être : au nord, du Litani* jusqu'à Banyas, près des sources du Jourdain ; puis en direction du sud-est, jusqu'à un point méridional proche de Damas et de la voie ferrée du Hedjaz ; à l'est, le territoire situé à l'ouest de la voie ferrée du Hedjaz ; au sud, tout le territoire situé entre Akaba et El Arish ; à l'ouest, la Méditerranée». F. Ra'man, The frontiers of Nation, cité par Collectif d'auteurs, La Palestine en question, Ed. Sned, Alger, 1970, page 53. *On comprend l'insistance de l'Etat hébreu à rejeter les miliciens du Hezbollah au-delà du fleuve Litani, dont il veut s'emparer aussi pour des raisons de sécurité en eau d'Israël. 3- Ed. 10/18, 1967.