La tentation est forte de contourner la législation sur la délivrance des titres de séjour et sur l'acquisition de la nationalité. En effet, le mariage entre un ressortissant français et un étranger permet à ce dernier d'obtenir un titre de séjour, voire d'acquérir la nationalité française. Le mariage devient alors un moyen de fraude à la législation sur les étrangers. L'arsenal juridique, déjà oppressif, se trouve étoffé avec la loi du 14 novembre 2006 (2) afin de prévenir et de sanctionner le dévoiement du droit du mariage. Cette loi de combat s'inscrit dans la continuité du dispositif de prévention et de sanction mis en place par la loi du 24 août 1993 qui «s'inscrivait dans une contestable logique de méfiance vis-à-vis des mariages mixtes» (3). De la sorte, la publication des bans est détournée de sa fonction initiale pour être mise au service de la politique de lutte contre l'immigration. Ce renforcement du contrôle préventif lors des formalités de publicité porte sérieusement atteinte à la liberté du mariage. De plus, il semble difficilement conciliable avec le principe d'égalité puisqu'il conduit, dans la pratique, à opérer une discrimination en raison des origines. La loi du 14 novembre 2006, entrée en vigueur le premier mars 2007, a été jugée conforme par le Conseil constitutionnel, alors qu'elle met en place une méfiance systématique de tout mariage impliquant un époux français (4). Le nouveau régime de lutte contre les mariages de complaisance repose sur une multiplication des contrôles exercés par les autorités publiques à l'occasion des mariages célébrés en France (I), mais également à l'occasion de ceux qui sont célébrés à l'étranger. En effet, le législateur a redouté que les contrôles des autorités françaises puissent être contournés par une célébration du mariage à l'étranger, ce qui aurait permis d'invoquer ensuite le mariage en France pour obtenir un titre de séjour ou pour acquérir la nationalité française (5). Il a aménagé le régime juridique du mariage en conférant notamment de larges pouvoirs aux autorités diplomatiques et consulaires françaises (II). Ce dispositif oppressif rend le mariage mixte suspect au point que les effets qu'il développe sont étroitement surveillés par l'administration et par le procureur de la République. I – Mariages célébrés en France La loi du14 novembre 2006 a profondément modifié l'institution du mariage sous couvert de la lutte contre la fraude à la législation des étrangers. Les exigences du législateur vont au-delà de cette lutte, en soi légitime, mais qui instituent une présomption de fraude au mariage impliquent un étranger, a fortiori en situation irrégulière. 1. L'identité des futurs époux et des témoins L'article 63 du code civil exige la production des pièces visées par les articles 70 et 71 du code civil (copie intégrale de l'acte de naissance) et la justification de son identité par une pièce d'identité. Il est également indiqué que les époux doivent fournir l'état civil complet des témoins ainsi que leur domicile et leur profession. Ces dispositions ne sont pas anodines, car, en pratique, elles permettront de relever des indices de fraude au mariage par l'appel à des témoins de complaisance. 2. L'audition préalable des époux L'article 63 du code civil introduit une procédure d'entretien préalable des futurs époux, rendue plus efficace par la faculté pour l'officier d'état civil de déléguer la réalisation de cet entretien à un fonctionnaire titulaire du service de l'état civil. Cette faculté de délégation est étendue à l'autorité diplomatique ou consulaire, lorsque le futur conjoint est à l'étranger. Le contrôle de la réalité du consentement qu'il met en place appelle quelques observations. Les modalités de l'audition : en principe, l'exigence d'une audition commune des futurs époux s'applique à tous les couples, qu'ils soient étrangers, français ou franco-étrangers. L'officier ne pourra procéder à la publication des bans, ou en cas de dispense de publication, à la célébration du mariage qu'après l'audition commune des futurs époux. Le principe d'égalité semble parfaitement sauvegardé. Toutefois, deux exceptions sont prévues qui laissent une très large marge d'appréciation à l'officier de l'état civil. L'audition n'a pas lieu s'il apparaît qu'elle n'est pas nécessaire au regard des articles 146 (absence de consentement) et 180 (crainte révérencielle, erreur) du code civil ou en cas d'impossibilité. Faut-il s'inquiéter de l'appréciation discrétionnaire laissée à l'officier de l'état civil de procéder ou non à cette audition ? Certainement, le risque de voir apparaître des disparités dans l'application de la loi sur le territoire français. Certaines mairies procéderont sans doute à l'audition de façon plus systématique que d'autres. L'utilité de l'audition est déterminée «au vu des pièces du dossier». Néanmoins, on voit mal quel élément figurant dans les pièces du dossier, autre que la nationalité ou l'absence de titre de séjour, pourrait être significatif à cet égard. De fait, elle semble exclue lorsque les deux futurs époux sont français, sauf à tenter de déjouer un mariage forcé. L'opportunité d'une audition des futurs époux ne se pose donc que pour les mariages mixtes et les mariages entre étrangers si l'un des futurs époux est titulaire d'un titre de séjour en France Les objectifs de l'audition : L'audition des futurs époux a pour objectif de révéler des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 du Code civil. La méfiance qui s'exerce à l'encontre des mariages mixtes paraît injustifiée, car il est demandé aux futurs époux de convaincre un fonctionnaire de la réalité de leurs sentiments réciproques. A ce stade de l'union, ils ne doivent pas se tromper sur le partenaire trouvé. L'irrégularité du séjour est érigée en un indice sérieux laissant présumer un mariage de complaisance. Or, d'autres éléments comme la grande différence d'âge, ou la fragilité psychologique de l'épouse, la disparité de la langue empêchant sérieusement le dialogue, des relations épistolaires, l'arrivée récente en France…, semblent plus pertinents de l'absence de consentement. Le défaut d'intention matrimoniale se révèle souvent a posteriori pour juger que le mariage a été utilisé pour contourner la législation sur le séjour en France. 3. L'opposition au mariage du ministère public En présence d'indices sérieux laissant présumer un mariage de complaisance, l'officier de l'état civil peut saisir, «sans délai», le procureur de la République lequel peut faire opposition au mariage ou ordonner un sursis à la célébration afin d'organiser une enquête (C. civ., art. 175-2). L'information de l'administration est quasi systématique qui saisit l'opportunité pour éloigner l'étranger en situation irrégulière lorsque celui-ci projette de contracter un mariage en France. La jurisprudence administrative sur le projet de mariage est éloquente en la matière. Le procureur de la République doit, dans les quinze jours de sa saisine, soit laisser procéder à la célébration du mariage, soit faire opposition à celui-ci, soit décider d'un sursis à célébration. Il doit faire connaître sa décision à l'officier de l'état civil et aux intéressés. Le délai du sursis ne peut excéder un mois, renouvelable une fois par décision motivée (C. civ., art. 175-2, al. 3). A l'expiration du délai, le procureur doit faire connaître sa décision motivée, qu'il laisse procéder au mariage ou qu'il s'y oppose (C. civ., art. 175-2, al. 4). L'opposition du procureur de la République produit un effet illimité puisqu'elle n'est éventuellement levée que sur décision judiciaire. Les futurs époux disposent d'un recours devant le tribunal de grande instance, à charge d'appel, qui statue dans les dix jours (C. civ., art. 175-2, al. 5). II- Les mariages célébrés à l'étranger Dans une contestable logique de suspicion de l'acte de mariage dressé à l'étranger, la loi du 14 novembre 2006 ajoute un chapitre II bis dans le titre V du livre 1er du code civil. L'objet est de renforcer le contrôle de la validité des mariages célébrés à l'étranger entre Français ou entre un Français et un étranger. Il n'est pas certain que les nouvelles dispositions soient suffisamment lisibles au regard notamment des règles qui régissent le droit international privé. Quels que soient les arguments que l'on puisse avancer, ce dispositif vise des communautés non européennes décrites par le rapporteur de la loi. Le principe de confiance mutuelle entre les Etats disparaît avec ce texte. 1. Les formalités préalables au mariage L'audition préalable : Elle doit être organisée à l'occasion de deux formalités préalables au mariage : lors de la délivrance du certificat de mariage et lors de la publication des bans. Le régime de l'audition est largement identique à celui prévu pour les mariages en France. Transposé dans l'ordre international, l'audition pose un problème de qualification et semble devenir une condition de fond du mariage. Un argument en faveur de cette opinion peut être tiré de l'audition lors de la transcription du mariage. Dans ces conditions, elle devient obligatoire pour le conjoint de nationalité française, même s'il possède également la nationalité algérienne. Seul le mariage de deux conjoints algériens échappe à ce contrôle préventif même si l'un des époux réside habituellement en France et y est titulaire d'un titre de séjour. Un mariage de complaisance reste pourtant possible. L'article 171-3 du code civil marque ainsi une défiance à l'égard de l'officier d'état civil algérien qui célèbre le mariage, soupçonné, à tort, de se prêter à la fraude au mariage. Le certificat de capacité au mariage : L'article 171-2 du code civil exige la production d'un certificat de coutume délivré par l'autorité diplomatique compétente au regard du lieu de célébration. Il n'est délivré que lorsque l'ensemble des formalités prévues par l'article 63 du code civil seront réunies. L'opposition du procureur de la République : L'article 171-1 du code civil organise une procédure d'opposition spécifique. En effet, lorsque l'autorité diplomatique ou consulaire croit déceler des indices sérieux laissant présumer qu'un tel mariage encourt la nullité au regard des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180, ou 191, elle saisit, sans délai, le procureur de la République qui a deux mois pour faire connaître à l'autorité diplomatique française, et aux futurs conjoints, par décision motivée, qu'il s'oppose à cette célébration (C. civ., art. 171-4). Ce dispositif marque une certaine méfiance à l'égard de l'autorité algérienne qui procède à la célébration du mariage entre un Français et un conjoint de nationalité algérienne en créant un obstacle à son office. Pourtant, les règles de forme du mariage, y compris celui d'un Français à l'étranger, se trouvent régies par la loi algérienne en vertu de l'article 171-1 du code civil. Les dispositions introduites par la loi du 14 novembre 2006 deviennent des règles matérielles qui s'imposent aux Français désireux de se marier à l'étranger. La mainlevée de l'opposition peut être demandée au tribunal de grande instance par les futurs époux ( C. civ., art. 176-1). A cette occasion, le TGI sera amené à vérifier l'exigence du consentement selon l'article 146 du code civil qui constitue une condition de fond, régie par la loi française. La prévention des mariages frauduleux ne nécessite pas une telle défiance à l'égard de l'autorité algérienne. Cette dernière aura à cœur, au moins à l'égard du conjoint de nationalité algérienne, de vérifier que toutes les règles ont été respectées. Le contrôle initié par la loi du 14 novembre 2006 retrouve encore son effet à l'occasion de la transcription. 2. Le contrôle postérieur à la célébration : la transcription La transcription d'un acte d'état civil étranger constitue une mesure de publicité légale qui suppose la vérification de sa validité au regard des exigences de la loi française tant sur la forme que sur le fond. 1.1. Le contrôle avant la transcription La formalité de la transcription est indispensable pour faire produire des effets en France à un mariage célébré à l'étranger avec un Français ou une Française, et notamment son opposabilité aux tiers, particulièrement à l'égard de l'administration (C.civ., art. 171-5). En l'absence de transcription, le mariage valablement célébré par une autorité étrangère produit néanmoins des effets civils en France à l'égard des époux et des enfants. Or, l'effet recherché est souvent lié à la condition de l'étranger, soit pour l'acquisition de la nationalité française (C.civ., art. 21-2), soit pour l'obtention d'un titre de séjour temporaire en France (C. des étrangers, art., L 313-11), ou d'une carte de résident (C. des étrangers, art. L 314-9). Précisément, tout est organisé pour empêcher la réalisation de cet effet. L'audition lors de la demande de transcription de l'acte de mariage célébré par l'autorité étrangère devient obligatoire en l'absence de production du certificat de mariage. Les époux sont entendus, ensemble ou séparément, par l'autorité diplomatique ou consulaire. En d'autres termes, un Algérien est convoqué pour s'expliquer sur le mariage qu'il vient de contracter avec un conjoint de nationalité française, voire binational. L'autorité diplomatique ou consulaire informe le ministère public et sursoit à la transcription (C. civ., art. 171-2), lorsque l'audition révèle des indices sérieux laissant présumer que le mariage encourt la nullité au titre des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 ou 191 du code civil. Le procureur de la République a six mois pour se prononcer sur la transcription. S'il ne s'est pas prononcé à l'échéance de ce délai ou s'il s'oppose à la transcription, les époux peuvent saisir le tribunal de grande instance pour qu'il soit statué sur la transcription du mariage. Le tribunal de grande instance statue dans le mois. Le même délai s'applique en cas d'appel. Lorsque le procureur de la République demande, dans le délai de six mois, la nullité du mariage, il ordonne que la transcription soit limitée à la seule fin de saisine du juge. Elle ne produira d'effet qu'à l'égard des époux et des enfants du couple (C. civ., art. 171-7). On observera que la communauté de vie est retardée tant que le tribunal ne se sera pas prononcé. Le temps est alors utilisé pour décourager les époux. 1.2. Le contrôle après la transcription Le mariage régulièrement transcrit sur les registres de l'état civil français est de droit lorsque toutes les formalités ont été respectées (C. civ., art. 171-8). Seulement, une présomption de fraude s'attache au mariage mixte. Ainsi, si après la transcription, des éléments nouveaux fondés sur des indices sérieux laissent présumer que le mariage encourt la nullité au titre des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 ou 191, l'autorité diplomatique ou consulaire, après audition des époux, informe le procureur de la République et sursoit à la transcription. Le procureur de la République dispose de six mois à compter de sa saisine pour demander la nullité du mariage. S'il ne s'est pas prononcé dans le délai, l'autorité diplomatique ou consulaire transcrit l'acte de mariage (C. civ., art. 171-8). Au terme de cette étude des nouvelles mesures de maîtrise de l'immigration qui entourent la célébration du mariage, on éprouve le sentiment d'un régime déraisonnable parce que humiliant. Si légitime que soit la lutte contre les mariages simulés, il y a bien atteinte à la liberté de se marier. La juxtaposition de tous ces points de contrôle fait du mariage mixte un véritable parcours du combattant par l'extension des pouvoirs de l'officier d'état civil. Le rôle accru du procureur de la République fait qu'il devient le garant de l'union conjugale avant la célébration du mariage et lors de sa transcription. Il en surveille également les effets puisqu'il peut demander la nullité sur une période de cinq ans. On rappellera que l'accès à la nationalité française s'est durci puisque l'article 21-2 du code civil exige que la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux après un délai de quatre ans à compter du mariage. Par ailleurs, le séjour en France impose la délivrance d'un titre de séjour temporaire en France (C. des étrangers, art., L 313-11, 4°) dès lors que l'étranger justifie d'un visa long séjour. C'est dire la difficulté d'obtenir un tel visa. Enfin, l'obtention d'une carte de résident est subordonnée à l'existence de la communauté de vie depuis au moins trois ans depuis le mariage (C. des étrangers, art. L 314-9, 3°). Ces règles sur le séjour ne s'appliquent pas aux Algériens régis par le traité du 27 décembre 1968 modifié (avenant du 11 juillet 2001). Alors que la désunion devient plus permissive, l'étranger qui épouse un Français est «condamné» à ne pas se tromper de partenaire au risque de tout perdre. Ce n'est plus de l'amour, cela devient de l'abnégation. Notes : Ce texte remanié a fait l'objet d'une communication au Colloque du syndicat des avocats de France (SAF), Lille, 17 mars 2007. 1) Augmentation significative des mariages mixtes de 117% entre 1994 et 2004 ; avec le Maghreb +487%, et avec la Turquie + 656%. 2) L. n° 2006-1376 du 14 nov. 2006 portant contrôle de la validité du mariage : JO 15 nov. 3) S. Corneloup, Maîtrise de l'immigration et célébration du mariage, Mélanges P. Lagarde, p. 207. 4) Cons. const., Déc., 9 nov. 2006, n° 2006-542 DC : JO 15 nov. 5) Cet arsenal répressif sera renforcé par la réforme du code des étrangers par la loi du 24 juillet 2006 qui ajoute le délit de «reconnaissance d'enfant effectuée aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française» (C. étrangers, art. L 623-1).