Lorsqu'on évalue le mouvement berbère à l'aune des parcours respectifs de ses principaux animateurs, la première remarque qui s'impose est que 29 ans après, personne n'a vraiment déposé les armes ou tourné casaque. D'une manière ou d'une autre, chacun a continué le combat seul ou avec les autres, avec des itinéraires et des trajectoires qui s'éloignent ou se rejoignent. A l'origine de ce mouvement, qui a créé la première brèche dans l'unanimisme imposé par le parti unique, se trouve une poignée de militants idéalistes qui ont un jour décidé de combattre une injustice historique. Béjaïa De notre bureau Celle faite à la culture de leurs enfants et de leurs ancêtres. Le combat a été multiple. Il fallait sortir de l'oralité une langue et une culture millénaires et leur arracher une place au panthéon d'un Etat qui avait résolument décidé de leur exclusion. Pour cela, il fallait combattre aussi bien les mentalités gangrenées que la police zélée d'un pouvoir définitivement muré dans ses certitudes arabo-islamiques. Il fallait délier non seulement la langue berbère mais les langues en général, en prônant le droit à la liberté d'expression. Aujourd'hui, on occulte volontiers le fait que ce mouvement a été porteur de deux revendications essentielles, à savoir la reconnaissance de la culture amazighe dans toutes ses dimensions et les libertés démocratiques. On peut diviser les animateurs du MCB originel en deux groupes distincts. Il y a les militants qui ont fait de la défense de leur culture un combat politique et il y a ceux que la promotion de la langue et de la culture amazighes a amené au combat politique. Entre ces deux groupes, la frontière n'est pas toujours clairement tracée, mais tout ce beau monde se retrouvera autour d'autres idéaux, comme le principe cardinal de la démocratie et celui des droits de l'homme. Avec des fortunes diverses, ceux qui ont fait le choix d'investir l'arène politique sont toujours là. D'échec politique en victoire symbolique ou relative, le tenace Saïd Sadi continue, vaille que vaille, de faire de son Rassemblement le trublion attitré d'une scène politique monophasée. Il est souvent l'homme par qui le débat arrive. L'autre Saïd, Khellil en l'occurrence, n'a quitté le cocon protecteur du FFS que pour s'envoler de ses propres ailes en créant son propre parti, le MDC, qui ne sera, bien entendu, jamais agréé. « Quand on vit cette passion de l'activité politique, on n'y renonce pas. On est là à guetter la moindre opportunité pour faire avancer la démocratie dans le pays, même si tout pousse vers la résignation et le renoncement », a-t-il un jour confié à un confrère. Ce sentiment de lassitude, on croit également l'avoir décelé chez un autre acteur politique de poids, Djamel Zenati, en l'occurrence, qui s'est imposé un silence assourdissant et une retraite monacale ces dernières années. En fait, l'ancien cadre du FFS n'a pris ses distances que pour mieux observer et réfléchir. Ecœuré par les luttes intestines qui ont fait l'essentiel des faits d'armes des partis de la mouvance démocratique, il évitera soigneusement d'ajouter une couche à « la confusion » générale. C'est du moins ce qu'il nous a confié, en n'excluant pas d'intervenir bientôt dans le débat public. Faisant figure d'ancêtre de la revendication berbère, Ferhat Mhenni, l'ancien maquisard de la chanson kabyle, n'a quitté ni l'arène politique ni la scène artistique. De tous les acteurs qui ont marqué de leur empreinte le double combat de la culture et de la démocratie, il est celui dont les positions ont évolué de la façon la plus radicale. Toutefois, son absence physique et la non-structuration de son mouvement ont empêché l'idée d'autonomie qu'il revendique pour la Kabylie de prendre racine hors des cercles étroits de l'université. Viscéralement attaché à ses principes d'une gauche proche des milieux populaires, Saddek Akrour, autre figure du MCB, a fait le choix de confronter ses idées directement à la dure réalité du quotidien du peuple en se faisant élire à la tête de sa commune. Autre figure historique, Ali Brahimi est aux côtés de Saïd Sadi après un passage au FFS. Après avoir quitté le RCD, le journaliste free-lance, Arezki Aït Larbi, a continué à militer en évitant d'apparaître sous une quelconque chapelle politique. Certains, comme Mustapha Bacha ou Salah Boukrif, ne sont, hélas, plus de ce monde alors que d'autres, comme Arezki About, Rachid Hallet ou Moh Stiet, interviennent régulièrement dans la vie politique. Si la plupart des politiciens ont connu des périodes de flottement et des révisions de position quelquefois déchirantes, les animateurs du MCB versés dans la production culturelle ont continué leur petit bonhomme de chemin très souvent loin des feux de la rampe. Installé depuis de longues années à Paris, Salem Chaker poursuit son travail de recherche sur la langue amazighe. Directeur de l'Encyclopédie berbère, il est l'auteur d'une multitude d'ouvrages et d'études de linguistique et de sociolinguistique berbères. Tout en poursuivant ses travaux de recherche, Ramdane Achab est récemment rentré du Canada où il s'était installé pour lancer une maison d'édition. Auteur de plusieurs romans en langue amazighe, Brahim Tazaghart s'est également lancé dans l'édition tout en intervenant régulièrement dans la sphère médiatique et culturelle. Ziani Lhacène, émigré au Canada, a continué à produire des recueils de poésie et Mokrane Chemim se signale de temps à autre par un travail culturel. Des générations d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs ont pris la relève des militants pionniers qui défrichaient péniblement le terrain. Les fringants étudiants et militants qui avaient été à l'origine du printemps berbère sont aujourd'hui des quinquagénaires aux tempes grisonnantes. Parfois même de jeunes grand-pères. Devant les auditoires qui les invitent à témoigner à chaque anniversaire, devant ces générations de berbères décomplexés d'avoir retrouvé une petite place dans l'histoire, personne n'a fait valoir ses droits à la retraite. Doucement mais sûrement, le combat continue.