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Nadir Moknèche. Réalisateur : «Je suis un cinéaste du terroir»
Publié dans El Watan le 19 - 07 - 2007

– Alors que vous vivez en France, vos trois premiers longs métrages, que ce soit Le Harem de Madame Osmane (2000), Viva Laldjérie (2004) ou l'actuel Délice Paloma ont tous pour cadre l'Algérie. Vous apparaissez d'abord et avant tout comme un cinéaste de terroir. Vous verra-t-on un jour traiter des sujets dans d'autres pays, comme celui de l'émigration par exemple ?
– Je ne me considère pas comme un émigré. Certes, j'habite Paris, mais je n'ai pas du tout le sentiment d'être un émigré. Je suis venu faire mes études à Paris, mais je m'inscris plutôt parmi les nouveaux débarqués des années 1990 qui ont un fort vécu algérien. Je suis effectivement un cinéaste de terroir. Et je pense qu'il existe suffisamment de cinéastes français ou franco-algériens pour traiter les sujets des banlieues ou de l'émigration. En ce qui me concerne, mon vécu renvoie à l'enfance, à l'adolescence, à la mer, à la lumière, aux couleurs et aux odeurs. Ce sont plutôt les sensations qui gouvernent mon inspiration. Je ne me vois tourner ni à Paris, ni même dans le désert, d'ailleurs.
– A l'instar d'un Almodovar en Espagne ou d'un Chahine en Egypte, tous vos films privilégient les personnages féminins. Avec Carmen Maura, Nadia Kaci, et surtout Biyouna, les actrices vous inspireraient-elles plus que les hommes ? N'est-ce pas en cela que vous apparaissez plutôt ancré dans le monde et la culture méditerranéens où la condition féminine constitue un enjeu pour une modernité ou un progrès encore à venir ?
– Je n'y ai pas toujours pensé, du moins en ces termes, mais il est vrai qu'étant issu du monde de la Méditerranée, on baigne dans un univers féminin. Il suffit simplement de penser au cinéma italien, par exemple. Il apparaît clairement que la condition de la femme est plus difficile en Méditerranée. Ne dit-on pas chez nous en arabe, c'est en tout cas la femme seule qui le dit en se plaignant : «Je n'ai pas d'appui.» Ma création cinématographique est liée aussi à ma propre vie et il se trouve que j'ai perdu mon père très jeune, à l'âge de trois ans, des suites d'un accident du travail. En fait, ce que j'ai vécu dans mon enfance pourrait tout à fait évoquer un film du genre néo-réaliste italien : une mère veuve, non remariée, qui travaille comme téléphoniste à la Grande-Poste pour élever et faire vivre ses trois enfants. J'ai donc vécu dans mon enfance avec une absence : celle du monde des hommes.
– Comment expliquez-vous ce lien privilégié que vous entretenez avec l'actrice Biyouna. On a le sentiment que vous l'inspirez autant qu'elle vous inspire elle-même ?
– En premier lieu, nous sommes tous les deux profondément algérois. Nous avons les mêmes référents, les mêmes origines populaires, et un enracinement citadin. Nous sommes tous les deux héritiers de cette culture à la fois populaire et raffinée, ce qu'on appelle en Algérie «el hadra» (les gens de la cité, au sens civilisationnel). J'ai beaucoup hérité de la culture des anciens, de leurs valeurs et symboles. La façon d'accueillir les gens chez soi, celle de disposer une table, de servir les mets ou le café, sont autant de référents civilisationnels. Quant à Biyouna, elle est sans doute la seule actrice arabo-musulmane qui peut se permettre ce qu'elle se permet : boire un verre d'alcool et fumer une cigarette à l'écran; ce qui est, dans nos pays, proprement révolutionnaire. J'ai rencontré il y a peu des actrices iraniennes au Festival de La Rochelle. Elles buvaient et fumaient ouvertement. Mais pas dans leurs films. Chez Biyouna, il y a une absence totale d'hypocrisie. Nous avons consacré deux mois aux répétitions. Biyouna est très généreuse et a une très forte personnalité. Dans le même temps, elle est très malléable, ce qui, à mes yeux, est la marque des très grandes actrices. Quand je l'ai connue en 1999, j'ai été surpris par ce diamant brut, très en avance sur sa société, et dont le potentiel de comédienne pour le drame ou la tragédie est considérable. Une Alice Saprich ou un Coluche étaient d'ailleurs de formidables tragédiens.
– Comment avez-vous choisi les autres comédiens ?
– Lors de la phase casting à Alger, j'ai auditionné plus de mille personnes. C'est à ce moment que j'ai choisi Ahmed Benaïssa ou Hafsa Koudil, Nawel Zmit ou Fadela Ouabdesselam. Par contre, Daniel Lundh qui interprète le fils et Aylin Prandi (Délice Paloma/Rachida) ont été recrutés à Paris.
D'origine argentine, l'actrice Aylin Prandi apparaît, dans le film, incroyablement algérienne…
Il existe de bonnes comédiennes algériennes en France, mais elles n'ont pas ce que je qualifie d'«énergie algérienne». Leur énergie est plutôt française, je dirais. Tandis qu'Aylin Prandi dégageait naturellement une «énergie locale». Il suffit de la voir marcher, bouger ou danser la danse orientale.
– Comme vos œuvres précédentes, Délice Paloma est une critique acerbe de la société algérienne que, par ailleurs, vous aimez profondément. Toutefois, on a le sentiment que vous peignez une dure réalité en rose, que vous la teintez de légèreté et de drôlerie, dès lors que vous êtes en empathie avec vos personnages féminins, et plus particulièrement celui de Madame Aldjeria (Biyouna) ?
– Ce n'est pas parce qu'on est issu du Tiers-Monde que l'on doit forcément larmoyer. Je pense, en vous parlant, aux Nuits de Cabiria de Fellini et au personnage de la prostituée. On peut parfaitement parler de problèmes graves tout en étant léger dans le ton et le traitement, et ce, d'autant que la réalité algérienne, telle qu'elle est et apparaît, est pleine d'humour et d'autodérision. Il en est ainsi des blagues qui ont toujours circulé au plus fort des moments de misère ou de drame. L'Occident nous voit trop souvent sans humour, alors qu'une critique britannique me faisait remarquer récemment que nous avions en Algérie un humour très «british». Si l'on veut toucher les gens, il faut avoir recours à l'humour, même si les situations sont dures à vivre. Pour ma part, je me refuse de prendre le spectateur par la main en lui mâchant la compréhension de l'œuvre. Mon histoire personnelle est tragique, je pourrais en pleurant. Mais non, nous étions propres, bien habillés, on allait à l'école. Bref, on ne se plaignait pas.
– Dans combien de salles sort le film en France, et quand sera-t-il présenté à Alger, où il se murmure en haut lieu que c'est un film dur pour l'Algérie quant à son image ?
– Le film sort dans 100 salles sur l'ensemble de la France. Ce qui est une distribution conséquente. Quant à l'Algérie, j'aurais souhaité y montrer Délice Paloma en avant-première, mais il n'a pu recevoir à temps le visa d'exploitation pour des raisons que j'ignore encore. J'espère le présenter à Alger en octobre, après la fin du Ramadhan.


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