Délice Paloma, troisième long-métrage de Nadir Moknèche, est assurément un très grand film, une œuvre forte, à la fois par le regard pertinent posé sur la société algérienne et par sa dimension romanesque, synonyme du talent d'un homme de cinéma. Paris : De notre bureau Il est souvent des œuvres « hautes en tics », plus rarement des œuvres... authentiques. Depuis Le Harem de Madame Osmane (2000) jusqu'à ce Délice Paloma (2007) en passant par Viva Laldjérie (2004) — qui a drainé 200 000 spectateurs en France — Nadir Moknèche a entrepris une œuvre d'une grande cohérence quant à la nature du sujet traité (l'Algérie et ses travers sociaux) et à la qualité d'écriture cinématographique. Comme pour l'ensemble de cette trilogie, ce sont les personnages féminins qui ressortent, à la fois omniprésents et omnipotents. Biyouna, dans le rôle de la femme « d'affaires », signe une prestation de haut vol, évoquant par endroits la grande Anna Magnani. C'est dire le niveau atteint par cette fille de Belcourt, au mélange de gouaille et de raffinement populaires, dont on sait maintenant que le potentiel se situe bien au-delà des caricatures comiques de sitcoms du type Ness Mlah City. L'Algérie a connu, dans les années 1960, une grande tragédienne en la personne de Keltoum (Le Vent des Aurès). Biyouna en est la digne héritière, excellant dans un registre nouveau pour elle, celui de la comédie dramatique. Tandis que les autres personnages qui gravitent autour d'elle sont tous d'une grande justesse (Nadia Kaci et Aylin Prandi en escort-girls, Daniel Lundh en fils à la recherche du père, sans compter Ahmed Benaïssa, Hafsa Koudil, Abbès Zahmani ou Lyès Salem en avocat homosexuel. Biyouna porte Délice Paloma avec un mélange de grande dame soucieuse de protéger son clan, et de « bienfaitrice nationale » qui a tout compris des arcanes de la « combinazione » à l'algérienne. Scénario abouti et construction filmique forment l'architecture réussie du film. Celui-ci s'ouvre sur la sortie de prison — où elle a passé 3 ans — de Mme Aldjéria (Biyouna) qui va ponctuer le récit de ses souvenirs et réflexions en « voix off », mettant en exergue un tempérament de « winner » (gagnante) qui s'est retrouvée « looser » (perdante), suite à une dernière combine qui a échoué (le rachat des thermes de Caracalla près de Tipaza). Construit en flash-backs (retours en arrière) Délice Paloma égrène les travers d'une société algérienne où la « démerde » individuelle et le système D renvoient à une corruption généralisée. Depuis la prostitution, les adultères bidons, la concurrence commerciale détournée, jusqu'au personnage de ministre des Droits de l'homme qui ne sait résister au pouvoir de l'argent corrupteur. Sur ces sujets graves qui pourraient déboucher sur une démonstration fade promo-domo, Nadir Moknèche choisit la légèreté et, parfois, la drôlerie pour mieux dénoncer le fonctionnement biaisé des relations sociales et économiques d'un pays qui vit — mal — sa mondialisation. Mais il n'est pas de bonne fiction sans la capacité de l'auteur-metteur en scène à entremêler, avec justesse et intelligence, les rapports entre des personnages ayant tous la nécessaire épaisseur psychologique qui donne, in fine, l'image réussie d'une galerie de portraits. Evoquant le Merzak Allouache de Omar Gatlato — dans un tout autre style, bien que les influences du cinéma italien les rapprochent — Nadir Moknèche se révèle un conteur moral au talent affirmé, et qui excelle d'autant mieux que son enracinement culturel en Algérie en fait, à n'en pas douter, l'un des meilleurs cinéastes du terroir. De ceux pour qui les décors, les paysages, la lumière, les costumes ainsi que les dialogues renvoient à une vérité profonde que les Algériens ont désormais, avec Délice Paloma, la capacité de regarder bien en face. Lire l'interview du réalisateur dans notre supplément Arts et Lettres de jeudi 18 juillet.