C'est le livre de l'année, voire de ces dernières années concernant l'Algérie. C'est plus qu'une autobiographie, moins ardu qu'un livre d'histoire (surtout l'officielle, celle écrite et dictée par la «Famille révolutionnaire»), très loin d'un journal. C'est tout cela à la fois et plus. Wassyla Tamzali nous raconte l'histoire de l'Algérie depuis son indépendance. Wassyla est la première intellectuelle à se lancer dans cette aventure périlleuse. Elle s'en sort admirablement avec un talent époustouflant. Tout commence le 11 décembre 1957. Le père de Wassyla, un riche homme d'affaires, a été tué par un jeune militant du FLN, un adolescent qui rêvait de rejoindre le maquis. Personne n'a jamais su qui avait commandité l'assassinat. Le colonel Amirouche promet à la famille de fusiller l'assassin. Pour Wassyla, c'est le drame, l'écroulement d'un monde. Elle ne dira jamais plus papa. Puis vient l'indépendance. L'exaltation, puis très vite la désillusion. La famille est dépouillée, ses biens nationalisés. Pourtant, Wassyla se prend à rêver d'un monde meilleur pour tous. C'était le temps du socialisme triomphant, du Che, de la Révolution agraire, du tiers-mondisme. C'était le temps des espérances. Alors arriva la politique «business», l'économie de bazar, le parti unique dépolitisé tout tourné vers les affaires. Arrivèrent aussi les lâchetés, les reniements idéologiques, les deals avec les forces les plus rétrogrades, la répression des démocrates, les alliances inavouées avec les islamistes. Et la grosse tache noire, la plus grande trahison : le code de la famille. Le triomphe des «barbéfèlenes». Comble de l'horreur, c'est la décennie noire, rouge serait plus juste tant elle fut sanglante, entre 150 et 200 000 morts. La jeune femme, devenue avocate, puis chargée du programme sur la condition des femmes à l'Unesco, sans verser dans le pathos ou l'amertume, dresse un bilan peu reluisant de cette Algérie qui, à force de compromis, s'est embourbée dans la compromission. Les dés étaient pipés dès le début. L'islamisation de la société était encouragée par ses gouvernants, à part pendant la courte parenthèse de feu Boudiaf. Avec l'aide du double parti unique, le FLN et le RND. Le FIS n'est pas arrivé par hasard. Que faire pour tourner la page ? «La seule manière de faire cesser le cycle de violence dans lequel l'Algérie est prise depuis des siècles est dire, expliquer, comprendre et, à la fin, pardonner. Le pardon, non pas celui des chefs, pour la communauté des frères, mais celui des victimes. Seul le pardon peut apporter à l'âme de tous un peu de paix et de réconfort», écrit-elle si justement. Dire, expliquer, comprendre, pardonner. Tout un programme.