C'est triste de jeûner seul et de manger seul… sans son pays. Un pays devenu virtuel à travers Imarat el Hadj Lakhdar, Kouloub fi siraa ou El Bedhraa devant un écran qui ne peut te rendre ton pays. On est de l'autre côté de la rive. Il se passe tellement de choses, que les journées sont courtes, on n'apprécie rien. De l'autre côté de la rive, Ramdhan arrive timidement et repart silencieusement. On fait tout pour le retenir, on improvise pour lui pleines de choses en espérant qu'il nous donne les sensations d'autrefois. Et comme on peut, on provoque un s'hour en cachette, des saveurs à la sauvette, un adhan muet et des tarawih discrètes. On improvise même des kâadat dites «ramdhaniyette» autour de faux kalbellouz, de fausses z'labia et de pseudo baklaoua. Ici, de l'autre côté de la rive, «au pays des merveilles», le Ramadhan n'est pas une merveille, c'est plutôt une histoire triste et mélancolique. Si triste qu'une grande amertume nous ronge et nous fait rappeler le Ramadhan des temps passés, des temps perdus. Le Ramadhan de chez nous, tout près de nos mères et de nos pères, tout près de la «familia» et de ceux qu'on aime. Le Ramadhan avec ses mélodies de châabi, de hawzi, d'andalous, de malouf, de aroubi, de bedoui, de chaoui, de kabyle et de tergui… Le Ramadhan c'est «el houma», c'est les odeurs qui transpercent les murs des habitations, qui arrivent jusqu'à nous, qui nous envoûtent et qui nous font rappeler «echahr el fadhil» à la Casbah, à Souika, à Gambetta et au fin fond de l'Algérie. Comme chaque année «fi bled d'el ghorba», le Ramadhan nous a manqué atrocement, terriblement. La chorba algéroise, el djari constantinois, el h'rira oranaise nous ont manqués. El bourek, khobz eddar, l'ham lahlou ne peuvent avoir leur vraie saveur que là où ils ont été créés. Ici on dort tôt, demain après le «dodo», c'est «métro» et puis «boulot ». Les belles «sahratte» on ne connaît pas. Elles nous manquent follement celles là. On se rappelle le bon vieux temps, les matinées difficiles des premiers jours de Ramadhan où on s'étire longuement avant de se décider à se réveiller vraiment. La ville qui se réveille lentement. On revoit les visages défaits des Algériens durant des matinées interminables qui durent et qui ne veulent pas prendre fin. Des après-midi qui s'éternisent autour de discussions, de courses et de bagarres qui éclatent pour un rien. On revoit Alger et toute l'Algérie à l'heure du f'tour. On se rue vers les belles conquêtes de pain, de la z'labia, du kalbellouz et de notre si cher Hamoud Boualem avec le fameux Selecto, dans une ambiance propre à sidna Ramadhan et propre aux Algériens et à l'Algérie. Et puis les rues se vident, et dans un petit moment une seule voix va survoler le ciel, la voix du muezzin. Au bout du compte, les esprits se calment et laissent le temps à l'âme d'apprécier «nafahat Ramadhan» et l'odeur du m'touwem et du k'baab. Le bourek lui, fera le tour de toute l'Algérie. Les odeurs annoncent les derniers moments du jeûne. Al adhan retentit. Trois dattes et un peu de lait pour la sunna et pour bien contempler une ville silencieuse et un pays en harmonie pour quelques secondes. On reprend des couleurs. La bonne humeur est de retour. La ville revit de nouveau comme par enchantement. «Sahrat Ramadhan sont légendaires dans notre répertoire, elles font partie de la dynamique de ce mois. La foi se mélange à la piété et la joie à la fête et la gaieté. La soirée sera belle et longue et demain encore une fois le réveil sera difficile comme à chaque fois depuis des lustres. Et on s'étire longuement avant de se décider à se réveiller vraiment… L'Aïd c'est pour demain. Et demain aussi on vivra «yamette el Aïd» sans goût et sans sensations de l'autre côté de la rive. Mais on s'efforcera et on se forcera à se dire, à mille lieues de chez nous, «saha ramdhankoum » et demain… «saha Aïdkoum».