Béjaïa, entre le nouveau musée géologique de pierres et les enceintes historiques de pierres, entre la clarté de la ville savante et la lumière des milliers de bougies allumées un peu partout à la gloire des saintes. Balade vénusienne sur les pentes douces de Yemma Gouraya. La première chose que le visiteur découvre en entrant à Béjaïa, en dehors de Yemma Gouraya perchée au sommet, ce sont ses femmes. Contrairement aux autres villes, les Béjaouies sont partout, multitude décomplexée, travailleuses, étudiantes ou femmes au foyer, dehors à arpenter les rues ou à faire les magasins. Belles, coquettes et têtes nues, elles attirent le regard du passager, lui donnant immanquablement des torticolis. Farah n'est pas kinésithérapeute mais vice-présidente de l'Association des femmes cadres de Béjaïa. Demoiselle coquette de la vieille ville, elle confirme la réputation mais attention, « quand quelqu'un nous regarde ou nous aborde, explique-t-elle, on sait qu'il n'est pas d'ici ». Yemma Gouraya veille sur ses filles et celles-ci le lui rendent bien. Partout dans la ville, de discrètes niches creusées dans les murs sont emplies de cire, indiquant une sainte qui est célébrée. Bougie bien sûr, du nom de ces chandelles de cire d'abeille, que les femmes allument partout et pas uniquement à cause des fréquents délestages de Sonelgaz. « On entretient la mémoire des femmes de la ville », explique Farah. sainte ou pas, mais qui a donné l'exemple. A visiter. Célébrer d'abord la pierre Ouvert en 2006, le Musée de géologie vient d'être réaménagé. Parce que tout commence par la pierre, première strate dans une ville très minérale, chargée sur les couches supérieures d'un foisonnement archéologique et historique. Le prince Nasser, fondateur de la Bedjaya moderne (Al Nassiria) contraignit d'ailleurs tous ses sujets à construire et prit cette décision que « tout individu qui voudra pénétrer dans la cité sera tenu d'y apporter une pierre sous peine d'une amende ». Au Musée, le guide est, bien sûr, une femme, et explique qu'en dehors de la salle réservée à la géologie générale, une pièce est consacrée à la géologie régionale, qui rassemble les pierres de la région, « et celles de Gouraya », mythique montagne calcaire qui a sorti la tête de l'eau il y a des millions d'années et engendré tout un mythe. Féminin. Descendre le bois sacré Où des milliers de saints et de saintes y sont enterrés. Puis entrer dans le cimetière moderne, se recueillir sur la tombe de Nabila Djahnine, tuée en 1995 par des islamistes pour avoir monté une association Tighiri n tmettout (cri de femme). En ressortir pour passer devant la majestueuse Bab El Bounoud, l'une des deux seules portes encore debout, « la porte des étendards » que l'on appelle porte Fouqa (d'en haut). Allumer la première bougie Remonter vers la place de la Poste pour allumer une bougie de Bougie à la mémoire de Lalla Fatima, dont on dit qu'elle a résisté à l'occupation française. Place de la Poste, ici même où dans les années 70, le complexe Sonitex n'employait que des femmes. En parlant de cette « usine à femmes », raconte un ancien, « elles étaient des centaines à descendre de la vieille ville, se réunissaient ici aux premières heures pour attendre le transport du personnel. Belles travailleuses coquettes, elles émerveillaient autant qu'elles agaçaient ». Faire des histoires Un peu plus haut, par la rue Fatima puis une ruelle à droite, c'est le Musée régional de Bordj Moussa. Archéologie et histoire de la ville se mêlent pendant que Soad Haddad, la directrice, est circonspecte. Malgré de récents travaux d'un architecte, Malek Aït Hammouda, qui a identifié ce qui ressemble à une tombe et une koubba, elle n'est pas convaincue. « Yemma Gouraya ? Je ne sais pas si elle a existé, c'est au jardin de Vincennes qu'il faut aller. » Car c'est dans les archives militaires françaises que sont consignés les travaux du fort de Gouraya. La vérité ? Entre histoire et légende, on raconte que chez les Ath Ouartilane, dans la montagne d'en face, quatre sœurs présidaient aux destinées d'une tribu. Deux d'entre elles ont été transformées en colombes et se sont posées sur la montagne de Bgayet, Yemma Gouraya et l'autre Lalla Yamna. Un mythe doublement féminin. Monter vers le bord de la… mère Bien que l'on ne sache pas si elle a réellement existé, tout commence ou finit par Yemma Gouraya. Juste avant la koubba de sidi Touati et la maison du Parc national du Gouraya dont le site fait partie, une piste à gauche rejoint Yemma Gouraya par une ascension pédestre de 3 km et demi. Mais on peut aller en voiture jusqu'à une plate-forme destinée à cet effet, où une maison de l'artisanat va ouvrir et une aire de jeux ravit déjà les enfants. Une piste vers la gauche conduit au pic des singes, où une très belle table d'orientation est posée, pour se situer dans l'espace. Mais c'est sur la plate-forme centrale que la nuit des zerdates mystico-joyeuses sont régulièrement organisées, pendant que la journée, le site reste familial et très fréquenté, organisé autour d'une entreprise commerciale ou les taxis, vendeurs de souvenirs et d'aliments font presque fortune. A partir de cette plate-forme, une piste grimpe sur une demi-heure de marche et au milieu d'oliviers sauvages, de chênes… et de bouteilles en plastique sauvagement jetées par les promeneurs, il n'est pas rare de rencontrer des singes magot, attendant eux aussi une offrande alimentaire. En haut, le spectacle est à la hauteur. Perché à 680m d'altitude, le panorama et la quiétude qui s'en dégage sont uniques. De là, on embrasse du regard toute la région. De là, le site explique tout, la présence d'une sainte et celui d'un fort militaire duquel on domine les quatre directions cardinales, et la cinquiième, verticale, qui relie à Dieu. Si l'on raconte qu'ici se déroulaient des cérémonies d'adorateurs de la lune (d'où le nom Gouraya, qui viendrait d'Agour, la lune), il n'y a plus qu'un seul Dieu qui est célébré et c'est encore une femme qui officie en tant que oukil, intercesseur entre l'humain et le divin, bien qu'un homme, posté plus haut devant une petite mosquée, lui fasse concurrence. D'ailleurs, il y a eu des problèmes de comptabilité, Yemma Gouraya générant des sommes considérables (voir El Watan du 13 août 2006). Car bien que sa tombe soit encore invisible, tout le monde utilise le mythe de Yemma Gouraya. Lors de la visite de Bouteflika pour son troisième mandat, son chargé de communication avait affirmé qu'il a « la bénédiction de Yemma Gouraya ». Celle-ci n'a rien dit, se contentant d'observer d'en haut les turpitudes humaines. Une femme présidente, pourquoi pas ? « Une sœur, c'est mieux qu'un frère », répond d'un éclatant sourire une jeune Béjaouie en « visite ».