– Dans votre dernier ouvrage, vous avez exprimé votre révolte contre la gauche européenne pour sa passivité devant la montée de l'islamisme. Y a-t-il eu un retour d'écoute ? On commence à prendre conscience de certaines pratiques sexistes qui n'ont pas de signification religieuse ni de justificatif comme d'un retour d'une tradition qui serait brimée par la pensée occidentale. Aujourd'hui, je remarque qu'on a écouté un mouvement de féminisme islamique, c'est-à-dire que des femmes prétendent que le Coran donne des droits aux femmes ; c'est vrai qu'il en donne, mais comme toute religion, c'est son application qui pose problème et qui est sujette à des évolutions. On nous présente la condition des femmes «musulmanes» comme si c'était quelque chose d'immuable. Moi, qui ai été élevée dans une famille musulmane, je constate que ce n'est pas vrai. L'Islam de ma grand-mère n'est pas du tout l'Islam qu'on est en train de propager en Europe. L'Union européenne, des associations des droits de l'homme nous ont entendues. Je considère que ce mouvement d'islamisation renvoie à des explications de l'histoire coloniale et de la décolonisation, plutôt qu'une approche spirituelle de la religion musulmane. – Vous situez la période actuelle comme celle du post-islamisme. Pouvez-vous expliquer ce concept ? L'islamisme des années 1980 et 1990 était un projet politique. L'objectif était de prendre le pouvoir dans les pays qui se réfèrent à l'Islam comme religion d'Etat. C'était une réponse à une gestion des pays, que ce soit en Egypte ou en Algérie. C'était une manière d'organiser une opposition aux pouvoirs en place dans ces pays. Ces régimes qui ont pris le pouvoir après la décolonisation ont tous installé des régimes matérialistes, nés de l'idée marxiste, mais un marxisme primaire. En Algérie, qui est assez emblématique, la première mosquée ouverte dans une université, c'était à la fac centrale d'Alger, en 1968. C'était une récompense donnée aux «frérots» en leur ouvrant une mosquée. Aujourd'hui, il semble qu'il n'y a plus d'ambition politique de prise de pouvoir ; par contre il y a une revendication dans le monde de l'application de la charia. On est passé d'un mouvement de prise de pouvoir à un mouvement qui vise et touche la société civile. – C'est ce qui vous inspire gravité et urgence dans les rues d'Alger… Après l'indépendance, on n'a pas pris conscience que la religion de nos parents pouvait un jour s'opposer à nos ambitions politiques comme l'égalité, les libertés. On n'avait pas pris le soin de clarifier, en 1962, la place de la religion car, pour nous, elle ne pouvait pas constituer un obstacle majeur à l'évolution sociale et politique de l'Algérie. Aujourd'hui, elle l'est. Il y a, dans ce pays, deux manières de concevoir la vie : la charia et des lois modernes et civiles. Il y a un rapport de forces qui semble en faveur du courant religieux et c'est ce que l'on peut voir dans les rues d'Alger, c'est le sens commun. – On parle ces derniers temps de l'émergence du féminisme islamique. S'inscrit-il dans votre combat ? Pas du tout. C'est un concept tordu, fait pour délégitimer le féminisme, saper le travail que nous faisons. C'est un concept qui a été lancé à Barcelone, dont l'objectif principal est de montrer la pertinence de l'Islam pour libérer les femmes. On peut être croyant et féministe, musulman et féministe, mais on ne peut pas être féministe musulmane. Car cela ne nous permettrait pas de développer une conception d'égalité des hommes et des femmes. La religion est un concept privé que nous devons laisser dans l'ordre de la spiritualité. Je ne pense pas qu'il y ait un obstacle entre spiritualité musulmane et exigences modernes des hommes et des femmes de vivre dans la liberté et l'égalité.